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de résidence continuels auxquels les mouvements perpétuels de l'armée assujettissaient les souverains.

      Si Colomb se trouva forcé par ces circonstances à accepter le rôle de solliciteur et peut-être de courtisan, au moins s'y soumit-il avec noblesse, car il s'associa aux fatigues militaires des guerriers qui se pressaient en foule pour combattre en faveur de la libération de l'Espagne; il fut présent au siége ainsi qu'à la reddition de Malaga et de Baza, il assista à l'affaire importante à la suite de laquelle El-Zagal, l'un des rois maures établis en Espagne, résigna sa couronne entre les mains de Ferdinand, et il se distingua par sa bravoure personnelle dans plusieurs de ces occasions.

      Pendant le siége de Baza, deux des religieux préposés à la garde du Saint-Sépulcre à Jérusalem arrivèrent au camp, avec la mission de faire connaître que le sultan d'Égypte avait déclaré qu'il ferait mettre à mort tous les chrétiens qui pouvaient se trouver dans les États où il commandait, si l'Espagne ne se désistait pas de ses plans de guerre contre les Maures. Cette menace fit une si grande impression sur l'âme fière et pieuse de Colomb qu'il conçut, alors, le projet de consacrer les bénéfices qu'il pensait devoir lui revenir du succès de ses découvertes, à l'affranchissement complet du Saint-Sépulcre. Avec sa persévérance naturelle, il ne renonça jamais à cette idée, et il est mort avec le regret de n'avoir pu la réaliser.

      Son nouvel ami Diego de Deza et son zélé partisan Alonzo de Quintanilla pourvoyaient à une partie de ses dépenses, et ils auraient plus fait encore, si les souverains espagnols reconnaissants de ses services et du zèle qu'il montrait en s'associant aux opérations de l'armée, ne l'eussent, en quelque sorte, attaché à leur personne, en ordonnant qu'il fût compté parmi les membres de leur maison et défrayé, comme tel, de sa nourriture et de son logement; ils firent même plus, car lorsqu'il y avait quelque calme ou quelque repos dans la poursuite de cette guerre, Ferdinand témoignait le désir que la question du voyage transatlantique fût remise sur le tapis; mais, toujours de nouveaux incidents survenaient, qui mettaient obstacle à la reprise des conférences.

      Cet état de choses dura jusqu'à la fin de 1491; c'est l'époque où l'armée allait se mettre en marche pour attaquer Grenade; Colomb pensa qu'il pourrait y avoir un trop long ajournement, si le départ avait lieu sans qu'on prît une décision, et il la demanda avec instance. On fit droit à sa demande; Fernando de Talavera fut chargé de présider une nouvelle conférence, mais la majorité condamna les plans de Colomb comme vains et impossibles, et elle ajouta qu'il était indigne d'aussi grands souverains de se livrer à une entreprise aussi importante, sur d'aussi faibles motifs que ceux qui étaient allégués. Le roi et la reine durent donc s'abstenir; mais telle était la considération personnelle dont Colomb jouissait dans l'armée, tel était l'intérêt qu'il avait su inspirer à Ferdinand, que ce roi ne put se résoudre à rompre définitivement sur ce sujet et que, pensant toujours aux avantages incalculables dont la réussite devait en être suivie, il fit informer Colomb que les préoccupations et les dépenses considérables de la guerre ne lui permettaient pas de prendre des engagements dans le moment actuel; mais qu'aussitôt qu'il serait libre de tout souci à cet égard, il se montrerait disposé à reprendre cette affaire et à la faire traiter. Colomb fut très-désappointé de cette réponse qu'il considéra comme un refus poli, et il prit le parti de retourner à Séville, ne comptant plus, à la vérité, sur la protection du trône pour l'aider à exécuter les plans qui, depuis vingt ans, absorbaient toutes ses pensées, étaient le mobile de toutes ses démarches, et faisaient l'objet de toutes ses méditations.

      Cependant, son frère Barthélemy n'était pas resté inactif; il s'était rendu en France et en Angleterre, il y avait exposé les projets de Colomb, et il était parvenu à intéresser les souverains de ces royaumes à l'entreprise de tenter le voyage de l'Inde, en cinglant directement à l'Ouest. Ces nouvelles favorables arrivèrent à Colomb en même temps qu'une invitation du roi de Portugal de retourner à Lisbonne. Il en fut très-ému, mais, à la réflexion, et peut-être aussi pour ne pas trop s'éloigner de ses enfants, il pensa qu'étant devenu un personnage très-connu en Espagne, il lui serait facile et avantageux de trouver aide et protection auprès de quelques-uns des puissants seigneurs de ce pays qui avaient de vastes possessions, de grandes fortunes, beaucoup de crédit, qui jouissaient des priviléges de plusieurs droits féodaux, et pouvaient être comptés comme des petits souverains dans leurs domaines; sous l'influence de ces idées, il ne s'arrêta pas longtemps à la pensée de quitter l'Espagne, et il s'adressa successivement à deux des plus opulents seigneurs dont nous venons de parler: le duc de Médina-Sidonia et celui de Médina-Celi, qui avaient des propriétés étendues sur le bord de la mer où se trouvaient plusieurs ports, et de qui dépendaient de nombreux vassaux.

      Le duc de Médina-Sidonia entra, parfaitement d'abord, dans les vues qui lui furent communiquées, et fut ébloui de la perspective qu'elles offraient devant lui; mais, à la réflexion, il pensa qu'il devait y avoir beaucoup d'exagération; et, après plusieurs conversations sur ce sujet, il finit par se désister.

      Le duc de Médina-Celi se montra également favorable au projet, il fut même sur le point d'accorder trois caravelles mouillées au port de Sainte-Marie et dont il disposait; mais il lui survint la crainte d'être taxé d'avoir voulu empiéter sur les droits de la couronne, et il se désista aussi.

      Vivement contrarié, Christophe Colomb résolut de quitter l'Espagne: analysant alors les diverses propositions faites par le roi de Portugal et par son frère Barthélemy, il s'étudia à choisir celle qui semblait lui offrir le plus de chances. Sous la pression permanente de l'indignité qui avait été commise contre lui par la cour de Portugal, il écarta, tout d'abord, l'offre qui lui venait de ce côté, et il se détermina à se rendre à Paris pour, ensuite, continuer sa route jusques à Londres si la France le repoussait; mais, auparavant, il voulut retourner au couvent de la Rabida où il avait laissé son fils Diego livré aux soins tendres et paternels de Jean Perez de Marchena, supérieur de ce couvent, et d'où il comptait repartir pour conduire Diego à Cordoue où résidaient toujours Beatrix Enriquez et son second fils Fernand.

      Le digne supérieur laissa éclater toute la peine qu'il ressentait, en voyant son ami venir frapper encore une fois à la porte du couvent après une absence de sept ans écoulés dans les angoisses de la sollicitation, et en s'apercevant, par son extérieur peu satisfait et par ses humbles vêtements, qu'il était loin d'être heureux ou opulent; mais, quand il eut appris que c'était un adieu définitif qu'il venait faire à l'Espagne et à lui, il s'enflamma d'une noble et patriotique indignation, et il s'y opposa par tous les moyens que son attachement et que l'intérêt de son pays purent lui suggérer. Il avait été confesseur de la reine, il la connaissait comme une femme d'une imagination remarquable et particulièrement accessible aux personnes qui pouvaient lui donner des avis fondés sur la religion et sur la gloire de son royaume; dans cette persuasion, il prit sur lui de lui écrire directement à elle-même, pour la conjurer de ne pas refuser son approbation à une affaire aussi importante. Il montra ensuite cette lettre à son hôte, et il obtint de lui qu'il ne partirait pas avant de connaître quelle serait la suite de cette nouvelle démarche dont il espérait infiniment. C'est ainsi que la Providence avait caché le ressort de la fortune de Colomb dans le cœur de l'amitié.

      Un pilote du pays fut chargé de partir pour la cour, et de faire tous ses efforts pour remettre la lettre à la reine elle-même, qui se trouvait en ce moment au camp royal de Santa-Fé devant la ville de Grenade, dernière forteresse des Maures et qu'on assiégeait. Il s'acquitta fidèlement de sa mission et il revint au bout de quatorze jours rapportant une réponse de cette noble princesse, dans laquelle des remercîments étaient adressés au supérieur pour sa communication, et pour l'inviter lui-même à se rendre à la cour, mais non sans donner les plus vives espérances à Colomb.

      Dans l'exaltation de la joie que cette nouvelle causa à Perez, une seule minute ne fut pas perdue, il partit immédiatement. Son empressement à voir la reine fut satisfait dès son arrivée à la cour. On comprend la chaleur qu'il mit à plaider la cause de son ami; il invoqua la terre et le ciel; il chercha à intéresser la gloire de la reine autant que sa conscience à une entreprise qui transporterait des nations entières de l'idolâtrie à la foi, et il trouva de la persuasion et de la vivacité dans la passion de la grandeur de sa patrie et dans les sentiments de la plus vive amitié.

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