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guère, et pour cause, à se promener dans la rue, parlait déjà de se réfugier dans une brasserie… J'eus toutes les peines du monde à l'entraîner sur les boulevards extérieurs… sous prétexte de lui faire prendre l'air.

      Tout en cheminant, nous causions, ou plutôt non, c'est moi qui causais, car Manzana n'était guère loquace.

      Il était devenu morose et mâchonnait un cigare éteint. Il songeait évidemment à son revolver, à ce bon petit browning avec lequel il espérait me diriger à sa guise.

      – Tiens, lui dis-je tout à coup, nous sommes à deux pas de votre domicile… Pourquoi n'attendrions-nous pas dans votre appartement l'heure du dîner… Il fait un froid de canard dans la rue et cette valise que je porte me coupe le bras.

      – Je vous ai déjà dit, répliqua-t-il sèchement, que j'avais des raisons sérieuses pour ne pas retourner chez moi…

      – Oui… vous avez peur…

      – C'est possible…

      – Auriez-vous peur de moi, par hasard?

      Cette question lancée à brûle-pourpoint – un peu imprudemment, je l'avoue – amena sur le visage de Manzana un petit tressaillement.

      Il me regarda fixement, les dents serrées, l'œil luisant et d'une voix grinçante, laissa tomber ces mots:

      – Vous ne réussirez pas, mon cher, à m'attirer dans un guet-apens.

      – Est-ce que vous devenez fou?

      – Oui… oui… je sais ce que je dis.

      – Je ne vous comprends pas…

      – Moi… je me comprends, cela suffit…

      Il jeta son cigare, bredouilla quelques mots que je n'entendis point, puis fit brusquement demi-tour.

      – Ah! bien, dis-je, la vie va être gaie avec vous, si vous continuez ainsi à faire la tête… Vous n'avez pourtant aucune raison d'être mécontent. Il y a deux jours, vous étiez dans une purée noire et songiez peut-être au suicide, quand je suis apparu… pour vous offrir un diamant…

      – Un diamant que nous ne placerons peut-être jamais!

      – Certes, s'il n'y avait que vous pour le placer, nous aurions le temps de crever de misère. Heureusement que je suis là.

      Mon associé eut un geste vague.

      – Alors, dis-je, vous croyez que vous allez vous promener éternellement avec le Régent dans votre poche?

      – J'en ai peur.

      – Manzana, vous n'êtes pas raisonnable… car dans toute cette affaire, si quelqu'un a le droit de se plaindre, c'est moi. Comment, je vous apporte la fortune, je consens à partager avec vous le produit de mon travail et, au lieu de me remercier, de sauter dans mes bras, vous avez l'air de me traiter en ennemi. Ah! on a bien raison de dire que cette maudite question d'argent amène toujours la brouille entre les meilleurs camarades.

      – Ne faites donc pas le bon apôtre… Est-ce que vous croyez que je n'ai pas deviné le fond de votre pensée?.. Voyons… me prenez-vous pour un idiot?

      – Mon cher, vous me prêtez là des sentiments qui me froissent, je vous l'assure… J'ai fait un pacte avec vous et je suis toujours prêt à tenir mes engagements…

      – Oui, grogna Manzana… le revolver à la main…

      – Que voulez-vous dire?

      – Vous le savez aussi bien que moi.

      – Mon cher, vous divaguez…

      – Vraiment…

      La conversation en resta là.

      Nous étions arrivés en haut de la rue d'Amsterdam. La nuit tombait; un petit vent du nord soufflait sans interruption. Nous pressâmes le pas. Comme les passants étaient fort nombreux, à cette heure, et que nous risquions de nous trouver séparés, je repris le bras de Manzana.

      – Ah! encore, fit-il d'un ton brutal… Vous avez donc peur que je m'envole?

      – On ne peut pas savoir, mon cher…

      – Alors, prenez-moi le bras gauche… pas le droit…

      – Ah!..

      – Oui, j'ai mes raisons pour cela.

      – Comme vous voudrez, cher ami… un bras ou l'autre, cela n'a pas d'importance…

      Manzana haussa les épaules et je remarquai, qu'à partir de ce moment, il tint obstinément sa main droite collée contre sa poitrine.

      Il craignait évidemment que je ne cherchasse à lui subtiliser notre diamant. J'y avais déjà songé, mais je n'avais pas tardé à reconnaître que cette tentative serait impossible.

      Ceux qui nous voyaient passer bras dessus, bras dessous, ne se doutaient certes pas que ces deux hommes, qui avaient l'air si fraternellement unis, n'attendaient qu'une occasion pour se jeter l'un sur l'autre.

      Je jouissais intérieurement de la colère de Manzana et j'envisageais déjà l'avenir avec moins d'inquiétude. Manzana était maintenant mon prisonnier et c'est ce qui le mettait en rage.

      Avouez que cet homme était réellement trop exigeant.

      Heureusement que le hasard se charge toujours d'arranger les choses.

      Comme nous longions la rue de Londres, Manzana me dit tout à coup:

      – Au fait, pourquoi me conduisez-vous à la gare Saint-Lazare… c'est généralement par la gare du Nord que l'on se rend en Angleterre… Par Calais, le voyage est bien plus court…

      – Evidemment, mais il est aussi moins sûr… Tous les malfaiteurs qui s'enfuient en Angleterre passent généralement par Calais, aussi cette ligne est-elle étroitement surveillée… Si j'étais seul, comme je n'ai rien à redouter, je partirais par le Nord, mais avec vous…

      – Oui… vous êtes un petit Saint Jean et moi une affreuse canaille…

      – Je ne vous l'aurais pas dit…

      – Mais vous le pensez… c'est tout comme…

      – Franchement, mon cher, que voulez-vous que je pense de vous après la petite scène des Champs-Elysées?.. Et puis, ne m'avez-vous pas dit que vous vous attendiez à être arrêté?.. Si vous croyez que cela m'amuse de voyager en compagnie d'un individu aussi compromettant que vous…

      Manzana ne releva pas cette dernière phrase. Il se contenta de marmonner quelques injures. Je compris cependant que j'avais été un peu loin, aussi cherchai-je immédiatement à atténuer le mauvais effet produit par mes blessantes allusions:

      – C'est votre faute, mon cher, si nous arrivons à nous dire des choses désagréables. Vous êtes, depuis quelques heures, d'une humeur de dogue…

      – Ah! vous trouvez?

      – Certes… et j'avoue que je ne m'explique pas ce brusque revirement de votre part. Je ne vous ai rien fait, en somme. Hier, vous disiez que j'étais votre Providence, et maintenant vous me traitez en ennemi…

      Manzana fixa dans les miens ses yeux luisants:

      – Je vous traite en ennemi, prononça-t-il lentement… parce que vous en êtes un et que vous cherchez à vous débarrasser de moi.

      – Oh! quelle idée!..

      – Je sais ce que je dis… mais, prenez garde… tâchez de ne pas me manquer, car moi, je vous préviens, je ne vous raterai pas… Vous m'avez chipé mon revolver, mais j'ai fort heureusement pour moi deux poings… et deux poings solides, je vous assure.

      – Il ne tient qu'à vous de ne pas en venir à cette pénible extrémité… Oui, je vous ai pris votre revolver, je le confesse, mais si vous voulez raisonner un peu, mon cher, vous serez obligé de reconnaître qu'il n'était pas juste que l'un eût à lui seul tous les atouts dans son jeu. Vous aviez le diamant… Vous aviez aussi le revolver, c'était vraiment trop, vous

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