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Le Collier de la Reine, Tome I. Dumas Alexandre
Читать онлайн.Название Le Collier de la Reine, Tome I
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Dumas Alexandre
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Si c'était un passant ou un curieux, après avoir constaté vis-à-vis de lui-même la solitude de cet hôtel, il continuait son chemin; mais si c'était un voisin, comme l'intérêt qui s'attachait à l'hôtel était plus grand, il restait presque toujours assez longtemps en observation pour qu'un autre voisin vînt prendre place auprès de lui, attiré par une curiosité pareille à la sienne; et alors presque toujours s'établissait une conversation dont nous sommes à peu près certain de rappeler le fond, sinon les détails.
– Voisin, disait celui qui ne regardait pas à celui qui regardait, que voyez-vous donc dans la maison de M. le comte de Balsamo?
– Voisin, répondait celui qui regardait à celui qui ne regardait pas, je vois le rat.
– Ah! voulez-vous permettre?
Et le second curieux s'installait à son tour au trou de la serrure.
– Le voyez-vous? disait le voisin dépossédé au voisin en possession.
– Oui, répondait celui-ci, je le vois. Ah! monsieur, il a engraissé.
– Vous croyez?
– Oui, j'en suis sûr.
– Je crois bien, rien ne le gêne.
– Et certainement, quoiqu'on en dise, il doit rester de bons morceaux dans la maison.
– De bons morceaux, dites-vous?
– Dame! M. de Balsamo a disparu trop tôt pour n'avoir pas oublié quelque chose.
– Eh! voisin, quand une maison est à moitié brûlée, que voulez-vous qu'on y oublie?
– Au fait, voisin, vous pourriez bien avoir raison.
Et, après avoir de nouveau regardé le rat, on se séparait effrayé d'en avoir tant dit sur une matière si mystérieuse et si délicate. En effet, depuis l'incendie de cette maison, ou plutôt d'une partie de la maison, Balsamo avait disparu, nulle réparation ne s'était faite, l'hôtel avait été abandonné.
Laissons-le surgir tout sombre et tout humide dans la nuit avec ses terrasses couvertes de neige et son toit échancré par les flammes, ce vieil hôtel près duquel nous n'avons pas voulu passer sans nous arrêter devant lui comme devant une vieille connaissance; puis, traversant la rue pour passer de gauche à droite, regardons, attenante à un petit jardin fermé par un grand mur, une maison étroite et haute, qui s'élève pareille à une longue tour blanche sur le fond gris-bleu du ciel.
Au faîte de cette maison, une cheminée se dresse comme un paratonnerre, et juste au zénith de cette cheminée, une brillante étoile tourbillonne et scintille.
Le dernier étage de la maison se perdrait inaperçu dans l'espace, sans un rayon de lumière qui rougit deux fenêtres sur trois qui composent la façade.
Les autres étages sont mornes et sombres. Les locataires dorment-ils déjà? Économisent-ils, dans leurs couvertures, et la chandelle si chère, et le bois si rare cette année? Toujours est-il que les quatre étages ne donnent pas signe d'existence, tandis que le cinquième non seulement vit, mais encore rayonne avec une certaine affectation.
Frappons à la porte; montons l'escalier sombre, il finit à ce cinquième étage où nous avons affaire. Une simple échelle posée contre le mur conduit à l'étage supérieur.
Un pied-de-biche pend à la porte; un paillasson de natte et une patère de bois meublent l'escalier.
La première porte ouverte, nous entrerons dans une chambre obscure et nue; c'est celle dont la fenêtre n'est pas éclairée. Cette pièce sert d'antichambre et donne dans une seconde dont l'ameublement et les détails méritent toute notre attention.
Du carreau au lieu de parquet, des portes grossièrement peintes, trois fauteuils de bois blanc garnis de velours jaune, un pauvre sofa dont les coussins ondulent sous les plis d'un amaigrissement produit par l'âge.
Les plis et la flaccidité2 sont les rides et l'atonie d'un vieux fauteuil: jeune, il rebondissait et chatoyait; hors d'âge, il suit son hôte au lieu de le repousser; et quand il a été vaincu, c'est-à-dire lorsqu'on s'est assis dedans, il crie.
Deux portraits pendus au mur attirent d'abord les regards. Une chandelle et une lampe, placées l'une sur un guéridon à trois pieds, l'autre sur la cheminée, combinent leurs feux de manière à faire de ces deux portraits deux foyers de lumière.
Toquet sur la tête, figure longue et pâle, œil mat, barbe pointue, fraise au col, le premier de ces portraits se recommande par sa notoriété; c'est le visage héroïquement ressemblant de Henri III, roi de France et de Pologne.
Au-dessus se lit une inscription tracée en lettres noires sur un cadre mal doré:
L'autre portrait, doré plus récemment, aussi frais de peinture que l'autre est suranné, représente une jeune femme à l'œil noir, au nez fin et droit, aux pommettes saillantes, à la bouche circonspecte. Elle est coiffée, ou plutôt écrasée d'un édifice de cheveux et de soieries, près duquel le toquet de Henri III prend les proportions d'une taupinière près d'une pyramide.
Sous ce portrait se lit également en lettres noires:
Et si l'on veut, après avoir inspecté l'âtre éteint, les pauvres rideaux de siamoise du lit recouvert de damas vert jauni, si l'on veut savoir quel rapport ont ces portraits avec les habitants de ce cinquième étage, il n'est besoin que de se tourner vers une petite table de chêne sur laquelle, accoudée du bras gauche, une femme simplement vêtue révise plusieurs lettres cachetées et en contrôle les adresses.
Cette jeune femme est l'original du portrait.
À trois pas d'elle, dans une attitude semi-curieuse, semi-respectueuse, une petite vieille suivante, de soixante ans, vêtue comme une duègne de Greuze, attend et regarde.
«Jeanne de Valois», disait l'inscription.
Mais alors, si cette dame était une Valois, comment Henri III, le roi sybarite, le voluptueux fraisé, supportait-il, même en peinture, le spectacle d'une misère pareille, lorsqu'il s'agissait, non seulement d'une personne de sa race, mais encore de son nom?
Au reste, la dame du cinquième ne démentait point, personnellement, l'origine qu'elle se donnait. Elle avait des mains blanches et délicates qu'elle réchauffait, de temps en temps, sous ses bras croisés. Elle avait un pied petit, fin, allongé, chaussé d'une pantoufle de velours encore coquette, et qu'elle essayait de réchauffer aussi en battant le carreau luisant et froid comme cette glace qui couvrait Paris.
Puis comme la bise sifflait sous les portes et par les fentes des fenêtres, la suivante secouait tristement les épaules et regardait le foyer sans feu.
Quant à la dame maîtresse du logis, elle comptait toujours les lettres et lisait les adresses.
Puis, après chaque lecture d'adresse, elle faisait un petit calcul.
– Mme de Misery, murmura-t-elle, première dame d'atours de Sa Majesté. Il ne faut compter de ce côté que six louis, car on m'a déjà donné.
Et elle poussa un soupir.
– Mme Patrix, femme de chambre de Sa Majesté, deux louis. M. d'Ormesson, une audience. M. de Calonne, un conseil. M. de Rohan, une visite. Et nous tâcherons qu'il nous la rende, fit la jeune femme.
«Nous avons donc, continua-t-elle du même ton de psalmodie, huit louis assurés d'ici à huit jours.
Et elle leva la tête.
– Dame Clotilde, dit-elle, mouchez donc cette chandelle!
La vieille obéit et se remit en place, sérieuse et attentive.
Cette espèce d'inquisition dont elle était l'objet parut fatiguer la jeune femme.
– Cherchez donc, ma chère, dit-elle,
2
Le caractère flasque.