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d'elles, la plus grande et la plus majestueuse, appuyait sur ses lèvres un mouchoir de fine batiste brodée, tenait sa tête droite et ferme, malgré la bise que fendait le traîneau dans sa course rapide. Cinq heures venaient de sonner à l'église Sainte-Croix-d'Antin, et la nuit commençait à descendre sur Paris, et avec la nuit le froid.

      En ce moment, les équipages étaient parvenus à la Porte Saint-Denis à peu près.

      La dame du traîneau, la même qui tenait un mouchoir sur sa bouche, fit un signe aux deux hommes de l'avant-garde qui distancèrent le traîneau des deux dames, en pressant le pas du cheval noir. Puis la même dame se retourna vers l'arrière-garde, composée de deux autres traîneaux conduits chacun par un cocher sans livrée, et les deux cochers, obéissant de leur côté au signe qu'ils venaient de comprendre, disparurent par la rue Saint-Denis, dans la profondeur de laquelle ils s'engouffrèrent.

      De son côté, comme nous l'avons dit, le traîneau des deux hommes gagna sur celui des deux femmes, et finit par disparaître dans les premières brumes du soir, qui s'épaississaient autour de la colossale construction de la Bastille.

      Le second traîneau, arrivé au boulevard de Ménilmontant, s'arrêta; de ce côté, les promeneurs étaient rares, la nuit les avait dispersés; d'ailleurs, en ce quartier lointain, peu de bourgeois se hasardaient sans falot et sans escorte, depuis que l'hiver avait aiguisé les dents de trois ou quatre mille mendiants suspects, changés tout doucement en voleurs.

      La dame que nous avons déjà désignée à nos lecteurs comme donnant des ordres toucha du doigt l'épaule du cocher qui conduisait le traîneau.

      Le traîneau s'arrêta.

      – Weber, dit-elle, combien vous faut-il de temps pour amener le cabriolet où vous savez?

      – Matame brend le gapriolet? demanda le cocher, avec un accent allemand des mieux prononcés.

      – Oui, je reviendrai par les rues pour voir les feux. Or, les rues sont encore plus boueuses que les boulevards, et on roulerait mal en traîneau. Et puis, j'ai gagné un peu de froid. Vous aussi, n'est-ce pas, petite? dit la dame s'adressant à sa compagne.

      – Oui, madame, répondit celle-ci.

      – Ainsi, vous entendez, Weber? où vous savez, avec le cabriolet.

      – Pien, matame.

      – Combien de temps vous faut-il?

      – Une temi-heure.

      – C'est bien; voyez l'heure, petite.

      La plus jeune des deux dames fouilla dans sa pelisse et regarda l'heure à sa montre avec assez de difficulté, car, nous l'avons dit, la nuit s'épaississait.

      – Six heures moins un quart, dit-elle.

      – Donc, à sept heures moins un quart, Weber.

      Et, en disant ces mots, la dame sauta légèrement hors du traîneau, donna la main à son amie, et commença de s'éloigner, tandis que le cocher, avec des gestes d'un respectueux désespoir, murmura assez haut pour être entendu de sa maîtresse:

      – Imbrutence! ah! mein Gott! quelle imbrutence!

      Les deux jeunes femmes se mirent à rire, s'enfermèrent dans leurs pelisses, dont les collets montaient jusqu'à la hauteur des oreilles, et traversèrent la contre-allée du boulevard en s'amusant à faire craquer la neige sous leurs petits pieds, chaussés de fines mules fourrées.

      – Vous qui avez de bons yeux, Andrée, fit la dame qui paraissait la plus âgée, et qui, cependant, ne devait pas avoir plus de trente à trente-deux ans, essayez donc de lire à cet angle le nom de la rue.

      – Rue du Pont-aux-Choux, madame, dit la jeune femme en riant.

      – Quelle rue est-ce là, rue du Pont-aux-Choux? Ah! mon Dieu! mais nous sommes perdues! rue du Pont-aux-Choux! on m'avait dit la deuxième rue à droite. Mais sentez-vous, Andrée, comme il flaire bon le pain chaud?

      – Ce n'est pas étonnant, répondit sa compagne, nous sommes à la porte d'un boulanger.

      – Eh bien! demandons-lui où est la rue Saint-Claude.

      Et celle qui venait de parler fit un mouvement vers la porte.

      – Oh! n'entrez pas, madame! fit vivement l'autre femme; laissez-moi.

      – La rue Saint-Claude, mes mignonnes dames, dit une voix enjouée, vous voulez savoir où est la rue Saint-Claude?

      Les deux femmes se retournèrent en même temps, et d'un seul mouvement, dans la direction de la voix, et elles virent, debout et appuyé à la porte du boulanger, un geindre1 affublé de sa jaquette, et les jambes et la poitrine découvertes, malgré le froid glacial qu'il faisait.

      – Oh! un homme nu! s'écria la plus jeune des deux femmes. Sommes nous donc en Océanie?

      Et elle fit un pas en arrière et se cacha derrière sa compagne.

      – Vous cherchez la rue Saint-Claude? poursuivit le mitron qui ne comprenait rien au mouvement qu'avait fait la plus jeune des deux dames, et qui, habitué à son costume, était loin de lui attribuer la force centrifuge dont nous venons de voir le résultat.

      – Oui, mon ami, la rue Saint-Claude, répondit l'aînée des deux femmes, en comprimant elle-même une forte envie de rire.

      – Oh! ce n'est pas difficile à trouver, et, d'ailleurs, je vais vous y conduire, reprit le joyeux garçon enfariné, qui, joignant le fait à la parole, se mit à déployer le compas de ses immenses jambes maigres, au bout desquelles s'emmanchaient deux savates larges comme des bateaux.

      – Non pas! non pas! dit l'aînée des deux femmes, qui ne se souciait sans doute pas d'être rencontrée avec un pareil guide; indiquez-nous la rue, sans vous déranger, et nous tâcherons de suivre votre indication.

      – Première rue à droite, madame, répondit le guide en se retirant avec discrétion.

      – Merci, dirent ensemble les deux femmes.

      Et elles se mirent à courir dans la direction indiquée, en étouffant leurs rires sous leurs manchons.

      Chapitre II

      Un intérieur

      Ou nous avons trop compté sur la mémoire de notre lecteur, ou nous pouvons espérer qu'il connaît déjà cette rue Saint-Claude, qui touche par l'est au boulevard et par l'ouest à la rue Saint-Louis; en effet, il a vu plus d'un des personnages qui ont joué ou qui joueront un rôle dans cette histoire la parcourir dans un autre temps, c'est-à-dire lorsque le grand physicien Joseph Balsamo y habitait avec sa sibylle Lorenza et son maître Althotas.

      En 1784 comme en 1770, époque à laquelle nous y avons conduit pour la première fois nos lecteurs, la rue Saint-Claude était une honnête rue, peu claire, c'est vrai, peu nette, c'est encore vrai; enfin peu fréquentée, peu bâtie et peu connue. Mais elle avait son nom de saint et sa qualité de rue du Marais, et comme telle elle abritait, dans les trois ou quatre maisons qui composaient son effectif, plusieurs pauvres rentiers, plusieurs pauvres marchands et plusieurs pauvres pauvres, oubliés sur les états de la paroisse.

      Outre ces trois ou quatre maisons, il y avait bien encore, au coin du boulevard, un hôtel de grande mine, dont la rue Saint-Claude eût pu se glorifier comme d'un bâtiment aristocratique; mais ce bâtiment, dont les hautes fenêtres eussent, par-dessus le mur de la cour, éclairé toute la rue dans un jour de fête avec le simple reflet de ses candélabres et de ses lustres; ce bâtiment, disions-nous, était la plus noire, la plus muette et la plus close de toutes les maisons du quartier.

      La porte ne s'ouvrait jamais; les fenêtres, matelassées de coussins de cuir, avaient sur chaque feuille des jalousies, sur chaque plinthe des volets, une couche de poussière que les physiologistes ou les géologues eussent accusée de remonter à dix ans.

      Quelquefois un passant désœuvré, un curieux ou un voisin, s'approchait de la porte cochère, et au travers de la vaste serrure examinait l'intérieur de l'hôtel.

      Alors,

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<p>1</p>

Ouvrier boulanger.