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débarquâmes à Brighton. Le hasard y fit retrouver à ma mère madame Fitzherbert qui se promenait sur la jetée. Quelques années avant, fuyant les empressements du prince de Galles, elle était venue à Paris. Ma mère, qui était sa cousine, l'y avait beaucoup vue. Depuis, la bénédiction d'un prêtre catholique ayant sanctifié ses rapports avec le prince sans les rendre légaux, elle vivait avec lui dans une intimité à laquelle tous deux affectaient de donner les formes les plus conjugales. Ils habitaient, en simples particuliers, une petite maison à Brighton. Mes parents y furent accueillis avec empressement, et cette circonstance les engagea à y passer quelques jours.

      Je me rappelle avoir été menée un matin chez madame Fitzherbert: elle nous montra le cabinet de toilette du prince; il y avait une grande table toute couverte de boucles de souliers. Je me récriai en les voyant et madame Fitzherbert ouvrit, en riant, une grande armoire qui en était également remplie; il y en avait pour tous les jours de l'année. C'était l'élégance du temps, et le prince de Galles était le plus élégant des élégants. Cette collection de boucles frappa mon imagination enfantine et, pendant longtemps, le prince de Galles ne s'y représentait que comme le propriétaire de toutes ces boucles.

      Mes parents furent très fêtés en Angleterre. Les français y allaient rarement dans ce temps; ma mère était une jolie femme à la mode, sa famille la combla de prévenances. Nous allâmes passer les fêtes de Noël chez le comte de Winchilsea, dans sa belle terre de Burleigh. Il me semble que toute cette existence était très magnifique, mais j'étais trop accoutumée à voir de grands établissements pour en être frappée.

      La mère de lord Winchilsea, lady Charlotte Finch, était gouvernante des princesses d'Angleterre. Je vis les trois plus jeunes chez elle plusieurs fois. Elles étaient beaucoup plus âgées que moi et ne me plurent nullement. La princesse Amélie m'appela little thing, ce qui me choqua infiniment. Je parlais très bien anglais, mais je ne savais pas encore que c'était un terme d'affection.

      CHAPITRE IV

Retour en France. – Position de mon père en 1790. – Aventure pendant un voyage en Corse. – Séjour aux Tuileries. – Rencontre de la Reine; scène touchante. – Départ de Mesdames. – Fuite de Varennes. – Récit de la Reine. – Louis XVI désapprouve l'émigration. – Acceptation de la Constitution. – Opinions de mon père. – Il donne sa démission. – Bonté du Roi pour lui. – Départ de France et arrivée à Rome. – L'abbé d'Osmond massacré à Saint-Domingue. – Le vicomte d'Osmond rejoint l'armée des princes

      Au mois de janvier 1790, mon père retourna en France. Trois mois après, nous l'y rejoignîmes. J'ai oublié de dire qu'il avait quitté l'armée, en 1788, pour entrer dans la carrière diplomatique. Préalablement, il avait été colonel du régiment de Barrois infanterie, en garnison en Corse. Il y allait tous les ans.

      Un de ces voyages donna lieu à un épisode bien peu important alors, mais qui est devenu piquant depuis. Il était à Toulon logé chez monsieur Malouet, intendant de la marine et son ami, attendant que le vent changeât et lui permît de s'embarquer, lorsqu'on lui annonça un gentilhomme corse demandant à le voir. Il le fit entrer; après quelques politesses réciproques, ce monsieur lui dit qu'il désirait retourner le plus promptement possible à Ajaccio, que, la seule felouque qui fût dans le port étant nolisée par mon père, il le priait de permettre au patron de l'y laisser prendre son passage:

      «Cela m'est impossible, monsieur, la felouque est à moi, mais je serai très heureux de vous y offrir une place.

      – Mais, monsieur le marquis, je ne suis pas seul, j'ai mon fils avec moi et même ma cuisinière que je ramène.

      – Hé bien, monsieur, il y aura une place pour vous et votre monde.»

      Le Corse se confondit en remerciements. Le vent changea au bout de quelques jours pendant lesquels il vint fréquemment voir mon père. On s'embarqua. Lorsqu'on servit le dîner, auquel mon père invita les passagers composés de quelques officiers de son régiment et des deux Corses, il chargea un officier, monsieur de Belloc, d'appeler le jeune homme, vêtu de l'habit de l'École militaire, qui lisait au bout du bateau. Celui-ci refusa. Monsieur de Belloc revint irrité, il dit à mon père:

      «J'ai envie de le jeter à la mer, ce petit sournois, il a une mauvaise figure. Permettez-vous, mon colonel?

      « – Non, dit mon père en riant, je ne permets pas, je ne suis pas de votre avis, il a une figure de caractère; je suis persuadé qu'il fera son chemin.»

      Ce petit sournois, c'était l'empereur Napoléon. Et, cette scène, Belloc me l'a racontée dix fois: «Ah! si mon colonel avait voulu me permettre de le jeter à la mer, ajoutait-il en soupirant, il ne culbuterait pas le monde aujourd'hui!» (Il est inutile d'avertir que ce propos d'émigré se tenait longtemps après).

      Le lendemain de l'arrivée à Ajaccio, monsieur Buonaparte le père, accompagné de toute sa famille, vint faire une visite de remerciements à mon père. C'est de ce jour qu'ont commencé ses relations avec Pozzo di Borgo. Mon père rendit une visite à madame Buonaparte. Elle habitait à Ajaccio une petite maison des meilleures de la ville, sur la porte de laquelle était écrit en coquilles d'escargot: Vive Marbeuf. Monsieur de Marbeuf avait été le protecteur de la famille Buonaparte. La chronique disait que madame Buonaparte en avait été fort reconnaissante. Lors de la visite de mon père, elle était encore une très belle femme: il la trouva dans sa cuisine, sans bas, avec un simple jupon attaché sur une chemise, occupée à faire des confitures. Malgré sa beauté, elle lui parut digne de son emploi.

      Après avoir été chargé d'une commission relative aux Hollandais réfugiés en 1788, mon père fut nommé ministre à la Haye, et il était dans cette situation lors de notre séjour en Angleterre. Une querelle entre le prince d'Orange et l'ambassadeur de France avait fait décider à la Cour de Versailles qu'elle n'enverrait plus qu'un ministre en Hollande. La République ne voulait recevoir qu'un ambassadeur. Cette tracasserie empêchait mon père de se rendre à son poste; il prenait d'autant plus patience qu'il espérait arriver par là au rang d'ambassadeur qu'il n'aurait pu avoir d'emblée.

      La ville de Versailles avait fait des réflexions sur le dommage que lui causait l'absence de la Cour. L'effervescence s'était calmée, et elle regrettait les tristes journées d'octobre. Au retour de ma mère, elle fut on ne saurait mieux accueillie par ceux-là mêmes qui déblatéraient le plus contre elle à son départ; toutefois nous n'y restâmes pas longtemps. Nous commençâmes par aller passer l'été à Bellevue; et nous habitâmes, l'hiver suivant, un appartement dans le pavillon de Marsan, aux Tuileries.

      J'ai parfaitement présente une scène de cet été. Je n'avais pas vu la Reine depuis bien des mois. Elle vint à Bellevue sous l'escorte de la garde nationale; j'étais élevée dans l'horreur de cet habit. La Reine, je crois, était déjà à peu près prisonnière, car ce monde ne la quittait jamais. Toujours est-il que, lorsqu'elle m'envoya chercher, je la trouvai sur la terrasse entourée de gardes nationaux. Mon petit cœur se gonfla à cet aspect et je me mis à sangloter. La Reine s'agenouilla, appuya son visage contre le mien et les voilà tous deux de mes longs cheveux blonds, en me sollicitant de cacher mes larmes. Je sentis couler les siennes. J'entends encore son «paix, paix, mon Adèle»; elle resta longtemps dans cette attitude.

      Tous les spectateurs étaient émus, mais il fallait l'incurie de l'enfance pour oser le témoigner dans ces moments où tout était danger. Je ne sais si cette scène fut rapportée, mais la Reine ne revint plus à Bellevue, et c'est la dernière fois que je l'aie vue autrement que de loin pendant mon séjour aux Tuileries. J'ai conservé de ce moment une impression qui est encore très vive. Je peindrais son costume. Elle était en Pierrot de linon blanc, brodé en branches de lilas de couleur, un fichu bouffant, un grand chapeau de paille dont les larges rubans lilas flottants se rattachaient par un gros nœud à l'endroit où le fichu croisait.

      Pauvre princesse, pauvre femme, pauvre mère, à quel affreux sort elle était réservée! Elle se croyait bien malheureuse alors, ce n'était que le commencement de ses peines! Son fils, le second Dauphin, l'avait accompagnée à Bellevue, et il jouait avec mon frère dans le sable. Les gardes nationaux se mêlaient à ces

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