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destinée à fixer les priviléges et les droits de l'une des parties intéressées; mais en la lisant attentivement, on y trouve des mots qui ont une immense portée scientifique, et qui prouvent invinciblement que ce n'était pas en aveugle que le savant marin cherchait, par l'Atlantique, une route vers les rivages de l'Inde, mais en homme profond qui croyait très-probable qu'avant d'y arriver, il trouverait des terres interposées.

      Dans les temps contemporains, plus tard même et encore aujourd'hui, il s'est trouvé et il se trouve des esprits envieux qui ont cherché à rabaisser la gloire de l'illustre navigateur qui a découvert le Nouveau-Monde, et qui l'ont traité de rêveur ne pensant obstinément qu'au Cathai, qu'à l'île de Cipango, et ne s'étant rendu en Amérique que par l'effet du hasard ou en cherchant des contrées imaginaires.

      Ces personnes ignorent donc ou feignent d'ignorer la fameuse parole de Colomb qui, pressé d'arguments par un des docteurs de la conférence de Salamanque, lui répondit que si, dans la direction de l'Ouest, l'Atlantique avait d'autres limites que l'Inde, ces limites, il les découvrirait! Mais cette réponse, fût-elle apocryphe, il n'en saurait être de même des stipulations officielles textuellement reproduites quelques lignes plus haut, et qui furent écrites sous la dictée de Colomb par Jean de Coloma; or, on y voit, à deux reprises différentes, les mots «terres ou continents;» on y voit que Colomb s'y réserve des priviléges, des droits sur ces «terres ou continents» qu'il pourra découvrir, et c'est une preuve incontestable qu'il prévoyait parfaitement que quelque terre ou continent pouvait, devait même exister entre l'Asie et la partie occidentale de l'Europe. La découverte de l'Amérique était donc dans ses combinaisons, et l'on peut affirmer, sur le témoignage des stipulations, qu'il l'avait trouvée par ses prévisions longtemps avant qu'il l'eût vue matériellement.

      L'expédition destinée à l'entreprise si chanceuse et si hardie de cette découverte ne fut cependant pas préparée dans l'un des ports principaux de l'Espagne, mais simplement à Palos de Moguer, ce même petit port de l'Andalousie où nous avons vu Colomb aborder en Espagne et aller demander des secours au couvent de la Rabida qui l'avoisinait. Deux raisons le firent choisir: la première, c'est qu'il se trouvait situé en dehors du détroit de Gibraltar, et conséquemment, mieux en position de permettre de prendre le large sans avoir à lutter contre les contrariétés que les navires éprouvent souvent en voulant sortir de la mer Méditerranée; la seconde fut que ce port était frappé d'une condamnation judiciaire par laquelle il était obligé de fournir deux caravelles armées lorsque la couronne d'Espagne l'en requérait.

      Il a été d'usage, en Turquie, d'appeler caravelles des bâtiments d'un assez fort tonnage; mais en Espagne et en Portugal, ce nom n'est ordinairement donné qu'à de très-petits navires ne portant que des voiles latines et naviguant assez bien. Telles n'étaient pourtant pas exactement celles qui durent être armées pour le voyage. Les renseignements manquent sur leur grandeur précise, sur leur forme, sur leur grément; les versions sont même très-contradictoires sur ce point, et il est à regretter qu'aucune recherche n'ait pu l'éclaircir complètement; on en est donc réduit à des conjectures, et voici ce qu'on peut en déduire de plus vraisemblable.

      Les deux caravelles que Palos pouvait alors équiper pour la couronne étaient deux navires de la dimension de quelques-uns de nos grands caboteurs actuels; l'une s'appelait la Santa-Maria, et l'autre la Niña; une troisième leur fut bientôt adjointe, et son nom était la Pinta. La Santa-Maria seule était pontée ou recouverte en planches ou bordages de bout en bout; les deux autres n'avaient que des ponts partiels à l'arrière et à l'avant. Ces parties, dans les trois caravelles, étaient très-relevées au-dessus de l'eau.

      La Santa-Maria, qui devait être montée par Christophe Colomb, était du port de 100 tonneaux et elle était gréée pour porter des voiles carrées; la Niña et la Pinta n'avaient que des voiles latines; elles se trouvaient ainsi dans de très-mauvaises conditions pour pouvoir profiter des vents favorables qu'elles pourraient avoir dans le cours de leur navigation. Le personnel entier n'en excédait pas cent vingt hommes pour les trois navires.

      Voilà quelles furent les ressources exiguës qui furent mises à la disposition de Christophe Colomb, et avec lesquelles, aujourd'hui, on ne tenterait pas la plus mince entreprise de ce genre; voilà les éléments avec lesquels il devait exécuter le plus téméraire des voyages, et qu'il accepta sans hésitation, pensant probablement que son expérience, son habileté, sa vigilance pourraient compenser tout ce que ces éléments avaient d'insuffisant ou de défectueux.

      Mais il n'en fut pas de même dans la population de Palos ni parmi les marins ou les familles des marins qui devaient s'embarquer sur ces caravelles; la nouvelle de cet armement y fit l'effet d'un coup de foudre: là, comme partout ailleurs, on croyait qu'au delà de certaines limites, même assez rapprochées, l'Océan n'était qu'une espèce de chaos; l'imagination s'y représentait des courants et des tourbillons prêts à entraîner les navires à leur perdition, et l'on était même persuadé qu'une fois arrivé à un certain point, on devait immanquablement tomber dans le vide.

      Aussi, un premier ordre de la cour pour armer les caravelles demeura-t-il sans effet; la terreur était si profonde qu'un second ordre plus impératif, autorisant Colomb à agir avec rigueur, fut également méconnu quoiqu'on eût infligé une amende de 200 maravédis par jour de retard. Colomb aurait pu sévir; mais, avec sa sagesse habituelle, il voulut laisser agir le temps; il temporisa donc jusqu'à l'arrivée de Martin-Alonzo Pinzon, qui l'avait si bien compris lors de sa première arrivée à Palos et qu'il attendait prochainement. Alonzo devait, en effet, commander la Pinta, et ce fut avec joie que Colomb le vit se rendre auprès de lui. Les choses commencèrent alors à prendre une tournure plus favorable; les esprits ne revinrent pas entièrement à la vérité, mais ils ne purent être que très-émus en voyant Alonzo, se montrant franc, loyal et résolu comme un vrai marin, fournir à Colomb les fonds nécessaires pour payer, ainsi qu'il s'y était engagé, la huitième partie des frais de l'expédition, accepter le commandement de la Pinta, prendre son frère Francisco-Martin pour second, et solliciter de Colomb le commandement de la Niña pour un autre de ses frères nommé Vincent-Yanez Pinzon.

      Sur l'invitation de Jean Perez de Marchena, Colomb, lors de son retour à Palos, s'était établi au couvent de la Rabida où il reçut l'accueil le plus cordial; Jean Perez ne se borna pas à lui prodiguer les soins de l'hospitalité; il présida, en quelque sorte, aux détails de l'expédition: prenant un intérêt excessif à en voir les voiles se déployer vers un monde inconnu qu'il apercevait déjà des yeux de la foi, comme Colomb l'apercevait de ceux du génie, il s'appliqua, par ses exhortations, à changer les dispositions des esprits parmi les matelots destinés à faire partie des équipages, à calmer les terreurs de leurs familles, à dissiper les préjugés sous l'influence desquels ils étaient; et sa parole persuasive secondant les actes dévoués d'Alonzo Pinzon, on put bientôt remarquer qu'un sentiment favorable commençait à se manifester. D'ailleurs, quand ceux qui étaient le plus opposés au voyage se trouvaient en présence de Colomb, le calme, l'énergie, l'enthousiasme de cet homme extraordinaire qui entraînaient ses amis, faisaient toujours une impression involontaire sur leur cœur.

      C'était le 12 mai qu'il avait quitté la cour avec de pleins pouvoirs pour commander les deux caravelles de Palos qui devaient être prêtes à prendre la mer dans dix jours, pour lever les marins nécessaires à l'armement, pour fréter ou équiper une troisième caravelle; et la seule restriction qui eut lieu, fut qu'il s'abstiendrait d'aborder, soit à la côte de Guinée, soit à toute autre possession des Portugais récemment découverte. Cependant, ce fut à peine si ses navires purent être prêts avant la fin de juillet, tant il eut d'obstacles à surmonter pour déjouer le mauvais vouloir et les sourdes menées qui venaient à l'encontre de ses opérations! Parmi ceux qui se montrèrent le plus récalcitrants, furent Gomez Rascon et Christophe Quintero, propriétaires de la Niña et de la Pinta; mais en opposition à ces noms, l'histoire a enregistré ceux de Sancho Ruiz, de Pedro Alonzo Niño et de Barthélemy Roldan, habiles pilotes qui furent des plus empressés à se rallier à Colomb.

      L'histoire n'a pas oublié, non plus, de recommander aux éloges de la postérité Garcia Fernandez, médecin de Palos, ce même ami de Jean Perez de Marchena qui, consulté par

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