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taxi… mais nous les retrouverons… dussions-nous bouleverser toute la ville…

      Cependant, je restais là, planté devant la station de voitures, incapable d'une décision quelconque.

      Pour une fois, Manzana eut une bonne idée.

      – Nous n'avons qu'une chose à faire, dit-il, c'est de prendre une voiture et de nous faire conduire dans les principaux hôtels de Rouen… nous finirons bien par savoir où nos gens sont descendus…

      La colère m'étouffait! Je n'étais plus maître de moi et j'avais envie d'étrangler mon compagnon.

      Ah! si jamais je le retrouvais, le diamant, je me promettais bien de le garder pour moi seul et de faire ainsi payer à ce stupide Manzana les tortures que j'endurais à cause de lui…

      Je le poussai dans un fiacre, après avoir jeté ces mots au cocher:

      – Nous cherchons quelqu'un, menez-nous dans les grands hôtels de la ville.

      – Bien, monsieur, répondit l'homme… mais c'est qu'il y a beaucoup d'hôtels ici…

      – Commencez par ceux de premier ordre…

      – Compris.

      Le fiacre partit à petite allure. Il était tiré par un pauvre cheval boiteux qui buttait à chaque pas et s'arrêtait, par instants, pour souffler. Dans la descente de la rue Jeanne-d'Arc, il accéléra un peu son train, mais nous n'allions guère plus vite que si nous avions suivi un convoi funèbre.

      A toute minute, je passais la tête par la portière et stimulais le zèle du cocher par la promesse d'un bon pourboire. Il avait beau cingler sa rosse, nous n'avancions pas.

      Et, dans mon exaspération, je déchargeais ma bile sur Manzana qui, blotti dans un coin de la voiture, me regardait d'un air ahuri…

      Je lui prodiguais toutes les injures que je savais et parfois, pris d'une rage subite, je lui empoignais les bras et lui enfonçais mes doigts dans la chair.

      Il ne disait rien… ce n'était plus un homme, c'était une vraie loque. J'allai même jusqu'à l'accuser d'être de complicité avec les rastas du wagon, mais je compris bientôt que cette accusation était ridicule. Il avait trop de raisons de tenir, lui aussi, au diamant, et il n'eût pas été assez naïf pour le partager avec trois personnes.

      Il s'était laissé rouler, voilà tout!

      Le fiacre s'arrêta enfin devant un hôtel situé au fond d'un jardin minuscule. Je me précipitai au bureau et interrogeai rapidement la caissière.

      Les renseignements qu'elle me fournit furent des plus vagues. Elle avait vu beaucoup de monde dans la soirée, des jeunes gens, des vieillards, quelques femmes, mais aucun de ces voyageurs ne répondait au signalement que j'en donnais.

      Nous visitâmes encore cinq hôtels. Partout ce furent les mêmes réponses ambiguës, jetées d'un ton sec, désagréable, et quand sonnèrent deux heures du matin, nous n'étions pas plus avancés qu'à notre sortie de la gare.

      Comme nous ne pouvions garder le cocher toute la nuit, je le fis stopper sur la place de la Cathédrale et demandai ce que je lui devais.

      – C'est dix-huit francs, répondit-il… et le pourboire en plus.

      Je me fouillai, mais au moment où j'introduisais la main dans la poche de côté de ma jaquette, un petit frisson me courut le long des reins… Mon portefeuille avait disparu!

      Ceux qui avaient dérobé le diamant à Manzana avaient aussi pris mon portefeuille!

      J'eus la présence d'esprit de ne rien laisser paraître de mon trouble en présence du cocher. Tirant de ma poche un papier quelconque, je dis avec aplomb:

      – Avez-vous la monnaie de cinq cents francs?

      Le bonhomme roula des yeux effarés.

      – Non?.. fit-il… Vous croyez comme cela que l'on se promène avec la monnaie de cinq cents francs.

      – Où pourrait-on en faire?

      – Nulle part… tout est fermé maintenant…

      Et, comme je demeurais indécis:

      – Votre ami a peut-être de la monnaie, lui?..

      – Non… répondit Manzana, je n'en ai pas…

      Le cocher s'impatientait:

      – Oh! vous savez, cria-t-il, faut pas m'la faire, j'connais l'coup. Vous m'devez dix-huit francs, plus le pourboire… payez-moi… ou venez avec moi au poste de police…

      – C'est cela, dis-je… allons au poste… est-ce loin d'ici?

      – Non, là, à deux pas… place de l'Hôtel-de-Ville. Nous remontâmes en voiture, Manzana et moi. Le cocher fouetta son cheval.

      – Vraiment, questionna mon associé en se penchant à mon oreille, vous avez un billet de cinq cents francs?

      – Vous ne voyez donc pas que c'est de la frime?.. Mon billet de cinq cents francs est une simple feuille de papier… Je suis sans un sou… vos amis m'ont dévalisé.

      – Comment! vous aussi!.. Mais alors, qu'allons-nous dire en arrivant au poste?

      – Vous pensez bien que nous n'allons pas être assez stupides pour y aller… Ouvrez doucement la portière de votre côté, moi je vais faire de même… La voiture va assez lentement pour que nous puissions sauter à terre sans danger… Attention!.. y êtes-vous?

      Nous arrivions, à ce moment, au coin d'une rue obscure. Nous quittâmes le fiacre si prestement et avec une telle légèreté que le pauvre cocher ne s'aperçut point de notre disparition. Quand le brimbalement des portières que nous avions laissées ouvertes l'avertit enfin de notre fuite, il poussa un juron formidable, mais nous étions déjà loin.

      Après avoir couru pendant environ un quart d'heure, en faisant le plus de détours possible, nous nous trouvâmes sur les quais. Il tombait une pluie glaciale et le vent qui soufflait par bourrasques faisait clignoter la flamme des réverbères.

      Nous nous mîmes à l'abri derrière un hangar et bientôt un douanier, qui nous prit sans doute pour des chapardeurs, nous chassa en nous accablant d'injures. Nous tentâmes de nous réfugier sous la porte d'un dock qui était demeurée entr'ouverte, mais un veilleur de nuit nous reçut comme des chiens errants.

      Enfin, grâce à la complaisance d'un employé de chemin de fer, nous trouvâmes un refuge dans un wagon réformé que l'on avait commencé à démolir. Une partie de la toiture en avait été enlevée et il faisait dans cette roulotte un froid sibérien. Manzana et moi nous blottîmes dans la paille et attendîmes ainsi le jour…

      Je ne sais à quoi songeait mon compagnon, mais moi, je sais que je fis, cette nuit-là, de bien tristes réflexions.

      Lorsque l'on est malheureux, comme je l'étais, le moindre souvenir vous attriste et l'on a envie de pleurer en se rappelant les heures heureuses que l'on a vécues autrefois. Je me revoyais à Ramsgate, tranquille, la poche bien garnie, à la suite d'une opération fructueuse, flirtant avec Edith que j'avais rencontrée au «Royal Oak». Puis nous partions pour Paris. C'était alors la lune de miel, de longues soirées d'amour devant un bon feu de bois, la vie joyeuse, les rêves sans fin que forment les amoureux… Je me souvenais aussi, avec une émotion délicieuse, de la nuit où je m'étais emparé du Régent et, je me mis à pleurer à chaudes larmes en songeant à ces deux disparus: Edith et le diamant…

      Manzana essaya de me consoler, mais je le rembarrai si brutalement qu'il ne dit plus un mot.

      Parfois, je l'injuriais sans mesure, puis, le voyant aussi malheureux que moi, je finissais par m'apitoyer sur son compte.

      C'était là, je le reconnais, de la pitié bien mal placée, mais on a pu remarquer, au cours de ce récit, que je suis, à certaines heures, d'une sensibilité exagérée.

      Quand parut le jour, un jour terne, maussade, mon compagnon et moi nous nous concertâmes. Nous allions rôder aux abords des hôtels; peut-être aurions-nous la chance d'y rencontrer un de nos voleurs.

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