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lui, en inventant, comme toutes les maîtresses trompées, un tas de calomnies sur son compte. Il n'avait heureusement rien à craindre, affirmait-il, car si on l'arrêtait, il n'aurait pas de peine à faire tomber une à une les accusations que porterait contre lui son ennemie, mais il préférait éviter une confrontation désagréable dont parleraient sans doute les journaux et qui jetterait sur son nom un discrédit fâcheux, là-bas, en Colombie où ses proches occupaient tous de hautes situations.

      Je feignis de m'apitoyer sur son sort et de prendre pour argent comptant toutes les stupidités qu'il me débitait, mais avec une adresse machiavélique, je m'ingéniai à l'effrayer, distillant, goutte à goutte mes petits effets de terreur, lui rappelant certaines histoires d'innocents que l'on avait guillotinés, lui vantant l'adresse et le flair des policiers français, exagérant à plaisir les captures sensationnelles de malfaiteurs imaginaires.

      J'arrivai de la sorte à le déprimer, à l'abrutir, et cet homme, qui était mon maître quelques heures auparavant, ne tarda pas à devenir presque mon esclave. Profitant de l'ascendant que j'exerçais maintenant sur lui, je réglai seul nos préparatifs de départ. J'avais eu un moment l'idée de vendre les meubles qui garnissaient mon logement de Montmartre, mais je réfléchis que cela me serait impossible, car j'étais en meublé, moi aussi, et mon concierge, cerbère impitoyable, surveillait la maison avec un zèle exagéré. En toute autre circonstance, je n'aurais pas hésité à tenter quelque bon petit cambriolage qui m'eût assuré la tranquillité pour un mois ou deux, mais aujourd'hui, j'étais craintif.

      Oui, le croirait-on? Moi, Edgar Pipe, dont les exploits étaient célèbres, quoique anonymes, je n'osais plus aujourd'hui tenter quoi que ce fût, et cela, à cause de ce bandit de Manzana qui était, par la force, devenu le dépositaire du Régent.

      Et pourtant, il fallait fuir, quitter Paris le plus vite possible, car je prévoyais bien que mon associé allait se faire pincer… Si on l'arrêtait, j'étais perdu. On perquisitionnerait chez lui, on trouverait le diamant et je verrais pour toujours s'écrouler mes rêves d'avenir.

      Manzana s'était étendu sur son divan. Il semblait réfléchir, mais en réalité, il ne pensait à rien, car il était littéralement abruti. La rencontre qu'il avait faite l'avait plongé dans une prostration profonde…

      – Voyons, lui dis-je, il faudrait prendre une décision.

      – Evidemment, répondit-il… Je cherche… mais je ne trouve rien…

      – Ecoutez, je crois avoir résolu le problème…

      – Pas possible!

      – Oh! ce n'est pas fameux, je vous préviens, mais enfin, faute de grives…

      – Oui… oui… exposez votre idée.

      VIII

      OU JE REPRENDS ENFIN L'AVANTAGE

      Je rapprochai du divan la chaise sur laquelle j'étais assis à califourchon, et dis à Manzana qui s'était soulevé sur son coude et me regardait anxieux:

      – Pour entreprendre le voyage en Hollande dont je vous ai parlé, il nous fallait environ deux mille francs, mais puisque nous avons décidé de passer en Angleterre, nous pouvons nous contenter d'une somme plus modeste… Nous verrons là-bas, à nous arranger… J'ai d'ailleurs quelques amis à Londres, et ils ne demanderont certes pas mieux que de m'obliger… Pour le moment, il nous faudrait au minimum trois cents francs…

      – Vous croyez?

      – Oui…

      – Mais au point où nous en sommes, mon cher Pipe, trois cents francs sont aussi difficiles à trouver que deux mille…

      – Ce n'est pas mon avis…

      – Vous verriez donc une combinaison?

      – Oui…

      – Mon cher Pipe, vous êtes vraiment un homme de ressource…

      – Trêve de compliments, vous n'en pensez pas un mot…

      – Je vous assure…

      – Allons droit au but… Tout à l'heure, vous parliez de vendre les meubles de cet appartement, mais je vous ai fait comprendre que cela était impossible… Cependant, si vous ne pouvez faire argent des gros meubles, vous pouvez assez facilement vendre cette pendule, ces candélabres, cette statuette et les différents bibelots qui garnissent le salon. Si l'on ne peut emporter une commode ou un buffet, il est facile de sortir d'ici, en les dissimulant sous son pardessus, des objets moins encombrants… Le concierge n'y verra que du bleu.

      – Oui… oui… en somme, vous en revenez à ma première idée.

      – Pas précisément, puisque la vôtre était impraticable… Allons, ne perdons pas un instant, enveloppons tout de suite ce que nous voulons vendre…

      – C'est cela… cependant, êtes-vous sûr de trouver un acquéreur?

      – Oui…

      – Mais il exigera peut-être des renseignements… il ne consentira à payer qu'à domicile.

      – Ne vous inquiétez pas de cela… j'ai tout prévu…

      Manzana ne me demanda pas d'explications.

      Il était d'ailleurs dans un tel état d'avachissement que je faisais de lui tout ce que je voulais. Il tressaillait au moindre bruit, allait à chaque instant soulever le rideau de la fenêtre pour regarder dans la rue et s'il apercevait quelqu'un immobile, sur le trottoir d'en face, il s'imaginait aussitôt que la maison était surveillée, que des agents de la Sûreté l'épiaient et qu'il allait être arrêté.

      Au lieu de le rassurer, je prenais un malin plaisir à tout exagérer, tactique assez habile, qui mettait mon ennemi à mon entière discrétion.

      Je feignais d'être aussi inquiet que lui et lui rappelais continuellement, par quelque allusion naïve, la dame au manteau de loutre qui l'avait si vertement apostrophé en pleine rue.

      C'est dans les circonstances critiques que l'on peut vraiment juger un homme. Manzana, que j'avais pris tout d'abord pour un fieffé coquin à qui on n'en remontrait pas, n'était au fond qu'un être pusillanime, manquant totalement de sang-froid, en présence du danger. C'était une brute capable d'un crime, un impulsif, un de ces malfaiteurs vulgaires qui crânent, le revolver à la main, mais qui sont incapables de réagir lorsqu'il s'agit de dépister la justice.

      Je me promettais bien d'exploiter à mon profit le manque d'énergie de mon associé, mais, pour le moment, il n'y avait qu'à attendre.

      Pendant que nous emballions dans de vieux journaux les objets que nous avions résolu de vendre, un coup de sonnette retentit à la porte d'entrée…

      – Ça y est!.. murmura Manzana qui était devenu blême.

      Et il restait là, planté devant moi, incapable d'une résolution quelconque.

      – Remettez-vous, lui dis-je, je vais ouvrir… Cachez-vous!.. tenez, dans ce placard… non… il est trop en vue!.. Passez plutôt dans votre chambre, et enfermez-vous à clef… Je vais parlementer avec le visiteur… fiez-vous à moi, je ferai tout pour vous sauver…

      Il y eut un nouveau coup de sonnette plus violent que le premier…

      – Vite!.. vite… dis-je à Manzana… disparaissez…

      Il s'enfuit dans le salon, atteignit la porte de la chambre et s'enferma à double tour.

      Alors, très calme, j'allai ouvrir et me trouvai en présence d'un facteur.

      – M. Manzana?

      – C'est moi.

      – Voici une lettre recommandée, monsieur… Voulez-vous signer?

      Je fis entrer le facteur et apposai sur le livre qu'il me tendait un paraphe quelconque.

      Cela fait, je lui remis vingt sous de pourboire et l'homme sortit, se confondant en remerciements. J'appelai Manzana, mais il ne répondit point. J'allai à la porte de sa chambre et fus obligé de parlementer avec lui pendant

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