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touchait moins que la joie d’avoir fait connaissance avec une femme charmante qui avait bien l’air d’appartenir au meilleur monde.

      Il débarquait, tout plein de son sujet, dans le paisible appartement de la rue des Tournelles et s’il l’eût osé, il aurait volontiers raconté à sa mère et au vieil avocat sa bonne fortune. Mais il n’osait pas, sachant qu’il les affligerait tous les deux.

      – Te voilà, méchant garçon! lui dit en l’embrassant tendrement madame

      Cormier. D’où viens-tu?

      – J’ai été retardé au dernier moment, balbutia Paul.

      – Dis donc que tu piochais ton quatrième examen, lui souffla le père

      Bardin qui riait sous cape.

      – S’il y a du bon sens de dîner à huit heures!… tu t’abîmeras l’estomac.

      La bonne dame ne pensait qu’à la santé de ce fils qui venait de les faire souffrir, elle et son vieil ami, accoutumés à la régularité des repas.

      – A table!… voici la soupe! s’écria Bardin.

      Il n’y avait qu’à obéir à cette invitation. Paul n’eut même pas la peine d’inventer une excuse.

      Les trois convives avaient grand’faim et Paul plus que les deux autres. Rien ne creuse comme les émotions, quand on est jeune. Il n’avait pas encore atteint l’âge où elles coupent l’appétit.

      Il en résulta que le commencement du dîner fut silencieux. On n’entendait que le bruit des cuillers heurtant le fond des assiettes.

      Après le potage, un verre de vieux Xérès, qui avait mûri dans les caves du Faisan argenté, délia la langue de l’avocat, qui se mit à parler de son unique rejeton, son Charles, le magistrat modèle, pour lequel il rêvait une brillante carrière. A ce savant, à ce laborieux, il ne manquait, pour sortir de la foule, que d’être chargé d’instruire une de ces affaires retentissantes qui mettent en lumière les talents d’un juge d’instruction.

      Bardin souhaitait à son fils un accusé comme Campi, cet assassin anonyme, dont le procès venait de passionner Paris.

      A quoi madame Cormier répondait qu’elle souhaitait qu’il n’y eût jamais de criminels à juger et qu’elle espérait bien que Paul n’aurait jamais à demander la tête de personne, attendu qu’il n’entrerait pas dans la magistrature.

      Paul n’avait garde de se prononcer sur ce point, car il n’était pas du tout à la conversation. Son esprit vagabondait à une lieue de la rue des Tournelles et du dîner, auquel, pourtant, il faisait grand honneur, car en dépit de ses préoccupations, il ne perdait pas un coup de dent. Il pensait qu’à cette heure la marquise de Ganges dînait peut-être seule dans le magnifique hôtel qu’elle devait habiter, et que la baronne Dozulé, qui avait des invités ce soir-là, leur parlait peut-être du jeune Monsieur qu’elle avait pris pour le mari de la marquise.

      Il s’était acquitté d’un devoir en venant s’asseoir à la table maternelle, mais il méditait de filer après le dîner vers le quartier latin où Jean de Mirande était resté. Il était à peu près sûr de l’y trouver, au bal de la Closerie des Lilas ou à la brasserie de la Source, et il éprouvait le besoin de le revoir; non pas pour lui raconter son aventure— il avait juré à madame de Ganges de n’en rien dire à son ami— mais pour se retremper au contact de ce joyeux compagnon qui prenait si gaiement l’existence et qui jonglait avec les soucis.

      Madame Cormier finit par s’apercevoir que son cher fils n’écoutait pas et Bardin, qui s’en était aperçu depuis longtemps, lui dit en clignant de l’œil:

      – Je parie qu’il est amoureux.

      Cette fois, Paul entendit et affecta de sourire en haussant les épaules.

      – Oh! ne t’en défends pas! reprit le vieil avocat. Ça vaut mieux que d’aller au café.

      – Oui, s’il était amoureux pour le bon motif, rectifia sagement la mère qui n’aspirait qu’à marier son garçon de bonne heure, pour le mettre à l’abri des dangers du célibat prolongé.

      – C’est encore un peu tôt, dit Bardin. Et puis vous savez… pour faire un civet, il faut un lièvre… eh! bien, pour se marier, il faut une femme… j’entends une femme aussi bien dotée par ses parents que par la nature… et dame!… ces lièvres-là, ça ne court pas les champs… ni même les rues de Paris.

      Paul continuait à jouer de la fourchette, sans lever les yeux. Sa mère, qui aurait voulu l’entendre manifester des velléités conjugales, dut se contenter de répondre à Bardin:

      – Vous devriez lui trouver ça.

      Et Bardin, qui ne restait jamais court, répliqua sans broncher:

      – Autrefois, je n’aurais pas dit: non… du temps où je voyais tant de gens défiler dans mon cabinet. Maintenant je ne donne plus de consultations qu’à des amis. J’ai remercié ma clientèle… un peu à contre-cœur… j’y ai renoncé à cause de Charles… le père d’un magistrat ne doit pas recevoir d’honoraires du premier venu.

      – Mais vous avez gardé d’excellentes relations avec vos anciens clients et, dans le nombre, il doit s’en trouver qui ont des filles à marier. Paul aura six cent mille francs après moi, et je lui en donnerai la moitié le jour de la signature du contrat.

      – Avec ça et ses qualités physiques et morales, il ne tiendra qu’à lui d’épouser une héritière… car il est plein de qualités, ce mauvais garnement…

      – Vous êtes bien bon, monsieur Bardin, murmura Paul, en souriant.

      – Je te dis tes vérités, voilà tout. Le diable c’est que, pour le moment, je ne connais pas d’héritières…

      – Oh! je ne suis pas pressé.

      – Je te crois sans peine, mais ta mère l’est, pressée, et si je pouvais l’aider à te caser avantageusement, je m’y emploierais volontiers,…

      Le bonhomme s’arrêta tout à coup, en se frappant le front:

      – Mais où ai-je la tête? s’écria-t-il; décidément, je vieillis, car je perds la mémoire… à moins que ce ne soit le Xérès de ta maman qui m’obscurcisse les idées… verse m’en tout de même un dernier verre… là! c’est bien… maintenant, mon garçon, j’ai ton affaire… une jeune orpheline qui doit avoir tout au plus vingt et un ans et qui est l’unique héritière d’une fortune de six millions.

      – C’est superbe! dit ironiquement Paul, et pour peu qu’avec cela elle soit jolie…

      – On dit qu’elle est charmante.

      – Comment! on dit?… vous ne la connaissez donc pas?

      – Je ne l’ai jamais vue… mais j’ai vu les titres qui établissent son droit à l’héritage en question… je sais où il est, en quoi il consiste et ce qu’il faut faire pour qu’elle soit envoyée en possession.

      – Vous êtes admirablement renseigné. Il ne vous reste plus qu’à m’apprendre où se trouve cette merveille.

      L’ancien avocat prit un temps, comme on dit au Palais, aussi bien qu’au théâtre et, après cette pause, il répondit gravement:

      – Si je le savais, je t’aurais déjà présenté à elle.

      Paul, pour le coup, éclata de rire et madame Cormier fit une moue significative. Elle trouvait mauvais que son vieil ami se permît de plaisanter à propos du mariage de son fils.

      – Ris, mon garçon, reprit Bardin, ris tant que tu voudras. C’est très sérieux et vous, ma chère Julie, vous avez tort de vous fâcher. Mon héritière existe. Voulez-vous que je vous raconte son histoire?

      – Racontez, monsieur Bardin!… racontez!… dit Paul, toujours pouffant.

      – Mon ami, ajouta madame Cormier, vous auriez dû

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