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amena une demande d'argent; il fut donné; madame de Narbonne fut charmante le soir. La bonne princesse, cherchant à voiler sa faiblesse, dit en se retirant à ma mère que madame de Narbonne lui avait fait des excuses de la grognerie de la veille; elle n'ajouta pas comment elle l'avait calmée, mais c'était le secret de la comédie. Le comte Louis était le premier à en rire, et cela simplifiait sa position; car, dans ce temps, tout travers, tout vice, toute lâcheté, franchement acceptés et avoués avec des formes spirituelles, étaient assurés de trouver indulgence.

      La princesse devait être reconduite de chez madame de Narbonne chez elle, dans l'intérieur du château, par sa dame de service. Souvent elle en dispensait, surtout quand il faisait froid, parce qu'elle allait toujours à pied et que les dames circulaient habituellement dans les corridors et les antichambres en chaise à porteurs. Ces chaises étaient fort élégantes, dorées, avec les armes sur les côtés. Celles des duchesses avaient le dessus couvert en velours rouge, et elles pouvaient avoir des porteurs à leur livrée; les autres dames avaient des porteurs attitrés, mais avec la livrée du Roi, ce qu'on appelait, en termes de Cour, des porteux bleus, car c'est porteux qu'il fallait dire.

      Pendant presque toute une année, madame Adélaïde avait pris l'habitude de faire entrer ma mère et souvent mon père chez elle, en sortant de chez madame de Narbonne. Elle prenait goût à des conversations plus sérieuses. Mais la dame d'honneur fut avertie, la princesse grondée, et elle avoua tout franchement qu'elle n'osait plus.

      C'est dans une de ces causeries qu'elle raconta à mon père l'échec reçu par sa curiosité au sujet du Masque de fer. Elle avait engagé son frère, monsieur le Dauphin, à s'enquérir au Roi de ce qui le concernait pour le lui dire. Monsieur le Dauphin interrogea Louis XV. Celui-ci lui dit: «Mon fils, je vous le dirai, si vous voulez, mais vous ferez le serment que j'ai prêté moi-même de ne divulguer ce secret à personne.»

      Monsieur le Dauphin avoua ne désirer le savoir que pour le communiquer à sa sœur Adélaïde, et dit y renoncer. Le Roi lui répliqua qu'il faisait d'autant mieux que ce secret, auquel il tenait parce qu'on le lui avait fait jurer, n'avait jamais été d'une grande importance et n'avait plus alors aucun intérêt. Il ajouta qu'il n'y avait plus que deux hommes vivants qui en fussent instruits, lui et monsieur de Machault.

      La princesse apprit aussi à mon père comment monsieur de Maurepas s'était fait ministre.

      À la mort de Louis XV, ses filles, qui l'avaient soigné pendant sa petite vérole, devaient, selon l'inexorable étiquette, être séparées du nouveau Roi. Celui-ci, à qui son père le Dauphin avait recommandé de toujours prendre les conseils de sa tante Adélaïde, lui écrivit pour lui demander à qui il devait confier le soin de ce royaume qui lui tombait sur les bras. Madame Adélaïde lui répondit que monsieur le Dauphin n'aurait pas hésité à appeler monsieur de Machault. On expédia un courrier à monsieur de Machault.

      Nouveau billet du Roi: Que fallait-il décider pour les funérailles? quelles étaient les étiquettes? à qui s'adresser? Réponse de madame Adélaïde: Personne n'était plus propre par ses souvenirs et ses traditions que monsieur de Maurepas à se charger de ces détails. Le courrier pour monsieur de Machault n'était pas encore parti. La terre de monsieur de Machault est à trois lieues au delà de Pontchartrain, par des chemins alors affreux. On le chargea de remettre en passant la lettre pour monsieur de Maurepas.

      Le vieux courtisan, ennuyé de son exil, arriva immédiatement. Le Roi l'attendait avec impatience; il le fit entrer dans son cabinet. Pendant qu'il s'entretenait avec lui, on vint avertir que le conseil était assemblé. L'usage voulait que chaque ministre fût averti chaque fois par l'huissier. Le manque de cette formalité fermait l'entrée du conseil; c'était l'équivalent d'un renvoi. L'huissier du conseil, voyant monsieur de Maurepas dans cette intimité avec le nouveau Roi et sachant qu'il avait été mandé, le regarda en hésitant; le Roi ne dit rien, mais se troubla. Monsieur de Maurepas salua comme s'il avait reçu le message; le Roi passa sans oser lui dire adieu. Monsieur de Maurepas suivit, s'assit au conseil et gouverna la France pendant dix ans.

      Lorsque monsieur de Machault arriva, quelques heures après, la place était prise. Le Roi lui dit quelques lieux communs, lui adressa des compliments et le laissa repartir. Madame Adélaïde s'affligea, se plaignit, mais elle et son neveu étaient Bourbon, comme elle disait, et n'avaient assez d'énergie, ni pour résister aux volontés des autres, ni pour s'y associer pleinement.

      Si Thoiry avait été en deça de Pontchartrain, peut-être n'y aurait-il pas eu de révolution en France. Monsieur de Machault était un homme sage, qui aurait su tirer meilleur parti des vertus de Louis XVI que le courtisan spirituel, mais léger et immoral, auquel il confia son sort. Ce n'est pas que monsieur de Maurepas ne fût l'homme qui convînt le mieux aux goûts, si ce n'est aux besoins du moment.

      J'ai dit que, dans ce temps, avec de l'esprit, on faisait tout passer; l'esprit jouait alors le rôle qu'on accorde au talent aujourd'hui. Je veux rapporter quelques-unes des anecdotes que j'ai entendu raconter à ma mère qui poussait la moralité jusqu'à la pruderie, sans que, bien des années après, ces faits lui parussent autre chose qu'une malice spirituelle.

      Le vicomte de Ségur, l'homme le plus à la mode de ce temps, faisait d'assez jolis petits vers de société dont sa position dans le monde était le plus grand mérite. Monsieur de Thiard, impatienté et peut-être jaloux de ses succès, fit à son tour une pièce de vers où il conseillait à monsieur de Ségur d'envoyer ses ouvrages au confiseur, ayant, disait-il, prouvé qu'il avait tout juste l'esprit qu'on peut mettre dans une pastille. Monsieur de Ségur affecta de rire de cette épigramme, mais résolut de s'en venger.

      Or, il y avait en Normandie une madame de Z… très belle personne, habitant son château, y vivant décemment avec son mari et jouissant d'une assez grande considération, malgré ses rapports avec monsieur de Thiard qu'on disait fort intimes et qui duraient depuis plusieurs années. Celui-ci passait pour l'aimer passionnément. Le vicomte profita de son crédit; son père était ministre de la guerre, fit envoyer son régiment en garnison dans la ville voisine du château de madame de Z… joua son rôle parfaitement, feignit une passion délirante et, après des assiduités qui durèrent plusieurs mois, parvint à plaire et enfin à réussir.

      Bientôt madame de Z… se trouva grosse; son mari était absent et même monsieur de Thiard. Elle annonça au vicomte son malheur. La veille encore, il lui témoignait le plus ardent amour; mais, ce jour-là, il lui répondit que son but était atteint, qu'il ne s'était jamais soucié d'elle. Seulement, il avait voulu se venger du sarcasme de monsieur de Thiard, et lui montrer que son esprit était propre à autre chose qu'à faire des distiques de confiseur. En conséquence, il lui baisait les mains, elle n'entendrait plus parler de lui. En effet, il partit sur-le-champ pour Paris, racontant son histoire à qui voulait l'entendre.

      Madame de Z… honnie de son mari, déshonorée dans sa province, brouillée avec monsieur de Thiard, mourut en couches. Monsieur de Z… fut obligé de reconnaître ce malheureux enfant que nous avons vu dans le monde, madame Léon de X… et que l'esprit d'intrigue qu'elle possédait rendait bien digne de son père. Jamais le vicomte de Ségur n'a pu s'apercevoir qu'une pareille aventure, dont il se vantait tout haut, choquât qui que ce soit.

      Voici un autre genre:

      Monsieur de Créqui sollicitait une grâce de la Cour, et, en conséquence, faisait la sienne à monsieur et à madame de Maurepas. Une de ses obséquiosités était de faire chaque soir la partie de la vieille et très ennuyeuse madame de Maurepas; aussi elle le soutenait vivement, et ses importunités avaient crédit sur monsieur de Maurepas. Le jour même où la grâce fut obtenue, monsieur de Créqui vint chez madame de Maurepas. Madame de Flamarens, nièce de madame de Maurepas et qui faisait les honneurs de la maison, offrit une carte à monsieur de Créqui, comme à l'ordinaire. Celui-ci, s'inclinant, répondit avec un sérieux de glace: «Je vous fais excuse, je ne joue jamais.» Et, en effet, il ne fit plus la partie de madame de Maurepas. Cette bassesse, couverte par le piquant de la forme, ne blessa point, et personne n'en riait de meilleur cœur que le vieux ministre.

      Monsieur de Maugiron était colonel d'un superbe régiment, mais il avait l'horreur, ou plutôt l'ennui de tout ce qui était militaire, et passait pour n'être

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