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vous avait assuré devoir être si orageuses, si menaçantes, sont calmes et unies comme la Méditerranée dans ses plus beaux jours: il en sera de même des autres terreurs qu'on a cherché à répandre dans vos esprits! Voguons donc sans inquiétudes et sans soucis comme de vrais marins; avançons-nous avec résolution vers les contrées inconnues où nous envoient nos souverains, ayons enfin la gloire de tracer aux générations futures la route qui conduit aux extrémités de l'univers, et ce sera pour nous la source de tous les biens, de tous les honneurs, de toutes les prospérités!»

      Présumant, toutefois, que les dispositions des équipages de la Pinta et de la Niña étaient semblables à celles des marins de la Santa-Maria, le grand-amiral signala aux commandants Alonzo et Vincent Pinzon de se rendre à son bord. Ils y vinrent et ils lui dirent, en effet, que les murmures prenaient un caractère alarmant, au point de leur faire craindre un soulèvement.

      «Vous devez assez connaître les hommes, leur répondit Colomb, pour savoir que si une trop grande familiarité nuit au respect, un peu de condescendance employée à propos contribue beaucoup à gagner les cœurs; tâchez donc d'agir selon les circonstances, tantôt avec fermeté, tantôt avec bienveillance: surveillez les plus audacieux, soyez affables envers les bons, encouragez-les tous et soutenez leur moral par l'espoir de récompenses non moins que par la perspective de la gloire ou des honneurs qui les attendent.»

      Les deux commandants s'engagèrent à suivre cette ligne de conduite, mais en exprimant la crainte qu'il leur fût bien difficile de s'opposer à la volonté que leurs matelots commençaient à exprimer de s'emparer des bâtiments et de retourner à Palos.

      «N'y consentez jamais, leur répondit Colomb avec véhémence: ce serait un opprobre pour vous. Dites-leur, s'ils semblent vouloir se porter à quelques excès, que je connais leurs noms, que je sais leurs projets et que je les menace de toute ma sévérité, de toute la rigueur des lois, de tout le courroux de nos souverains. Ajoutez que s'ils venaient, par malheur pour eux, à céder à leurs folles terreurs, ils feraient acte de lâche pusillanimité, et qu'au lieu de l'illustration et du renom qui seront leur partage s'ils restent fidèles à leur devoir, ils seront, en arrivant en Espagne, jugés, condamnés comme des traîtres, et qu'ils termineront dans la honte et dans la prison le reste de leurs jours déshonorés. En un mot, soyez vigilants, soyez fermes, résistez à propos; surtout ne transigez jamais avec la révolte, et gardez-vous de pactiser avec la sédition.»

      Puis, prenant un ton moins sévère, il termina ainsi cet entretien:

      «Quant à notre navigation, marchons toujours de conserve; suivez-moi d'aussi près que vous le pourrez, et si, par quelque circonstance fâcheuse, nous nous trouvons séparés, vous continuerez à gouverner à l'Ouest; lorsqu'à partir de l'île de Fer, il y aura près de mille lieues de parcourues sur cet air-de-vent, redoublez de surveillance, sondez souvent, tenez compte de tous les pronostics qui s'offriront à vous, mais si vous prévoyez quelque danger à faire du chemin pendant la nuit, mettez alors en panne et reprenez votre route au retour du jour jusqu'à ce qu'enfin vous ayez vu la terre que vous devez immanquablement découvrir! En agissant ainsi, cela convenu et ces points expliqués, prenons congé les uns des autres; embrassons-nous, mes chers amis, et à la garde de Dieu qui m'a inspiré dans mes projets!»

      Ce mélange de fermeté et de douceur, la résolution inébranlable du grand-amiral portée à la connaissance de l'équipage de la Santa-Maria par Garcia Fernandez et par don Pedro Guttierez présents à l'entrevue, ramenèrent un peu l'esprit des marins, et le temps magnifique dont l'expédition continua à jouir y contribua aussi beaucoup.

      Le dimanche 15 septembre, la messe fut célébrée avec la ponctualité accoutumée; le soir, les matelots se réunirent encore pour la prière qui fut mêlée de chants religieux: les caravelles avaient, pour ce moment de la journée, l'ordre de se rapprocher le plus possible de la Santa-Maria, qui occupait le centre dans la ligne de front qu'elles suivaient alors, et elles formaient ainsi une sorte de temple à ciel découvert au milieu de ces vastes mers infréquentées jusque-là. L'espérance, la gaieté qui rayonnaient sur tous les visages, furent accrues par un cri de la vigie qui montra l'avant comme si elle apercevait quelque chose à l'horizon. Les yeux se portèrent dans cette direction, et l'on vit effectivement comme un vaste champ d'herbes marines d'un vert luisant qui couvraient un espace immense. Colomb s'empressa de faire sonder; quand il se fut assuré que le fond était toujours à une profondeur inaccessible à la sonde, il pensa qu'il ne devait y avoir aucune terre de quelque étendue dans le voisinage, et que ces herbes n'avaient pas été détachées de rochers situés dans l'Occident, d'autant qu'il avait fort bien remarqué que les courants de ces parages suivaient la direction de l'Est à l'Ouest; mais il n'en avait fait part à personne, dans la crainte de faire naître de nouvelles appréhensions.

      Il avait même le soin d'altérer tous les jours un peu en moins la longueur de la route qu'il faisait, et son estime ostensible du chemin total parcouru le plaçait toujours ainsi, moins loin des îles Canaries qu'il ne l'était réellement; il espérait par là que les inquiétudes seraient d'autant moins grandes parmi ses marins, qu'ils se croiraient moins avancés dans l'immensité des mers qu'ils parcouraient.

      Mais la vue de ces herbes impressionna différemment les équipages des trois caravelles; ils se persuadèrent facilement qu'elles étaient l'annonce d'une terre peu distante dans l'Occident, d'où elles avaient été arrachées par les vents et transportées au large par les lames de la mer; ils échangèrent donc des cris de joie, des paroles d'espérance que Colomb se garda bien de contrarier; et ceux qui précédemment avaient été le plus sur le point de se livrer au désespoir, s'abandonnèrent le plus aussi à des transports d'allégresse inouïs.

      On a souvent remarqué que ce ne fut pas le moindre des mérites de Christophe Colomb que d'avoir réussi dans son entreprise, avec les instruments nautiques de l'époque et dans l'état d'enfance où la science de la navigation était alors. La boussole était en usage, à la vérité, mais on n'avait encore observé ni l'inclinaison de l'aiguille aimantée, ni seulement sa déclinaison ou variation qui importe beaucoup plus aux marins. On ignorait donc qu'elle déviait du Nord, non-seulement dans le même pays et à des époques différentes ou même sous certaines influences, mais encore selon les latitudes, surtout selon les longitudes où l'on se trouvait, et qu'il pouvait y avoir entre deux points du globe et au même instant, une différence de direction de l'aiguille aimantée qui pouvait aller jusqu'à 25 degrés et même au delà.

      La première fois que Colomb soupçonna cette irrégularité, ç'avait été dans la soirée du 13 septembre, au coucher du soleil; il s'en émut et il continua pendant plusieurs jours à comparer l'air-de-vent donné par la boussole avec celui où devait se trouver le soleil, soit à son lever ou à son coucher, soit à midi, et il fit aussi plusieurs comparaisons avec l'étoile polaire. Ces observations confirmèrent sa première remarque, et, comme il vit que l'irrégularité allait en croissant, il comprit que ce pourrait être à bord un sujet d'inquiétudes; il se garda donc bien d'en rien communiquer à qui que ce fût, et il se contenta de diriger sa route en conséquence.

      Toutefois, les pilotes des caravelles ne manquèrent pas de constater ces différences lorsqu'elles eurent acquis une certaine gravité; ils s'en alarmèrent, ils divulguèrent leurs craintes, et, bientôt, les équipages se croyant près d'arriver dans des contrées où les lois de la nature étaient totalement interverties, se laissèrent aller à un véritable désespoir.

      Le grand-amiral fit encore preuve, en cette circonstance, d'une grande habileté; il réunit les pilotes, les blâma de n'en avoir pas conféré avec lui avant d'en parler aux équipages, il leur dit avec assurance que l'aiguille aimantée n'avait pas varié, mais que l'étoile polaire, comme le soleil, comme tous les autres corps célestes, avait des mouvements particuliers; enfin, que c'était à ces mouvements et non à une irrégularité de la boussole, qu'on devait attribuer ces différences. Il leur montra alors son journal, il leur fit voir qu'il y avait noté ces mêmes différences, qu'il en avait tenu compte, mais qu'il ne s'en était nullement inquiété, et qu'il les engageait à en faire autant, à s'en rapporter à lui qui avait passé sa vie à étudier les phénomènes du ciel, et à faire connaître ces explications aux matelots, qui revinrent alors un peu de leur frayeur, d'autant qu'ils avaient

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