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Le Collier de la Reine, Tome I. Dumas Alexandre
Читать онлайн.Название Le Collier de la Reine, Tome I
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Dumas Alexandre
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
La porte s'ouvrit.
La reine ne put réprimer un mouvement de crainte.
– Entrez donc, ma sœur, je vous en conjure, dit le prince; vous voyez bien que jusqu'à présent il n'y a personne.
La reine regarda Mlle de Taverney, puis, comme une personne qui se risque, elle franchit le seuil avec un de ces gestes si charmants chez les femmes, et qui veulent dire: «À la grâce de Dieu!»
La porte se referma sans bruit derrière elle.
Alors elle se trouva dans un vestibule de stuc avec des soubassements de marbre, vestibule d'une médiocre étendue, mais d'un goût parfait; les dalles étaient une mosaïque figurant des bouquets de fleurs, tandis que sur des consoles en marbre cent rosiers bas et touffus faisaient pleuvoir leurs feuilles parfumées, si rares à cette époque de l'année, hors de leurs vases du Japon.
Une douce chaleur, une senteur, plus douce encore, captivaient si bien les sens, qu'à leur arrivée dans le vestibule les deux dames oublièrent non seulement une partie de leurs craintes mais encore une partie de leurs scrupules.
– Maintenant, c'est bien, nous sommes à l'abri, dit la reine, et même, s'il faut l'avouer, l'abri est assez commode. Mais ne serait-il pas bon de vous occuper d'une chose, mon frère?
– De laquelle?
– D'éloigner de vous vos serviteurs.
– Oh! rien de plus facile.
Et le prince, saisissant une sonnette placée dans la cannelure d'une colonne, fit résonner un timbre qui, après avoir frappé un seul coup, vibra mystérieusement dans les profondeurs de l'escalier.
Les deux femmes poussèrent un petit cri d'épouvante.
– Est-ce ainsi que vous éloignez vos gens, mon frère? demanda la reine; j'eusse cru, au contraire, que c'était ainsi que vous les appeliez.
– Si je sonnais une seconde fois, oui, quelqu'un viendrait; mais comme je n'ai donné qu'un seul coup de sonnette, soyez tranquille, ma sœur, personne ne viendra.
La reine se mit à rire.
– Allons, vous êtes un homme de précaution, dit-elle.
– Maintenant, chère sœur, continua le prince, vous ne pouvez habiter un vestibule; prenez la peine de monter un étage.
– Obéissons, dit la reine; le génie de la maison ne me paraît pas trop malveillant.
Et elle monta.
Le prince la précédait.
On n'entendit les pas d'aucun d'eux sur les tapis d'Aubusson qui garnissaient les marches de l'escalier.
Arrivé le premier, le prince agita une seconde sonnette, dont le bruit fit de nouveau tressaillir la reine et Mlle de Taverney, qui n'étaient pas prévenues.
Mais leur étonnement redoubla lorsqu'elles virent les portes de cet étage s'ouvrir seules.
– En vérité, Andrée, dit la reine, je commence à trembler; et vous?
– Moi, madame, tant que Votre Majesté marchera en avant, je la suivrai avec confiance.
– Rien, ma sœur, n'est plus simple que ce qui se passe, dit le jeune prince: la porte qui vous fait face est celle de votre appartement. Voyez!
Et il indiquait à la reine un charmant réduit dont nous ne saurions omettre la description.
Une petite antichambre en bois de rose, avec deux étagères de Boule, plafond de Boucher, parquet de bois de rose, donnait dans un boudoir de cachemire blanc semé de fleurs brodées à la main par les plus habiles artistes en broderie.
L'ameublement de ce boudoir était une tapisserie au petit point de soie, nuancé avec cet art qui faisait d'un tapis des Gobelins de cette époque un tableau de maître.
Après le boudoir, une belle chambre à coucher bleue tendue de rideaux de dentelle et de soie de Tours, un lit somptueux dans une alcôve obscure, un feu éblouissant dans une cheminée de marbre blanc, douze bougies parfumées brûlant dans des candélabres de Clodion, un paravent de laque azurée avec ses chinoiseries d'or, telles étaient les merveilles qui apparurent aux yeux des dames lorsqu'elles entrèrent timidement dans cet élégant réduit.
Nul être vivant ne se montrait: partout la chaleur, la lumière, sans qu'on pût en quelque point deviner les causes de tant d'heureux effets.
La reine, qui avait pénétré avec réserve déjà dans le boudoir, demeura un instant au seuil de la chambre à coucher.
Le prince s'excusa d'une façon toute civile sur la nécessité qui le poussait à mettre sa sœur dans une confidence indigne d'elle.
La reine répondit par un demi-sourire qui exprimait beaucoup plus de choses que toutes les paroles qu'elle aurait pu prononcer.
– Ma sœur, ajouta alors le comte d'Artois, cet appartement est mon logis de garçon, seul j'y pénètre, et j'y pénètre toujours seul.
– Presque toujours, dit la reine.
– Non, toujours.
– Ah! fit la reine.
– Au surplus, continua-t-il, il y a dans le boudoir où vous êtes un sofa et une bergère sur lesquels bien des fois, quand la nuit me surprenait, après la chasse, j'ai dormi aussi bien que dans mon lit.
– Je comprends, dit la reine, que Mme la comtesse d'Artois soit parfois inquiète.
– Sans doute, mais avouez, ma sœur, que si Mme la comtesse est inquiète de moi, cette nuit elle aura bien tort.
– Cette nuit, je ne dis pas, mais les autres nuits…
– Ma sœur, quiconque a tort une fois peut avoir tort toujours.
– Abrégeons, dit la reine en s'asseyant sur un fauteuil. Je suis horriblement lasse; et vous, ma pauvre Andrée?
– Oh, moi, je succombe de fatigue, et si Votre Majesté le permet…
– En effet, vous pâlissez, mademoiselle, dit le comte d'Artois.
– Faites, faites, ma chère, dit la reine; asseyez-vous, couchez-vous même; M. le comte d'Artois nous abandonne cet appartement, n'est-ce pas, Charles?
– En toute propriété, madame.
– Un instant, comte, un dernier mot.
– Lequel?
– Si vous partez, comment vous rappellerons-nous?
– Vous n'avez en rien besoin de moi, ma sœur; une fois installée, disposez de la maison.
– Il y a donc d'autres pièces que celles-ci?
– Mais sans doute. Il y a d'abord une salle à manger, que je vous engage à visiter.
– Avec une table toute servie, sans doute?
– Certainement, et sur laquelle Mlle de Taverney, qui me paraît en avoir grand besoin, trouvera un consommé, une aile de volaille et un doigt de vin de Xérès, et où vous trouverez, vous, ma sœur, une collection de ces fruits cuits que vous aimez.
– Et tout cela sans valets?
– Pas le moindre.
– Nous verrons. Mais ensuite?
– Ensuite?
– Oui, pour retourner au château?
– Il ne faut pas songer à y rentrer du tout de la nuit, puisque la consigne est donnée. Mais la consigne donnée pour la nuit tombe avec le jour; à six heures les portes s'ouvrent, sortez d'ici à six heures moins un quart. Vous trouverez dans les armoires des mantes de toutes couleurs et de toutes formes, si vous désirez vous déguiser; entrez donc, comme je vous le dis, au château, gagnez votre chambre, couchez-vous, et ne vous inquiétez pas du reste.
– Mais vous?
– Comment,