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Allons, vite, Weber, vite.

      Weber retint le cheval, tandis que les dames montèrent lestement dans le cabriolet; puis il s'élança derrière et avertit qu'il était monté.

      L'aînée des deux dames alors, s'adressant à sa compagne:

      – Eh bien! dit-elle, que vous semble de cette comtesse, Andrée?

      Et en disant ces mots, elle rendit les rênes au cheval qui partit comme un éclair et tourna le coin de la rue Saint-Louis.

      C'était le moment où Mme de La Motte ouvrait sa fenêtre pour rappeler les deux dames de charité.

      – Je pense, madame, répondit celle des deux femmes que l'on appelait Andrée, je pense que Mme de La Motte est pauvre et très malheureuse.

      – Bien élevée, n'est-ce pas?

      – Oui, sans doute.

      – Tu es froide à son égard, Andrée.

      – S'il faut que je vous l'avoue, elle a quelque chose de rusé dans sa physionomie qui ne me plaît pas.

      – Oh! vous êtes défiante, vous, Andrée, je le sais; et pour vous plaire, il faut réunir tout. Moi, je trouve cette petite comtesse intéressante et simple dans son orgueil comme dans son humilité.

      – C'est une fortune pour elle, madame, que d'avoir eu le bonheur de plaire à Votre…

      – Gare! s'écria la dame en jetant vivement de côté son cheval qui allait renverser un portefaix au coin de la rue Saint-Antoine.

      – Gare! cria Weber d'une voix de stentor.

      Et le cabriolet continua sa course.

      Seulement, on entendit les imprécations de l'homme qui avait échappé aux roues, et plusieurs voix grondant comme un écho lui donnèrent à l'instant même l'appui d'une clameur on ne peut plus hostile au cabriolet.

      Mais en quelques secondes Bélus mit entre sa maîtresse et les blasphémateurs tout l'espace qui s'étend de la rue Sainte-Catherine à la place Baudoyer.

      Là, comme on sait, le chemin se bifurque, mais l'habile conductrice se jeta résolument dans la rue de la Tixéranderie, rue populeuse, étroite et fort peu aristocratique.

      Aussi, malgré les gare très réitérés qu'elle lançait, malgré les rugissements de Weber, on n'entendait qu'exclamations furieuses des passants: «Oh! le cabriolet! À bas le cabriolet!»

      Bélus passait toujours, et son cocher, malgré la délicatesse d'une main d'enfant, le faisait courir rapidement et surtout habilement dans les mares de neige liquide ou dans les glaciers plus dangereux qui formaient ruisseaux et dépavements.

      Cependant, contre toute attente, aucun malheur n'était arrivé: une lanterne brillante envoyait ses rayons en avant, et c'était un luxe de prévoyance que la police n'avait point encore imposé aux cabriolets de ce temps-là.

      Aucun malheur, disons-nous, n'était donc arrivé, pas une voiture accrochée, par une borne frôlée, pas un passant touché, c'était miracle, et cependant les cris et les menaces se succédaient toujours.

      Le cabriolet traversa avec la même rapidité et le même bonheur la rue Saint-Médéric, la rue Saint-Martin, la rue Aubry-le-Boucher.

      Peut-être semble-t-il à nos lecteurs qu'en approchant des quartiers civilisés la haine portée à l'équipage aristocratique deviendrait moins farouche.

      Mais tout au contraire; à peine Bélus entrait-il dans la rue de la Ferronnerie, que Weber, toujours poursuivi par les vociférations de la populace, remarqua des groupes sur le passage du cabriolet. Plusieurs personnes même faisaient mine de courir après lui pour l'arrêter.

      Toutefois, Weber ne voulut pas inquiéter sa maîtresse. Il remarquait combien elle déployait de sang-froid et d'adresse, combien habilement elle glissait entre tous ces obstacles, inertes ou vivants, qui sont à la fois le désespoir ou le triomphe du cocher de Paris.

      Quant à Bélus, solide sur ses jarrets d'acier, il n'avait pas même glissé une fois, tant la main qui soutenait la bouche savait prévoir pour lui les pentes et les accidents du terrain.

      On ne murmurait plus autour du cabriolet, on vociférait; la dame qui tenait les rênes s'en aperçut et, attribuant cette hostilité à quelque cause banale comme la rigueur des temps et l'indisposition des esprits, elle résolut d'abréger l'épreuve.

      Elle fit clapper sa langue, et à cette seule invitation Bélus tressaillit et passa du trot retenu au trot allongé.

      Les boutiques fuyaient, les passants se jetaient de côté.

      Les gare! gare! ne discontinuaient pas.

      Le cabriolet touchait presque au Palais-Royal, et venait de passer devant la rue du Coq-Saint-Honoré, en avant de laquelle le plus beau des obélisques de neige levait assez fièrement encore son aiguille diminuée par les dégels, comme un bâton de sucre d'orge que les enfants transforment en pointe aiguë à force de le sucer.

      Cet obélisque était surmonté d'un glorieux panache de rubans un peu flétris, c'est vrai; rubans qui retenaient un écriteau sur lequel l'écrivain public du quartier avait tracé en majuscules le quatrain suivant, qui se balançait entre deux lanternes:

      Reine dont la beauté surpasse les appas,

      Près d'un roi bienfaisant occupe ici ta place.

      Si ce frêle édifice est de neige et de glace,

      Nos cœurs pour toi ne le sont pas.

      Ce fut là que Bélus éprouva la première difficulté sérieuse. Le monument qu'on était en train d'illuminer avait attiré bon nombre de curieux: les curieux faisaient masse, et l'on ne pouvait traverser cette masse au trot.

      Force fut donc de mettre Bélus au pas.

      Mais on avait vu venir Bélus comme la foudre; mais on entendait les cris qui le poursuivaient, et, bien qu'à l'aspect de l'obstacle il se fût arrêté court, la vue du cabriolet parut produire dans la foule le plus mauvais effet.

      Cependant la foule s'ouvrit encore.

      Mais après l'obélisque venait une autre cause de rassemblement.

      Les grilles du Palais-Royal étaient ouvertes et dans la cour d'immenses brasiers chauffaient toute une armée de mendiants, à qui des laquais de M. le duc d'Orléans distribuaient des soupes dans des écuelles de terre.

      Mais les gens qui mangeaient et les gens qui se chauffaient, si nombreux qu'ils fussent, l'étaient encore moins que ceux qui les regardaient se chauffer et manger. À Paris, c'est une habitude: pour un acteur, quelque chose qu'il fasse, il y a toujours des spectateurs.

      Le cabriolet, après avoir surmonté le premier obstacle, fut donc forcé de s'arrêter au second, comme fait un navire au milieu des brisants.

      À l'instant même, les cris que jusque-là les deux femmes n'avaient entendus que comme un bruit vague et confus leur arrivèrent distincts au milieu de la cohue.

      On criait:

      – À bas le cabriolet! à bas les écraseurs!

      – Est-ce donc à nous que ces cris s'adressent? demanda la dame qui conduisait à sa compagne.

      – En vérité, madame, j'en ai peur, répondit celle-ci.

      – Avons-nous donc écrasé quelqu'un?

      – Personne.

      – À bas le cabriolet! à bas les écraseurs! criait la foule avec furie.

      L'orage se formait, le cheval venait d'être saisi à la bride, et Bélus, qui goûtait peu le contact de ces mains rudes, piaffait et écumait terriblement.

      – Chez le commissaire! chez le commissaire! cria une voix.

      Les deux femmes se regardèrent au comble de l'étonnement.

      Aussitôt mille voix de répéter:

      – Chez le commissaire! chez le commissaire!

      Cependant

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