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dîner, les officiers de son régiment lui en firent compliment: «Mon Dieu, messieurs, vous voyez bien que, lorsque je veux, je m'en tire comme un autre. Mais cela me paraît si désagréable et surtout si bête que je me suis bien promis que cela ne m'arriverait plus. Vous m'avez vu au feu; gardez-en bien la mémoire, car c'est la dernière fois.»

      Il tint parole. Quand son régiment chargeait, il se mettait de côté, souhaitait bon voyage à ses officiers et disait bien haut: «Regardez donc ces imbéciles qui vont se faire tuer.» Malgré cela, monsieur de Maugiron n'était pas un mauvais officier; son régiment était bien tenu, se conduisait toujours à merveille dans toutes les affaires, et ce bizarre colonel y était aimé et même considéré.

      C'est à lui que sa femme, très spirituelle personne, écrivait cette fameuse lettre:

      «Je vous écris parce que je ne sais que faire et je finis parce que je ne sais que dire.

«Sassenage de Maugiron,bien fâchée de l'être.»

      On ne savait pas se refuser une repartie spirituelle. Le maréchal de Noailles s'était très mal montré à la guerre, et sa réputation de bravoure en était restée fort suspecte. Un jour où il pleuvait, le Roi demanda au duc d'Ayen si le maréchal viendrait à la chasse. «Oh! que non, Sire, mon père craint l'eau comme le feu.» Ce mot eut le plus grand succès.

      Je n'ai voulu rapporter ces divers faits, faciles à multiplier, que pour prouver combien dans ces temps qu'on nous représente plus moraux que les nôtres, dans ces temps où la société était, disait-on, un tribunal dont tout le monde ressortissait, l'esprit et surtout l'impudence suffisaient pour éviter les sentences qu'elle aurait portées probablement contre des torts moins spirituellement affichés.

      J'ai dit que madame de Civrac était dame d'honneur de madame Victoire. Sa vie est un roman.

      Mademoiselle Monbadon, fille d'un notaire de Bordeaux, avait atteint l'âge de vingt-cinq ans. Elle était grande, belle, spirituelle et surtout ambitieuse. Elle fut recherchée en mariage par un hobereau du voisinage qui s'appelait monsieur de Blagnac. Il était garde du corps. Cet homme était pauvre, fort rustre, incapable d'apprécier son mérite, mais désirait partager une très petite fortune qu'elle devait hériter de son père. La personne qui traitait le mariage fit valoir la naissance de monsieur de Blagnac; il était de la maison de Durfort. Mademoiselle Monbadon se fit apporter les papiers et, satisfaite de cette inspection, épousa monsieur de Blagnac.

      Ajoutant un léger bagage au portefeuille où elle enferma les parchemins généalogiques, elle s'embarqua dans la diligence, avec son mari, et arriva à Paris. Sa première visite fut pour Chérin; elle lui remit ses papiers, le pria de les examiner scrupuleusement. Quelques jours après, elle revint les chercher et obtint l'assurance que la filiation de monsieur de Blagnac avec la branche de Durfort-Lorge était complètement établie. Elle s'en fit délivrer le certificat, et commença à se faire appeler Blagnac de Civrac. Elle écrivit au vieux maréchal de Lorge pour lui demander une entrevue. Elle lui dit très modestement n'être qu'en passant à Paris; elle croyait que son mari avait l'honneur de lui appartenir. De si loin que ce pût être, c'était un si grand honneur, un si grand bonheur qu'elle ne voulait pas retourner dans l'obscurité de sa province sans l'avoir réclamé. Si elle osait pousser sa prétention jusqu'à être reçue une fois par madame la maréchale, sa reconnaissance serait au comble. Le maréchal se laissa prendre à ces paroles doucereuses, sans trop reconnaître la parenté sur laquelle elle n'insista pas. Elle fut admise à faire une visite. Elle s'y conduisit adroitement. Elle obtint la permission de revenir pour prendre congé, elle revint. Le départ était retardé, elle revint encore. Elle ne partit pas du tout. Bientôt la maréchale en raffola; assise sur un petit tabouret à ses pieds, elle travaillait à la même tapisserie et devint habituée de la maison. Le mari ne paraissait guère. Un jour, son crédit étant déjà établi, elle entendit parler légèrement de l'état de garde du corps; elle leva la tête avec une mine étonnée. Quand elle fut seule avec les de Lorge, elle dit: «Monsieur le maréchal, j'ai peur que, dans notre ignorance provinciale, nous ne soyons coupables d'un grand tort envers vous, puisqu'un de vos parents est garde du corps. Cela est donc inconvenant?» Monsieur de Lorge répondit amicalement, mais en déclinant doucement la parenté. «Mon Dieu, dit-elle, je n'entends rien à tout cela, mais je vous apporterai les papiers de mon mari.» En effet, elle apporta les papiers bien en règle et le certificat de Chérin. Il n'y avait rien à dire contre; et d'ailleurs, on n'en avait plus envie.

      Le mari fut retiré des gardes du corps, placé dans un régiment et envoyé en garnison. La femme eut un petit entresol à l'hôtel de Lorge. Le maréchal de Lorge n'avait pas de fils. Le maréchal de Duras n'en avait qu'un qui déjà promettait d'être un détestable sujet. La grossesse de madame de Blagnac commença à être soignée; le petit tabouret devint un fauteuil. Bientôt on ne l'appela plus que madame de Civrac, second titre de la branche de Lorge. Enfin, au bout de peu de mois, elle était si bien impatronisée dans la maison qu'elle y disposait de tout, mais en conservant toujours les égards les plus respectueux pour monsieur et madame de Lorge. Les Duras partagèrent l'engouement qu'elle inspirait.

      Lorsque la maison de madame Victoire fut formée, elle fut nommée une de ses dames; bientôt elle devint sa favorite, puis sa dame d'honneur. Elle fut, à cette occasion, nommée duchesse de Civrac.

      Elle avait toujours conservé les meilleurs rapports avec son mari qu'elle comblait de marques de considération, mais qui était trop butor pour pouvoir en tirer parti quand il était présent. Elle réussit à le faire nommer ambassadeur à Vienne; il eut la bonne grâce d'y mourir promptement. C'est la seule preuve d'intelligence qu'il eût donnée de sa vie. Il la laissa mère de trois enfants, un fils, depuis duc de Lorge et héritier de la fortune de cette branche des Durfort, et deux filles, mesdames de Donissan et de Chastellux.

      Madame de Civrac, aussi habile que spirituelle, dès qu'elle fut parvenue à cette haute fortune, voulut patroniser à son tour. Elle se fit la protectrice de la ville de Bordeaux. Tout ce qui en arrivait était sûr de trouver appui auprès d'elle, et elle réussit par là à changer la situation de sa propre famille. Les Monbadon devinrent petit à petit messieurs de Monbadon. Son neveu entra au service, fut nommé colonel et finit par être presque un seigneur de la Cour. C'est après ce succès, dans l'apogée de sa grandeur, qu'elle se trouvait aux eaux des Pyrénées. On y reçut une liste de promotions de colonels. Madame de Civrac s'étendit fort sur l'inconvenance des choix. Une vieille grande dame de province lui répondit: «Que voulez-vous, madame la duchesse, chacun a son badon

      Tout avait réussi à l'ambitieuse madame de Civrac, mais elle était insatiable. Déjà fort malade, elle croyait avoir amené à un terme prochain le mariage de son fils, le duc de Lorge, avec mademoiselle de Polignac dont la mère était alors toute-puissante, et y mettait pour condition la place de capitaine des gardes pour ce fils tout jeune encore. Au moment de conclure, madame de Gramont, également intrigante, alla sur ses brisées. Elle avait auprès de la Reine le mérite d'avoir été exilée par Louis XV pour une insolence faite à madame Dubarry. Ses prétentions étaient soutenues par les Choiseul; la Reine donna la préférence à son fils et fit pencher la balance.

      Madame de Civrac apprit subitement que le jeune Gramont, sous-lieutenant dans un régiment, était arrivé à Versailles, qu'il était créé duc de Guiche, capitaine des gardes, et que son mariage avec mademoiselle de Polignac était déclaré. Elle en eut une telle colère que son sang s'enflamma, et, en quarante-huit heures, elle expira d'une maladie qui n'annonçait pas une terminaison aussi rapide. Madame Victoire, très affligée de cette perte, promit à la mère de nommer madame de Chastellux sa dame d'honneur. Madame de Donissan était déjà sa dame d'atours.

      Cette madame de Donissan, qui vit encore à l'âge de quatre-vingt-douze ans, est la mère de madame de Lescure. Toutes deux ont acquis une honorable et triste célébrité dans la première guerre de la Vendée à laquelle elles ont pris la part la plus active, sans sortir du caractère de leur sexe. Les mémoires de madame de Lescure sur ces événements racontent d'une façon aussi touchante que véridique la gloire et les malheurs de cette campagne. Ils ont été rédigés par monsieur de Barante, sur les récits de madame de Lescure (devenue madame de La Rochejaquelein), pendant qu'il était préfet du Morbihan.

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