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complètement aux autres habitués de la Closerie.

      Paul le cherchait donc, quoique bien décidé à ne pas lui faire de confidences, et ce ne fut pas lui qu’il rencontra.

      Au détour d’une allée, Paul se trouva presque nez à nez avec un monsieur qui venait en sens inverse et qui s’écria:

      – Vous, ici, monsieur le marquis!

      Ce monsieur, c’était le vicomte de Servon, aussi étonné de la rencontre que Paul Cormier l’était de le trouver là.

      Le vicomte, toujours poli, aborda courtoisement son heureux adversaire du baccarat, mais sa figure exprima un autre sentiment que l’étonnement. Ses yeux disaient clairement: «Eh bien?… et votre femme?»

      Paul comprit. Il y avait dans le regard qui tomba sur lui toute une série d’interrogations que le vicomte était trop bien appris pour formuler en paroles.

      Il voulait dire, ce regard clair et légèrement ironique: «Quoi! vous êtes arrivé ce soir, d’un long voyage; vous avez à peine eu le temps de voir votre charmante femme et au lieu de passer la soirée avec elle, vous venez vous divertir dans un bal d’étudiants!»

      Paul était même tenté d’y lire quelque chose comme ceci: «Très bien. On pourra essayer de la consoler cette belle marquise que vous délaissez ainsi».

      Mais il ne s’agissait pas de deviner les intentions de M. de Servon; il s’agissait de se tirer immédiatement d’une situation plus qu’embarrassante et Paul ne pouvait s’en tirer que par un mensonge.

      Il lui en coûtait, car jusqu’alors, il n’avait pas menti, dans le sens littéral du mot. Il s’était laissé traiter de marquis de Ganges et présenter comme tel par la baronne Dozulé, mais il n’avait rien dit qui pût faire croire que ce nom et ce titre lui appartenaient.

      Maintenant, il se trouvait pris dans un engrenage. Sous peine de passer pour l’amant de Jacqueline, il fallait mentir, non plus en se taisant, mais en inventant une explication de sa présence à Bullier.

      Le diable s’en mêlait. Il maudissait ce vicomte qui s’était avisé de traverser les ponts au lieu de chercher à se refaire en taillant un baccarat dans les salons de son club. Mais il était obligé de répondre, et il répondit, en allant au-devant des questions qu’il prévoyait.

      – Vous ne vous attendiez pas à me rencontrer ici, surtout ce soir, n’est-ce pas, monsieur? commença-t-il d’un ton dégagé. Je pourrais vous dire, comme le doge de Gênes, à Versailles… ce qui m’étonne le plus, c’est de m’y voir. Figurez-vous que ma femme, qui ne savait pas que j’arriverais à Paris aujourd’hui, avait accepté une invitation à dîner chez une de ses amies. Elle voulait lui écrire pour se dégager. J’ai exigé qu’elle y allât. Elle y passera la soirée. J’ai dîné seul… au restaurant… et ne sachant que faire après, je suis venu, en me promenant et en fumant d’innombrables cigares, jusque dans ce quartier excentrique. J’ai entendu la musique de ce bal et l’envie m’a pris d’y entrer. Je crois que je n’y resterai pas longtemps.

      Pour une explication improvisée, celle-là n’était pas trop mauvaise, et Paul s’empressa d’essayer d’une diversion.

      – Mais vous-même, monsieur, reprit-il, par quel hasard?…

      – Mon Dieu! c’est bien simple, dit le vicomte; j’ai dîné au club… j’espérais y trouver une partie, mais il fait si beau que tous les dîneurs ont pris leur volée en sortant de table… nous nous sommes trouvés trois à fumer sur le balcon… pas moyen seulement d’organiser un whist à quatre et je n’aime pas à jouer le mort… nous avons décidé, d’un commun accord, de fréter un cab et de nous faire conduire à la Closerie des Lilas. C’est assez canaille, ce bastringue, mais on y découvre quelquefois des femmes nouvelles…

      – Pas souvent, murmura Paul qui savait à quoi s’en tenir sur ce point.

      – Je vois, monsieur le marquis, que vous connaissez l’établissement…

      – J’y suis venu autrefois, comme tout le monde.

      – Oh! je pense bien que vous ne le fréquentez plus. Madame de Ganges s’y opposerait et… vous perdriez trop au change. Moi qui n’ai pas le bonheur d’être marié à une femme charmante, j’y viens de temps à autre avec des amis… et il m’est arrivé d’y faire des trouvailles… il y a encore ici quelques jolies filles qui ont sur les horizontales de la rive droite l’avantage d’être jeunes… on en est quitte pour les décrasser avant de les lancer.

      Cormier s’apercevait que le vicomte était un viveur à outrance et il s’en réjouissait, parce qu’il espérait que ce chercheur de débutantes allait bientôt le quitter pour se mettre en chasse.

      – Je viens d’en suivre une qui en valait la peine, reprit M. de Servon. Elle m’a planté là pour se pendre au bras d’un grand diable qui porte des bottes molles, un pantalon collant et un chapeau pointu. Il paraît qu’ici c’est le suprême chic.

      Paul était sur les épines, car à ce signalement, il avait reconnu son ami Jean et il tremblait que Jean ne vînt déranger son colloque avec le vicomte et patauger à travers son marquisat de carton, comme un éléphant dans un magasin de porcelaines.

      Mais Jean était sans doute occupé à abreuver dans la salle couverte ses invitées de chez Foyot, et M. de Servon continua ainsi:

      Mes deux amis du club sont partis sur une autre piste. Je ne sais s’ils auront plus de chance que moi, mais je les attends ici et je serai bien heureux, monsieur le marquis, de vous les présenter.

      Cela ne faisait pas du tout l’affaire de Paul Cormier qui balbutia:

      – Je serais charmé, moi aussi, de connaître ces messieurs, mais…

      – Eux, vous connaissent de réputation. Ils savent qu’après avoir mené la grande vie, vous avez abordé les affaires à l’âge où d’autres perdent encore leur temps au club et au foyer de la danse. Et les grandes affaires vous ont réussi, comme elles réussissent toujours aux hommes intelligents et hardis. Vous pouvez songer maintenant à jouir de vos succès… votre place est marquée dans notre monde parisien où jusqu’à présent vous vous êtes peu répandu, je crois.

      – Oh! très peu! dit vivement Paul, enchanté du prétexte que lui fournissait le vicomte pour expliquer son ignorance des hommes de ce monde-là.

      – J’ai bien vu, chez la baronne, que vous vous trouviez sur un terrain nouveau pour vous, reprit obligeamment le vicomte. Vous ne la connaissiez pas, je crois, cette chère baronne?

      – Pas du tout, et elle m’a accueilli comme si j’étais de ses amis.

      – Oh! c’est une excellente femme, et d’ailleurs elle est liée avec madame de Ganges que tout le monde aime et respecte.

      Paul s’inclina par politesse, mais au fond, il n’était pas fâché d’apprendre qu’on respectait sa Jacqueline.

      – Quand vous connaîtrez madame Dozulé, vous verrez qu’elle n’a pas sa pareille pour former un salon… car madame de Ganges, qui s’abstenait de recevoir pendant que vous étiez loin de Paris, va certainement ouvrir sa maison, l’hiver prochain. J’avoue que nous y comptons un peu… et ce serait vraiment dommage de ne pas utiliser votre bel hôtel de l’avenue Montaigne, qui semble avoir été construit tout exprès pour y donner des fêtes.

      – Il paraît que j’ai un hôtel, avenue Montaigne, se dit Paul, c’est bon à savoir. Je ne serai plus embarrassé pour retrouver Jacqueline, si elle ne me donne pas de ses nouvelles.

      – Voici mes amis du club, dit tout à coup M. de Servon. Ils reviennent bredouille, je crois… Mais non, ma foi!… ils sont suivis de près par deux jeunes personnes qui m’ont tout l’air d’avoir accepté un souper au café Anglais.

      – Ça les changera… mais je me reprocherais de vous retenir…

      – Oh! je serai de la fête… le temps de vous mettre en relations avec ces

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