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qui me prends-tu? interrompit sévèrement Bardin. Est-ce que tu te figures que j’ai vécu soixante ans de la vie d’un honnête homme pour me charger à mon âge de trouver un drôle disposé à vendre son nom en reconnaissant l’enfant d’un autre?…

      – Non, certainement, monsieur Bardin… mais…

      – Tu n’es qu’un étourneau… apprends à tenir ta langue… surtout quand tu parles à un ami de tes parents.

      – Excusez-moi… j’avais cru que vous plaisantiez…

      – Tais-toi!… pour te punir d’avoir dit une sottise, je devrais garder pour moi mes renseignements.

      – Mon cher Bardin, moi, je ne vous ai pas offensé, dit doucement madame Cormier.

      Il n’en fallut pas davantage pour que le vieillard s’apaisât.

      – C’est juste, dit-il, et nous ne nous fâcherons pas pour si peu. Voici l’histoire que je vous ai promise. Elle est peut-être invraisemblable, mais elle est vraie. J’ai toutes les preuves entre les mains, certifiées par un homme d’une honorabilité incontestable.

      Il y a quatre ans vivait dans un village du département de l’Hérault…, à Fabrègues…, une brave femme que son mari avait abandonnée depuis dix ans… elle était restée sans ressources avec une petite fille et elles seraient peut-être mortes de faim toutes les deux si une demoiselle d’une très bonne famille de Montpellier ne s’était intéressée à elles. Les parents de cette demoiselle avaient, tout près de Fabrègues, un château où ils passaient tous les étés. Ils recueillirent la petite abandonnée et ils la firent élever avec leur fille. On n’avait aucune nouvelle du mari. On savait vaguement qu’il était allé chercher fortune en Californie, mais rien de plus.

      – Je devine, s’écria Paul; il l’a trouvée là-bas la fortune… il vient de mourir et alors…

      – Alors, quoi?… ce n’était pas la peine de m’interrompre pour dire ce que n’importe qui aurait deviné comme toi.

      Paul, ainsi rabroué, baissa le nez et ne dit plus mot.

      – Oui, le père est mort, reprit le vieil avocat, sa succession est liquide et revient tout entière à sa fille unique. La mère aussi est morte, deux ans avant son mari. La fille est donc bien et dûment six fois millionnaire. Seulement…

      Et comme Bardin, encore une fois, s’était arrêté au moment le plus intéressant, madame Cormier ne put pas s’empêcher de dire:

      – Eh! bien?

      – Seulement, on ne sait pas où elle est.

      – Comment! que nous dites-vous là!

      – La vérité, chère amie. Elle a disparu.

      – Elle est peut-être allée en Californie comme son père, ricana l’incorrigible Paul.

      – Elle a disparu, quelques jours avant le mariage de sa jeune protectrice qui, elle aussi, avait perdu ses parents et qui l’avait prise chez elle comme lectrice.

      – Alors, la protectrice doit savoir où est sa protégée.

      – C’est probable, mais la protectrice a quitté le pays pour suivre son mari à l’étranger. Et très probablement aussi, elle ignore que sa protégée a maintenant des millions.

      – Vous le lui apprendrez.

      – Quand je l’aurai trouvée. Je la cherche.

      – Quoi! elle a disparu aussi celle-là!

      – Disparu, n’est pas le mot. Elle n’est pas de celles qui se perdent comme cela arrive à une pauvre fille. Elle est riche par elle-même et elle a fait un grand mariage. Mais elle n’a plus aucune attache dans son pays d’origine et depuis qu’elle l’a quitté, elle n’a fait que voyager avec son mari.

      J’ai demandé de plus amples renseignements à la personne qui m’a fourni les premiers. Je les attends et, lorsque je les aurai, le plus fort sera fait. Je me mettrai en relations avec cette dame et il faudra bien qu’elle me dise ce qu’est devenue l’héritière… que je cherche aussi et que je trouverai peut-être, sans que l’autre m’y aide. J’ai quelques raisons de croire qu’elle est à Paris, l’héritière; et je m’informe. Le diable, c’est qu’elle a dû changer de nom.

      – Alors, vous aurez de la peine à la découvrir.

      – Mon cher Bardin, dit en souriant madame Cormier, je vous avoue que je commence à me ranger à l’avis de Paul, qui trouvait ce projet de mariage un peu en l’air.

      – En l’air, tant que vous voudrez… il est réalisable et dans des conditions exceptionnelles. Voilà une jeune fille qui a des millions et qui ne sait pas qu’elle les a. Supposez que je la trouve, que je lui présente Paul, que Paul lui plaise et qu’elle plaise à Paul… il y a des chances, car ceux qui l’ont vue, il y a quatre ans, s’accordent à dire qu’elle est ravissante et aussi bonne que belle… ce serait une affaire faite…

      – Trop de suppositions, grommela Paul.

      – Resterait encore, dit sa mère, à savoir comment elle a vécu, depuis qu’elle a quitté son pays… une enfant de seize ans, livrée à elle-même!

      – Ce serait une enquête à faire, répondit Bardin. Je m’en chargerais et je vous réponds qu’elle serait poussée à fond. Vous me connaissez d’assez longue date pour savoir que je ne transige pas sur ce qui touche à l’honneur.

      – Je le sais, mon ami, et je me fierais à vous comme à moi-même, mais je crains bien que vous n’ayez jamais l’occasion de me donner votre avis sur cette héritière… introuvable.

      Est-il indiscret de vous demander d’où vous sont venus ces renseignements?

      – D’un de mes anciens confrères du barreau de Montpellier avec lequel je suis en correspondance depuis plus de trente ans. Il m’a écrit tout récemment et à plusieurs reprises pour me demander de le seconder dans ses recherches. Il a été jadis l’avocat de la famille de la demoiselle qui s’intéressait à l’orpheline et qui l’a tirée de la misère. Aussi met-il beaucoup d’ardeur à poursuivre cette affaire. Il se propose, si elle n’aboutit pas prochainement, de venir à Paris tout exprès, quoique, à son âge, le voyage l’effraie un peu… Il a soixante-quinze ans, cet excellent Lestrigou. S’il se décide, je vous demanderai la permission de vous le présenter.

      – Comment donc!… je compte bien qu’il nous fera le plaisir de dîner chez moi avec vous… et avec Paul qui ce jour-là, je l’espère, ne se fera pas attendre.

      – Je jure d’être exact! dit solennellement Paul.

      – Oui, je te connais, beau masque, répliqua le père Bardin. Tu arriveras à l’heure si tes amis et connaissances ne s’arrêtent pas en route. Mais, j’y pense!… tu ne nous a pas dit pourquoi tu as laissé brûler le rôti… Il était bon tout de même, mais il faut convenir qu’il était trop cuit.

      Paul n’avait garde de dire la vérité. Il parla vaguement d’amis qui l’avaient retenu et d’une interminable partie de billard qu’il ne pouvait pas quitter parce qu’il gagnait.

      Paul savait que Bardin ne haïssait pas le billard et qu’il fulminait volontiers contre le baccarat.

      – Gageons, dit le vieil avocat, que tu étais avec ton inséparable… ce grand casseur d’assiettes qui se promène au quartier dans des costumes de carnaval. Mauvaise compagnie, mon garçon!

      – Mais, non, je vous assure. Il aime les tenues excentriques, mais il est très comme il faut, quand il veut l’être. Il est noble, du reste, et il pourrait prendre le titre de comte que son père portait. Il s’appelle Jean de Mirande.

      – Joli nom, à mettre dans une comédie. Et il fait son droit, ce gentilhomme? Il veut donc entrer dans la basoche?

      – Je ne crois pas. Il s’est fait étudiant pour s’amuser

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