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parler une langue étrangère quand on est Française.

      «Bon; mais cela prouve justement une éducation distinguée. Il n'est pas naturel aux aventurières de parler l'allemand avec cette pureté toute germanique, et le français comme des Parisiennes.

      «D'ailleurs, il y a une distinction native chez ces femmes.

      «La supplique de la jeune était touchante.

      «La requête de l'aînée était noblement impérieuse.

      «Puis, vraiment, continuait le jeune homme en rangeant son épée dans le fiacre, de manière qu'elle n'incommodât pas ses voisines, ne dirait-on pas qu'il y a danger pour un militaire à passer deux heures en fiacre avec deux jolies femmes?

      «Jolies et discrètes, ajouta-t-il, car elles ne parlent pas et attendent que j'engage la conversation.»

      De leur côté, sans doute, les deux jeunes femmes songeaient au jeune officier, comme le jeune officier songeait à elles; car, au moment où il achevait de formuler cette idée, l'une des deux dames, s'adressant à sa compagne, lui dit en anglais:

      – En vérité, chère amie, ce cocher nous mène comme des morts; jamais nous n'arriverons à Versailles. Je gage que notre pauvre compagnon s'ennuie à mourir.

      – C'est qu'aussi, répondit en souriant la plus jeune, notre conversation n'est pas des plus divertissantes.

      – Ne trouvez-vous pas qu'il a l'air d'un homme tout à fait comme il faut?

      – C'est mon avis, madame.

      – D'ailleurs, vous avez remarqué qu'il porte l'uniforme de marine?

      – Je ne me connais pas beaucoup en uniformes.

      – Eh bien! il porte, comme je vous le disais, l'uniforme d'officier de marine, et tous les officiers de marine sont de bonne maison; au reste, l'uniforme lui va bien, et il est beau cavalier, n'est-ce pas?

      La jeune femme allait répondre et probablement abonder dans le sens de son interlocutrice, lorsque l'officier fit un geste qui l'arrêta.

      – Pardon, mesdames, dit-il en excellent anglais, je crois devoir vous dire que je parle et comprends l'anglais assez facilement, mais je ne sais pas l'espagnol, et si vous le savez, et qu'il vous plaise de vous entretenir dans cette langue, vous serez sûres au moins de ne pas être comprises.

      – Monsieur, répliqua la dame en riant, nous ne voulions pas dire du mal de vous, comme vous avez pu vous en apercevoir; aussi ne nous gênons pas, et ne parlons plus que le français, si nous avons quelque chose à nous dire.

      – Merci de cette grâce, madame; mais, cependant, au cas où ma présence vous serait gênante…

      – Vous ne pouvez supposer cela, monsieur, puisque c'est nous qui l'avons demandée.

      – Exigée même, dit la plus jeune des deux femmes.

      – Ne me rendez pas confus, madame, et pardonnez-moi un moment d'indécision; vous connaissez Paris, n'est-ce pas? Paris est plein de pièges, de déconvenues et de déceptions.

      – Ainsi, vous nous avez prises… Voyons, parlez franc.

      – Monsieur nous a prises pour des pièges; voilà tout!

      – Oh! mesdames, dit le jeune homme en s'humiliant, je vous jure que rien de pareil n'est entré dans mon esprit.

      – Pardon, qu'y a-t-il? Le fiacre s'arrête.

      – Qu'est-il arrivé?

      – Je vais y voir, mesdames.

      – Je crois que nous versons; prenez garde, monsieur!

      Et la main de la plus jeune, s'allongeant par un brusque mouvement, s'arrêta sur l'épaule du jeune homme, qui déjà se préparait à sauter hors du fiacre.

      La pression de cette main le fit frissonner.

      Par un mouvement tout naturel, il essaya de la saisir; mais déjà Andrée, qui avait cédé à un premier mouvement de crainte, s'était rejetée au fond du fiacre.

      L'officier, que rien ne retenait plus, sortit donc, et trouva le cocher fort occupé à relever un de ses chevaux qui s'empêtrait dans le timon et dans les traits.

      On était un peu en avant du pont de Sèvres.

      Grâce à l'aide que l'officier donna au conducteur du fiacre, le pauvre cheval fut bientôt sur ses jambes.

      Le jeune homme rentra dans le fiacre.

      Quant au cocher, se félicitant d'avoir une si aimable pratique, il fit gaiement claquer son fouet dans le double but sans doute d'animer ses rosses et de se réchauffer lui-même.

      Mais on eût dit que par la portière ouverte le froid qui venait d'entrer avait glacé la conversation, et congelé cette intimité naissante à laquelle le jeune homme commençait à trouver un charme dont il ne se rendait pas raison.

      On lui demanda simplement compte de l'accident, il raconta ce qui était arrivé.

      Puis ce fut tout, et le silence revint de nouveau peser sur le trio voyageur.

      L'officier, que cette main tiède et palpitante avait fort occupé, voulut au moins avoir un pied en échange.

      Il allongea donc la jambe, mais si adroit qu'il fût, il ne rencontra rien, ou plutôt, s'il rencontrait, il avait la douleur de voir fuir ce qu'il rencontrait devant lui.

      Une fois même, ayant effleuré le pied de l'aînée des deux femmes:

      – Je vous gêne horriblement, n'est-ce pas, monsieur, lui dit cette dernière avec le plus grand sang-froid, pardon!

      Le jeune homme rougit jusqu'aux oreilles, en se félicitant que la nuit fût assez épaisse pour cacher sa rougeur.

      Aussi tout fut dit, et là se terminèrent ses entreprises.

      Redevenu muet, immobile et respectueux, comme s'il eût été dans un temple, il craignit de respirer, et se fit petit comme un enfant.

      Mais peu à peu, et malgré lui, une impression étrange envahissait toute sa pensée, tout son être.

      Il sentait, sans les toucher, les deux charmantes femmes, il les voyait sans les voir; peu à peu s'accoutumant à vivre près d'elles, il lui semblait qu'une parcelle de leur existence venait de se fondre dans la sienne. Pour tout au monde, il eût voulu renouer la conversation éteinte, et maintenant il n'osait, car il craignait les banalités; lui qui au départ dédaignait de placer même un de ces mots les plus simples de la langue du monde, il s'alarmait de paraître niais ou impertinent devant ces femmes, auxquelles une heure avant il croyait accorder beaucoup d'honneur en leur faisant l'aumône d'un louis et d'une politesse.

      En un mot, comme toutes les sympathies en cette vie s'expliquent par les rapports des fluides mis en contact à propos, un magnétisme puissant, émané des parfums et de la chaleur juvénile de ces trois corps assemblés par hasard, dominait le jeune homme et lui épanouissait la pensée en lui dilatant le cœur.

      Ainsi naissent parfois, vivent et meurent dans l'espace de quelques moments les plus réelles, les plus suaves, les plus ardentes passions. Elles ont le charme, parce qu'elles sont éphémères; elles ont la force, parce qu'elles sont contenues.

      L'officier ne dit plus un seul mot. Les dames parlèrent bas entre elles.

      Cependant, comme son oreille était incessamment ouverte, il saisissait des mots sans suite, qui cependant présentaient un sens à son imagination.

      Voici ce qu'il entendit:

      – L'heure avancée… les portes… le prétexte de la sortie…

      Le fiacre s'arrêta de nouveau.

      Cette fois, ce n'était ni un cheval tombé, ni une roue brisée. Après trois heures de courageux efforts, le brave cocher s'était réchauffé les bras, c'est-à-dire qu'il avait mis ses chevaux en nage et avait atteint Versailles, dont les longues avenues sombres et désertes apparaissaient, sous les lueurs rougeâtres de quelques lanternes blanchies par le givre, comme une double procession

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