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des Tuileries furent en complète hostilité avec les chefs de Coblentz.

      La Reine, avec l'approbation du Roi, entretenait une correspondance dont le baron de Breteuil, alors à Bruxelles, était le principal agent, et qui avait pour premier but d'éloigner les cabinets étrangers de prêter les mains aux intrigues des princes. On se cachait pour cela de madame Élisabeth qui penchait pour les opinions de ses frères, de façon que, même dans l'intérieur de ce triste château, la confiance n'était pas complète.

      Mon père était l'intermédiaire de la correspondance de la Reine avec monsieur de Breteuil. Il portait ses lettres chez monsieur de Mercy; et, quelquefois, lorsqu'on craignait d'exciter l'attention par des visites trop fréquentes, c'était Bermont qui allait les recevoir des mains de la Reine. Mon père a eu la certitude qu'une somme de soixante mille francs lui avait été offerte pour livrer ces papiers. S'il avait remis une de ces lettres de la Reine qu'il savait porter, certes il aurait pu la vendre bien cher.

      La situation de la famille royale devenait de jour en jour plus intolérable. Le Roi consentit enfin à reconnaître et à jurer la Constitution. Que ceux qui l'accusent de faiblesse se mettent à sa place avant de le condamner. Mon père ne se l'est jamais permis; mais il a fortement désapprouvé le plan suivi par lequel il devait apporter tous les obstacles possibles à la Constitution qu'il venait d'accepter:

      «Puisque vous l'avez jurée, Sire, disait-il, il faut la suivre loyalement, franchement, l'exécuter en tout ce qui dépend de vous.

      « – Mais elle ne peut pas marcher.

      « – Hé bien, elle tombera, mais il ne faut pas que ce soit par votre faute.»

      Dans ces nouveaux prédicaments, mon père blâma hautement la correspondance de la Reine avec Bruxelles. Elle eut l'air de l'écouter, de se ranger à son avis; mais elle se cacha seulement de lui, et trouva un autre agent, sans pourtant lui en savoir mauvais gré, ni lui retirer sa confiance sur d'autres points.

      Ces pauvres princes ne voulaient suivre complètement les avis de personne, et cependant accueillaient et acceptaient en partie tous ceux qu'on leur donnait. Il en résultait dans leur conduite un décousu qui se traduisait aisément en fausseté aux yeux de leurs ennemis et en lâcheté vis-à-vis de leurs soi-disant amis des bords du Rhin; car, il ne faut pas l'oublier, Coblentz a été aussi fatal et presque aussi hostile à Louis XVI que le club des Jacobins.

      La mission que mon père avait dû remplir, si la fuite du Roi avait réussi, était annulée par l'arrestation de Varennes. Il demanda à Sa Majesté la permission de donner sa démission du poste de Pétersbourg. Dans son opinion, le Roi, ayant accepté la Constitution, ne devait se servir que de ce qu'on appelait les patriotes, de gens qui avaient la réputation aussi bien que la volonté d'y être attachés. Mon père, aristocrate prononcé, tel raisonnable qu'il pût être, n'était plus qu'un embarras, et il témoigna l'intention d'aller rejoindre ma mère à Rome.

      Le Roi l'y autorisa, en ajoutant que, lorsque le temps des honnêtes gens et des sujets fidèles serait revenu, il saurait où le retrouver. Il le remercia de ne point faire le projet d'aller à Coblentz. La Reine surtout insista beaucoup pour qu'il prît la route de l'Italie:

      «Vous êtes à nous, monsieur d'Osmond; nous voulons vous conserver.»

      Le bon sens du Roi avait compris tout le danger de l'émigration comme elle existait en Allemagne, et mon père partageait trop ses opinions pour être tenté de s'y rendre. Au reste, il aurait été probablement mal reçu, car tous ceux qui, au risque de leur vie, se dévouaient au service du Roi, étaient regardés de fort mauvais œil par les princes ses frères, surtout par monsieur le comte d'Artois qui, à cette époque, prenait l'initiative. Le caractère plus cauteleux de Monsieur l'a tenu dans la réserve tant que le Roi a vécu.

      Mon père resta encore quelque temps à Paris. Dans la dernière entrevue qu'il eut avec le Roi, celui-ci lui donna le brevet d'une pension de douze mille francs sur sa cassette.

      «Je ne suis pas bien riche, lui dit-il, mais vous n'êtes pas bien avide; nous nous retrouverons peut-être dans des temps où je pourrais mieux user de votre zèle et le récompenser plus dignement.»

      L'état de la santé de ma mère, qui devenait plus alarmant, décida enfin mon père à s'arracher de ces Tuileries où il ne voulait pas rester et qu'il ne pouvait quitter. Il arriva à Rome au printemps de l'année 1792.

      À la tristesse que lui donnaient les événements politiques, se joignit celle qui résultait de la perte de son frère, l'abbé d'Osmond, jeune homme de la plus belle espérance. Il s'était rendu à Saint-Domingue en 1790, dans la pensée d'y conserver nos propriétés et d'y préparer une retraite à notre famille, si la France devenait inhabitable. Au commencement de l'insurrection de Saint-Domingue, il joua le rôle le plus honorable; mais, tombé entre les mains des nègres, il fut inhumainement massacré.

      Mon père avait retenu le vicomte d'Osmond à la tête du régiment (de Neustrie), qu'il commandait à Strasbourg, tant qu'il était resté en France. Mais, après son départ, le vicomte, accompagné de tous les officiers de son régiment, alla rejoindre l'armée des princes.

      DEUXIÈME PARTIE ÉMIGRATION

      CHAPITRE I

Séjour à Rome. – Querelles dans l'intérieur de Mesdames. – Société de ma mère. – L'abbé Maury. – Le cardinal d'York. – La croix de Saint-Pierre. – Madame Lebrun. – Séjour d'Albano. – Arrivée à Naples. – La reine de Naples et les princesses ses filles. – Parti pris de quitter l'Italie. – Lady Hamilton. – Ses attitudes. – Bermont. – Passage du Saint-Gothard. – Mademoiselle à Constance. – Arrivée en Angleterre

      Je passerai rapidement sur le séjour que nous fîmes en Italie. Je n'en conserve qu'un léger souvenir; je me rappelle seulement avoir entendu faire des récits sur les bisbilles de la petite Cour de Mesdames qui, même alors, me semblaient d'un extrême ridicule. Les querelles des deux dames d'honneur étaient poussées au point de diviser le petit nombre de Français alors à Rome. On était du parti Narbonne ou du parti Chastellux, et on se détestait cordialement.

      L'attitude de mes parents se trouvait forcée par l'honneur que ma mère avait d'appartenir à madame Adélaïde; les Chastellux le reconnurent et ils restèrent en bons termes. Les enfants Chastellux vivaient en intimité avec moi, ainsi que Louise de Narbonne, petite-fille de la duchesse. Toutefois, pour ne pas faire de jaloux, nous étions tous également exclus de la présence des princesses.

      Je n'ai pas vu madame Adélaïde trois fois pendant le séjour à Rome; à la vérité, j'avais un peu passé l'âge où l'on s'amuse d'un enfant comme d'un petit chien. Malgré les querelles domestiques dont elles étaient témoins et victimes, jamais leurs entours ne sont parvenus à désunir les deux vieilles princesses. Elles sont mortes à peu de jours l'une de l'autre, ayant toujours vécu dans la plus tendre union. Madame Victoire avait une grande admiration pour sa sœur qui le lui rendait en affection.

      La faible santé de ma mère la retenait habituellement chez elle. Chaque soir, il s'y réunissait quelques personnes, au nombre desquelles les plus assidues étaient les prélats Caraffa, Albani, Consalvi, et enfin l'abbé Maury, alors le coryphée du parti royaliste. Toutes ces personnes étaient spirituelles et distinguées. Je m'accoutumais à prendre goût à leur conversation. J'étais très gâtée par elles, et principalement par l'abbé Maury et le prélat Consalvi.

      L'abbé Maury, en butte à toutes les haines, à toutes les intrigues romaines pour l'éloigner de la pourpre à laquelle la faveur du pape Pie VI l'appelait et y donnant sans cesse prise par ses inconvenances, fit un rude noviciat. Il venait raconter ses douleurs à ma mère; elle le consolait et l'encourageait, tout en le grondant. Le pape le nomma archevêque de Nicée, et l'envoya nonce au couronnement de l'empereur Léopold, ce qui lui assurait le chapeau.

      Au retour, il me donna la confirmation et, à cette occasion, une très belle topaze dont l'Empereur lui avait fait cadeau avec plusieurs autres pierres précieuses. Depuis que j'ai été témoin de l'excès fabuleux de son avarice, je ne conçois pas comment il a pu se dessaisir de ce bijou. Peut-être cette passion n'était

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