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comme l’étudiant, qui trouvait le thé fade, hésitait à accepter:

      – Vous n’êtes pas forcé, reprit gaiement la dame qui recevait. Mon thé est laïque et gratuit, mais pas obligatoire. Vous saurez que chez moi la liberté complète est à l’ordre du jour. On n’est même pas tenu de s’occuper des femmes. Nous nous suffisons très bien à nous-mêmes… et vous allez nous permettre d’accaparer cette chère Marcelle pour causer chiffons pendant qu’avec ces messieurs vous parlerez politique, si le cœur vous en dit.

      Parler politique, Paul Cormier n’y tenait pas, mais il était enchanté de profiter de la permission de s’éloigner du groupe féminin, en attendant qu’il se présentât une occasion de disparaître à l’anglaise, car pour le moment il ne songeait qu’à couper court à un imbroglio des plus scabreux.

      Il laissa donc ces dames s’emparer de la marquise et la faire asseoir avec elles autour de la table sur laquelle chantait sa chanson le samovar, cette théière en cuivre que les Russes ont importée à Paris.

      Quoiqu’en eût dit la maîtresse de la maison, les messieurs ne paraissaient pas tous disposés à faire bande à part. Madame de Ganges fut très entourée et très complimentée par des cavaliers qui cherchaient certainement à lui plaire.

      Paul n’avait pas le droit d’être jaloux, mais il lui passa par l’esprit que sa présence était pour quelque chose dans ces empressements. Ces beaux gentilshommes avaient l’air de se dire: «Le mari est revenu. La marquise va ouvrir son salon, fermé pour cause de veuvage momentané. C’est le vrai moment de lui faire la cour».

      Ce n’était de la part de Paul qu’une simple conjecture, mais il y voyait déjà un peu plus clair dans la situation où l’avait jeté un engrenage de petits événements, plus bizarres les uns que les autres.

      Il savait maintenant que la soi-disant Jacqueline, s’appelait, de son vrai prénom, Marcelle, qu’elle était la femme légitime d’un marquis, que ce mari en voyage, ou plus probablement fixé à l’étranger, était attendu et qu’on ne le connaissait pas encore dans le monde où la marquise vivait à Paris.

      Il fallait qu’il fût jeune, ce mari, puisque Paul avait pu être pris pour lui.

      Mais, il fallait aussi que sa femme fût bien sûre qu’il ne reviendrait jamais, car s’il avait dû reparaître, elle ne se serait pas résignée, sans la moindre hésitation, à passer pour être la femme d’un autre.

      Jusqu’où comptait-elle pousser cette substitution improvisée? Paul ne s’en doutait pas, mais quoi qu’il advînt, elle serait désormais obligée de compter avec lui. Il était entré dans son jeu, sans sa permission, mais elle l’y avait admis, puisqu’elle n’avait pas réclamé. Au contraire, elle l’avait plutôt encouragé, par un regard qui lui enjoignait d’être discret, et par son silence.

      Il espérait bien ne pas s’arrêter en un si beau chemin. Il savait le nom de l’énigmatique blonde du Luxembourg; il ne tarderait guère à savoir où elle demeurait et quand il en serait là, le reste irait tout seul.

      Par exemple, il ne devinait encore pas pourquoi elle s’intéressait à Jean de Mirande, mais ce mystère-là finirait bien par être éclairci comme les autres.

      Il ne devinait pas non plus ce que pouvait être l’homme décoré et boutonné qui n’avait fait que paraître et disparaître sur la terrasse du Luxembourg. Il avait oublié de s’en informer pendant le voyage en fiacre, mais il comptait bien y revenir, quand il la reverrait, ce qui ne pouvait guère tarder.

      Depuis que la marquise était assise, Paul, resté debout, se tenait un peu à l’écart, mais son isolement allait prendre fin, car deux ou trois invités s’approchaient dans l’intention évidente d’entamer avec lui une conversation qu’il redoutait un peu.

      – Monsieur de Servon, appela tout à coup la maîtresse de la maison, avouez que vous grillez d’envie de tailler une banque de baccarat.

      M. de Servon, qu’elle interpellait ainsi, était un jeune homme qui aurait pu représenter, au naturel, ce grand flandrin de vicomte, dont il est question dans une des comédies de Molière.

      Vicomte, il l’était, et de plus efflanqué, ravagé, long comme un jour sans pain, vicieux comme pas un et ne s’en cachant pas.

      – J’avoue, baronne, j’avoue! répondit-il gaiement.

      – En plein jour!… à la face du soleil!… vous n’avez pas honte? lui demanda en riant la dame.

      Décidément, la maîtresse du logis était une baronne. Encore un renseignement que Paul Cormier attrapait au vol.

      – Mais non… nous jouerions à l’ombre, puisqu’il y a un velum. Et je parierais volontiers que vous l’avez fait tendre pour me permettre d’abattre neuf, sans me gâter le teint.

      – Vous avez donc le démon du jeu dans le corps?

      – Moi!… mais je le déteste, le jeu!… seulement je déteste encore plus l’oisiveté. Vous savez qu’elle est la mère de tous les vices, cette coquine d’oisiveté.

      – J’ai toujours pensé que vous étiez son fils. Taillez-la donc votre banque! Vous voyez que la table est mise là-bas… et vous aurez en M. de Ganges un adversaire digne de vous.

      – Dites donc que je serai le pot de terre contre le pot de fer… je ne roule pas sur les millions, moi.

      – Il paraît que le vrai marquis est fortement millionnaire, se disait Paul Cormier; je puis bien le remplacer auprès de sa femme, mais au jeu!… c’est une autre affaire.

      – Faites donc à ce grand fou le plaisir de lui gagner quelques centaines de louis, dit la baronne en s’adressant au faux marquis. Marcelle ne vous en voudra pas de nous la laisser.

      Marcelle ne dit mot, mais elle fit signe que non, au grand étonnement de

      Paul, qui se demanda immédiatement:

      – Pourquoi désire-t-elle que je joue?

      L’idée lui vint aussitôt que c’était pour lui procurer un moyen d’échapper en partie aux embarras de la situation. S’il était resté avec les femmes, il aurait eu à répondre tôt ou tard à des questions gênantes. Moins il parlerait, plus il aurait de chance de ne pas se trahir. Et au baccarat, on ne parle que pour demander: cartes, ou pour annoncer son point.

      Il sut gré à la charmante blonde de sa bonne intention, mais il resta perplexe. Il ne haïssait pas le jeu et dans sa vie d’étudiant, il avait gagné ou perdu au rams, au piquet et à l’écarté, beaucoup de consommations dans les cafés du Boul’Mich. Il lui était même arrivé de jouer au baccarat, les nuits de folle orgie au quartier, et d’y laisser des pièces blanches. Mais il n’avait jamais risqué de perdre plus qu’il ne possédait. Il préférait garder son argent pour mener joyeuse vie, quand son ami Jean de Mirande qui, lui, était joueur comme les cartes, arrangeait des soupers ou des parties de campagne avec les coryphées du bal Bullier.

      Et il n’était pas tenté de lutter contre ce vicomte de Servon qui devait être un vieux routier du baccarat et qui avait sur un pauvre étudiant la première des supériorités au jeu: celle des capitaux.

      Paul n’était cependant pas sans argent dans sa poche. Il avait, par hasard, touché, la veille, un mois de la pension maternelle et il n’avait pas eu le temps de l’écorner beaucoup.

      Mais les vingt-cinq louis qui lui restaient ne constituaient qu’un maigre contingent pour livrer sur le tapis vert une grosse bataille.

      Le vicomte n’en ferait qu’une bouchée de ces vingt-cinq louis sur lesquels Paul comptait pour vivre largement jusqu’au mois prochain.

      Et elle s’annonçait comme devant être chaude la bataille, car dès les premiers mots du dialogue qui venait de s’engager entre la baronne et le vicomte, les invités du sexe masculin s’étaient mis à tourner autour de l’aspirant à la banque, comme les papillons tournent autour d’un flambeau dont la flamme va leur brûler les ailes.

      Un

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