Скачать книгу

il ne faut plus songer à cela… du nerf, que diable!..

      – Vous en parlez à votre aise… Et si je me fais pincer?.. vous vous en moquez, n'est-ce pas? vous aurez toujours le diamant, tandis que moi…

      – Mais non… mais non… vous ne vous ferez pas pincer… Le tout est de bien prendre vos informations avant de risquer le coup…

      Il y eut un silence. Manzana s'était levé, moi aussi, et nous demeurions face à face, indécis et maussades.

      – Ecoutez, dis-je enfin, nous sommes associés, n'est-ce pas?

      – Mais certainement.

      – Or, deux associés, dans quelque affaire que ce soit, doivent courir les mêmes risques… Il ne serait pas juste que l'un assumât toutes les responsabilités, tandis que l'autre se contenterait tout bonnement de recueillir les bénéfices…

      – Je suis de cet avis, mon cher Pipe…

      – J'en étais persuadé, mon cher Manzana. Donc, puisque nous sommes bien d'accord, réglons un peu notre petite expédition de ce soir…

      – La vôtre, voulez-vous dire.

      – Pardon, mon cher ami, la nôtre…

      – Alors, vous croyez que je vais vous accompagner chez M. Bénoni?

      – Et pourquoi pas?

      – Cela n'a pas été convenu…

      – Voilà que vous me lâchez déjà…

      – Non, mais…

      – Mais quoi?

      – Je ne suis pas un cambrioleur, moi.

      – Cependant, vous n'hésitez pas à partager le produit d'un vol… vous êtes, par conséquent, mon complice et si, par malheur, je suis pris, tant pis pour vous… On vous arrête, on saisit le diamant et nous allons tous deux moisir en prison…

      Manzana était troublé. Il avança la main vers le revolver qu'il avait, l'instant d'avant, replacé sur son bureau, mais il la retira vivement, un peu honteux de ce geste qui prouvait trop la faiblesse de son argumentation.

      – Vous serez bien avancé, lui dis-je, quand vous m'aurez tué… Un coup de feu, cela fait du bruit… on viendra… vous serez pris et vous savez… ces petites plaisanteries-là coûtent cher… les travaux forcés à perpétuité… pour le moins…

      Mon interlocuteur me regarda fixement… Il eut sans doute conscience de l'infamie de sa conduite, car il me tendit la main, en disant:

      – Soit, je vous accompagnerai, mais à une condition…

      – Laquelle?

      – C'est que vous passerez le premier…

      – Si vous voulez… mais, vous savez, dans ce genre d'expédition, le premier n'est guère moins exposé que le second… Enfin, puisque vous y tenez… mais il est vraiment fâcheux que nous soyons obligés d'en arriver là… Voyons, vous n'avez pas dans vos relations un ami qui pourrait vous prêter deux mille francs?..

      Manzana eut un petit rire strident.

      – Si j'avais eu, répondit-il, un ami qui pût me prêter deux mille francs, je ne serais pas ici en ce moment… j'aurais depuis longtemps regagné la Colombie, où j'ai des intérêts… Cela m'eût, il est vrai, privé du plaisir de faire votre connaissance…

      Je ne relevai pas cette dernière phrase, que je trouvai du plus mauvais goût… Ce Manzana était un rustre, j'avais vu cela du premier coup, et j'éprouvais un vif dépit, à la pensée que j'allais être obligé de vivre avec lui, plusieurs semaines peut-être… Il est vrai que je comptais un peu sur le hasard pour me débarrasser de cet associé gênant… mais le hasard m'était si contraire, depuis quelques jours!

      Lorsque nous eûmes, tant bien que mal, réparé le désordre de notre toilette, que nous nous fûmes débarbouillés, peignés et brossés, Manzana me dit, en me posant familièrement sa grosse main sur l'épaule:

      – Mon cher Pipe, nous allons descendre… Vous avez bien quelque argent sur vous?..

      Je sortis mon porte-monnaie.

      – Voici, dis-je, toute ma fortune…

      Et j'étalai sur la table ce qui me restait…

      D'un rapide coup d'œil, mon compagnon évalua la somme:

      – Trente-deux francs cinquante, dit-il… c'est maigre… Enfin, avec cela, nous irons toujours jusqu'à demain…

      Il prit son revolver, le glissa dans la poche de son pardessus, s'assura que le coffre-fort était bien fermé, puis me poussa vers la porte en disant:

      – Allons manger un morceau, je meurs de faim…

      Comme nous descendions, un homme montait les marches quatre à quatre, avec une petite bouteille dans chaque main.

      C'était cet idiot d'Alcide.

      En m'apercevant, il demeura bouche bée.

      – Comment! c'est vous, bégaya-t-il.

      – Vous voyez…

      – Vous m'avez salement lâché, hier soir…

      – Excusez-moi, mon bon Alcide, mais je me suis senti subitement indisposé…

      – La grippe, sans doute?.. Tout le monde a la grippe. Figurez-vous que le patron est rentré cette nuit avec une fièvre de cheval… Le médecin dit que c'est grave… et si le vieux s'en tire, il sera sans doute obligé de garder le lit pendant un bon mois… Mais, à propos, c'est moi que vous alliez voir?

      – Non… j'étais venu rendre visite à un ami qui habite cette maison…

      Et de la main je désignai Manzana qui se tenait adossé à la rampe.

      – Ah! très bien… je croyais… Je vous quitte, car je suis pressé… le vieux attend après ses médicaments… Fichues, les séances de cinéma!..

      Quand Alcide eut disparu, je me rapprochai de mon compagnon et nous continuâmes de descendre.

      Une fois dans la rue, il demanda:

      – Quel est ce grand escogriffe?.. le domestique de M. Bénoni, sans doute?

      – Oui… et vous avez entendu ce qu'il a dit? Son patron est couché… Donc, rien à faire… notre expédition est manquée?

      Manzana hocha lentement la tête.

      – Il faudra trouver autre chose, dit-il au bout d'un instant.

      Nous étions arrivés devant un café blanc qui fait l'angle de la place des Ternes et du faubourg Saint-Honoré…

      – Entrons ici, dis-je.

      Je commandai deux mokas avec des petits pains. Manzana, qui me parut affamé, mangeait et buvait en silence. Un pli barrait son front jaune et il avait, par instants, de petits mouvements d'impatience. On voyait qu'il réfléchissait…

      Tout à coup, il se frappa le front.

      – J'ai trouvé, dit-il.

      Et se penchant vers moi, il m'exposa le projet qui venait de germer dans sa cervelle de bandit.

      – Mon cher Pipe, me confia-t-il, je crois que nous sommes sauvés…

      – Ah!

      – Oui, mais l'affaire est assez délicate.

      – Un cambriolage?

      – Non…

      – Au fond, j'aime mieux ça.

      – Et moi aussi… mais voilà… nous allons nous heurter à bien des difficultés.

      – Expliquez-vous toujours.

      – Eh bien, je songe à vendre les meubles de mon appartement…

      – Mais ces meubles ne vous appartiennent

Скачать книгу