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de Lisbonne même, il aurait tout au plus 1,350 lieues marines à franchir pour arriver à la province de Mangi, près du Cathai par lequel on doit supposer qu'il désignait ce que nous appelons la Chine. Pour enflammer davantage son imagination, il lui retraça les détails prodigieux donnés par Marco Paolo sur le Cathai, sur la puissance et la grandeur du grand kan ou du souverain de ces contrées opulentes, sur la splendeur de Cambalu et de Quinsai, capitales de son empire, et sur les richesses incalculables de l'île de Cipango qui avoisinait le Cathai, et qui, probablement, était le Japon. Toscanelli joignit à ces renseignements une carte sur laquelle étaient portées, soit les côtes occidentales de l'Europe et de l'Afrique, soit les parties orientales de l'Asie séparées les unes des autres de la faible distance de 1,350 lieues marines (environ 7,500 kilomètres). On y voyait aussi, à diverses distances et convenablement placées, Cipango, Antilla, ainsi que d'autres îles de moindre importance.

      Cette lettre fit sur l'esprit de Colomb une impression qui non-seulement fut vive, mais encore très-durable, car, dans ses préoccupations, ses voyages ou ses propositions, on voit souvent reparaître les territoires du grand kan, le Cathai et l'île de Cipango, qui lui avaient été offerts en perspective par son savant correspondant.

      L'approbation qui fut donnée par Toscanelli aux plans de Colomb acheva de le confirmer dans leur excellence; il s'occupa dès lors à compléter sa théorie; lorsque les diverses parties en furent bien concertées, il s'y fixa avec une fermeté inébranlable; jamais il n'en parla avec l'accent du doute ni de l'hésitation, et ce fut pour lui chose aussi authentique que si de ses yeux il avait aperçu, que si de ses pieds il avait foulé la terre qu'il voyait par l'effet de son imagination. Un sentiment religieux, qui avait une teinte de sublimité, se mêla à ses pensées; on eût dit, en l'entendant parler, qu'on avait devant soi un homme inspiré par un effet de la puissance divine, qui entre tous l'avait choisi pour accomplir une œuvre excédant les facultés intellectuelles d'un simple mortel, et des volontés de laquelle il reconnaissait n'être que le docile agent!

      Et quand il ajoutait, avec une conviction intime, que le moment était venu où les extrémités les plus distantes de la terre devaient entrer en communication les unes avec les autres, et où toutes les nations, toutes les îles, tous les langages allaient se réunir sous la bannière du divin rédempteur des hommes, on ne savait ce qu'on devait admirer le plus, ou de la science profonde de ses arguments, ou de l'éloquence avec laquelle il les prononçait, ou, enfin, de la foi vive et religieuse dont il était animé.

      Il en résulta pour son esprit une élévation nouvelle; pour son regard, un plus grand air d'autorité; pour son maintien, une noblesse et une dignité qui frappaient tous ceux qui l'approchaient. L'envie et le dénigrement se tenaient même loin de lui, pour répandre les fables ou les calomnies par lesquelles on cherchait quelquefois à lui ravir l'honneur de l'idée première, ou à entraver ses projets; mais, dans le libre cours d'une discussion calme et sérieuse, il avait toujours la supériorité. On pouvait donc se refuser à l'aider dans ses projets; mais il était difficile de répondre à ses discours, de réfuter ses opinions, et surtout de ne pas estimer l'homme qui disait: «Voilà mon plan; s'il est dangereux à exécuter, je ne suis pas un simple théoricien qui laisse aux autres la chance de succomber sous les périls; mais je suis un homme d'action; je suis prêt à sacrifier ma vie pour servir d'exemple aux autres; et finalement, si je n'aborde pas aux rivages de l'Asie par mer, c'est que l'Atlantique a d'autres limites dans l'Occident, et ces limites je les découvrirai!»

      Cependant, Colomb quitta le Portugal pour un nouveau voyage, qu'il entreprit vers la partie des régions septentrionales, où les pêcheurs anglais avaient coutume d'aller exercer leur industrie: il nous apprend lui-même que, dépassant ces latitudes d'une centaine de lieues, il franchit le cercle polaire, afin de s'assurer jusqu'à quel point ces parages étaient habitables; il mentionne l'île de Thulé, c'est-à-dire probablement l'Islande, et non point l'Ultima Thule des anciens qui, selon eux, était bien moins loin dans l'Ouest. Dans la relation de ce voyage, on trouve encore la preuve du violent désir qu'il avait de sortir des limites étroites de l'Ancien-Monde, pour se lancer vers les points occidentaux et extrêmes de l'Océan.

      Quel navigateur, alors, pouvait être comparé à Colomb? Il avait fait de belles études préparatoires; il avait débuté jeune dans la marine, avait fait beaucoup de campagnes, et avait, pendant plus de vingt ans, parcouru toutes les mers fréquentées; il s'était trouvé dans un grand nombre de combats et il s'y était distingué; il n'avait négligé aucune occasion d'accroître son savoir; il parlait plusieurs langues; il avait construit des cartes marines qui lui faisaient prendre place parmi les premiers hydrographes; aussi pouvait-il se présenter avec assurance et dire que s'il proposait une expédition périlleuse et difficile, nul n'avait ni plus d'expérience, ni plus de courage, ni plus de talents pour la commander et pour la faire réussir.

      Quelques années s'écoulèrent sans que cet homme si supérieur eût rien décidé sur les moyens de mettre ses projets à exécution; il lui fallait un grand protecteur pour lui en procurer les moyens, et il se rendait parfaitement compte de la difficulté de trouver, pour faire accueillir ses vues, un personnage haut placé: il ne croyait même pas que ce fût trop d'un souverain; tant il pensait qu'il fallait de puissance pour ranger sous sa domination les terres où il devait aborder, et pour lui décerner les dignités et les récompenses que ses découvertes futures lui semblaient devoir mériter!

      D'ailleurs, il devait aussi trouver des marins qui consentissent à le suivre; or, ceux du Portugal eux-mêmes, malgré l'usage plus général de la boussole améliorée par les soins du prince Henri, ne s'avançaient vers le midi de l'Afrique qu'avec crainte, circonspection, et ils osaient à peine perdre la terre de vue. Qu'eût-ce été si on leur avait proposé de s'embarquer pour un voyage dirigé vers l'Ouest jusqu'aux extrémités redoutées de l'Atlantique? Rien, sans doute, ne leur aurait semblé moins praticable ni plus dangereux.

      Il paraît que ce fut alors que Colomb s'adressa au gouvernement de Gênes, sa patrie, pour lui faire part de ses plans et pour les placer sous sa protection. Il regardait cette démarche comme un devoir de cœur et comme la dette sacrée d'un citoyen dévoué avant tout à la gloire, à la prospérité de son pays; il s'y serait rendu immédiatement, si ces offres avaient été acceptées: il n'en fut pas ainsi.

      En Portugal, Alphonse avait succédé au roi Jean Ier; mais ses guerres avec l'Espagne l'occupaient trop pour qu'on pût croire qu'il s'engagerait dans une expédition qu'il jugerait probablement devoir être aussi coûteuse qu'incertaine; aussi, dans la supposition d'un refus, rien ne fut tenté auprès de lui.

      Ce fut en 1480 que Jean II succéda à son tour au roi Alphonse. La passion du prince Henri pour les découvertes remplissait son cœur; sous son règne, l'activité des navigateurs portugais, un moment assoupie, se réveilla; et ce nouvel essor fut secondé par l'imprimerie qui, récemment inventée, abrégeait les communications, propageait les connaissances scientifiques et favorisait les progrès; mais l'impatience de Jean II lui faisait trouver trop de lenteur dans les tentatives de ses navires pour parvenir à l'extrémité Sud de l'Afrique.

      Il était difficile, pourtant, qu'il en fût autrement; car, pour s'avancer vers les parties méridionales de ce continent, il fallait lutter sans cesse, et avec des bâtiments fort imparfaitement installés, contre des calmes prolongés, des courants assez rapides et des vents presque toujours contraires ou même quelquefois violents tels que ceux qui règnent dans ces parages. Aujourd'hui que les navires sont éclairés par l'étude des localités, dès qu'ils ont traversé l'équateur, ils ne luttent pas, en louvoyant, contre les vents dits généraux qui soufflent du Sud-Est, pour se rendre au cap de Bonne-Espérance; mais ils se servent de ce vent pour courir une longue bordée qui les rapproche beaucoup de l'Amérique méridionale, et semble leur faire faire un grand détour, il est vrai, mais qui les porte au delà du tropique du Capricorne; ils trouvent, bientôt alors, des vents d'Ouest; et, en peu de jours, ils arrivent à ce cap renommé, l'ancien Cabo-Tormentoso (cap des Tempêtes) des Portugais, qu'il leur aurait fallu des mois entiers pour atteindre en côtoyant l'Afrique. Au surplus, le nom de cap de Bonne-Espérance, qui fut donné plus tard au Cabo-Tormentoso, pour indiquer l'espoir que l'on avait, et que Diaz et Vasco de Gama réalisèrent en 1486 et 1498, de trouver, en le doublant, une voie

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