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restaient encore à vivre, elle rendit, par le voyage de Douvres, un éclatant service à la France et au roi. On peut croire qu'il lui marqua son contentement avec assez de force, bien que nous sachions qu'il n'alla pas au-devant d'elle pour ne pas déplaire à Monsieur. Il vint la voir à son lit de mort. Là, elle lui dit «qu'il perdait la plus véritable servante qu'il aurait jamais [43]». Cette parole est haute et fière, à la bien comprendre. Ce n'est pas à Louis qu'elle s'adresse, mais au Roi, c'est-à-dire à l'État. C'est la parole d'une petite-fille de Henri IV, mêlée aux affaires de deux royaumes, servant la France avec zèle et qui se voit mourir au milieu de grandes entreprises.

       DE VARDES.

       Table des matières

      La langue du XVIIe siècle, exprimant des mœurs fort différentes des nôtres, est devenue plus difficile à comprendre qu'on ne pense. Ce n'est point tout à fait une langue morte, et, comme nous en avons gardé presque tous les mots, il arrive que nous les prenons tout naturellement dans leur acception moderne, lors même que c'est un vieux texte qui nous les donne. Nous faisons ainsi un grand nombre de contre-sens dont nous ne nous doutons pas. C'est à ce point que je ne crois pas qu'on puisse lire couramment vingt-cinq vers de Racine en étant bien certain de les comprendre tout à fait comme les contemporains du poëte. Il y faut un peu d'exégèse; c'est à quoi les nouvelles éditions critiques avec notes et lexiques ont amplement pourvu. Mais on les consulte peu, et un Français ayant passé par le collège croira difficilement qu'il a besoin d'un dictionnaire pour comprendre Racine ou Molière, ce qui est pourtant la vérité. On fera encore moins de façons pour lire les Mémoires de mademoiselle de Montpensier ou ceux de madame de La Fayette, dont le style plus familier semble plus facile et, en réalité, demande beaucoup plus d'étude. Est-on sûr seulement de bien entendre les termes que ces écrivains emploient le plus ordinairement, ceux, par exemple, de maîtresse, d'amant, de galanterie?

      Je crois que ces réflexions sont très-bien à leur place ici, parce que l'Histoire d'Henriette d'Angleterre est un des livres qui perdent le plus à être lus à la moderne, si j'ose dire, et sans une attention suffisante aux changements que les mots ont éprouvés dans leur sens depuis le siècle de Louis XIV.

      Tout spécialement, les sentiments de M. de Guiche pour Madame ne peuvent être bien sentis que si l'on fait effort pour rendre à certains termes l'honnêteté qu'ils ont perdue en deux siècles, dans les aventures de la société française. Ainsi, ce que madame de La Fayette nomme galanterie était alors, en langage de cour, «une manière polie, enjouée et agréable de faire ou de dire les choses [44]». C'était plus encore, c'était un art que cultivaient ceux qui en avaient le loisir et le talent; les galants, comme tous les artistes, mettaient dans la satisfaction de l'amour-propre leur plus haute récompense, et, faisant œuvre d'esprit, ne gâtaient leur ouvrage par rien de grossier. Je ne dis point qu'en fait il en était toujours ni même souvent ainsi. Ce serait méconnaître la nature dont les pièges sont vieux comme le monde et sans cesse tendus. Je parle de la galanterie telle que la concevaient les «honnêtes gens» et telle qu'on devait la pratiquer pour mériter l'estime des connaisseurs. Aujourd'hui c'est quelque chose de moins et quelque chose de plus.

      Vaugelas, qui avait vécu à la cour de Gaston d'Orléans et fréquenté l'hôtel de Rambouillet, plaça dans son livre «utile à ceux qui veulent bien lire» une remarque sur les mots galant et galamment qui est tout un chapitre de l'histoire des mœurs monarchiques.

      Parlant de cette sorte de galants qui donnaient le ton à la Cour, il se demande ce qui les fait tels et à quoi l'on peut les reconnaître. «J'ai vu autrefois, dit-il, agiter cette question parmi des gens de la Cour et des plus galants de l'un et de l'autre sexe, qui avoient bien de la peine à le définir. Les uns soutenoient que c'est je ne sais quoi, qui diffère peu de la bonne grâce; les autres que ce n'étoit pas assez du je ne sais quoi, ni de la bonne grâce, qui sont des choses purement naturelles, mais qu'il falloit que l'un et l'autre fût accompagné d'un certain air, qu'on prend à la Cour et qui ne s'acquiert qu'à force de hanter les grands et les dames. D'autres disoient que ces choses extérieures ne suffisoient pas, et que ce mot de galant avoit bien une plus grande étendue, dans laquelle il embrassoit plusieurs qualités ensemble; qu'en un mot, c'étoit un composé où il entroit du je ne sais quoi, ou de la bonne grâce, de l'air de la Cour, de l'esprit, du jugement, de la civilité, de la courtoisie et de la gaieté, le tout sans contrainte, sans affectation et sans vice. Avec cela, il y a de quoi faire un honnête homme à la mode de la Cour. Ce sentiment fut suivi comme le plus approchant de la vérité, mais on ne laissoit pas de dire que cette définition étoit encore imparfaite et qu'il y avoit quelque chose de plus dans la signification de ce mot, qu'on ne pouvoit exprimer; car pour ce qui est, par exemple, de s'habiller galamment, de danser galamment; faire toutes ces autres choses qui consistent plus aux dons du corps qu'en ceux de l'esprit, il est aisé d'en donner une définition; mais quand on passe du corps à l'esprit et que, dans la conversation des grands et des dames et dans la manière de traiter et de vivre à la Cour, on s'y est acquis le nom de galant, il n'est pas si aisé à définir; car cela présuppose beaucoup d'excellentes qualités qu'on auroit bien de la peine à nommer toutes, et dont une seule venant à manquer suffiroit à faire qu'il ne seroit plus galant [45].»

      Le bon Vaugelas s'attarde; pour faire vite, disons avec Saint-Evremond que l'air galant «est ce qui achève les honnêtes gens et les rend aimables [46].»

      Madame était née «avec des dispositions galantes», dit la comtesse de La Fayette; Madame était «naturellement galante», dit l'abbé de Choisy. Cela veut dire que Madame était polie, enjouée, agréable et qu'elle aimait à se montrer telle, en toute rencontre, à ses risques et périls, bien entendu. Les galants et les galantes avaient leurs modèles, leurs parangons, dans les princes et les princesses des tragédies et des romans; c'était leur affaire d'accorder des sentiments délicats et quasi héroïques avec les brutalités de la vie et les fragilités de la nature.

      Madame aurait aimé à entretenir avec le Roi un commerce de ce genre, mais il lui échappa vite, par l'effet de sa complexion amoureuse et faute de s'en tenir aux plaisirs de l'esprit. Elle trouva, par contre, en M. de Guiche un homme entêté de galanterie. M. de Guiche, fils du maréchal de Gramont, était un compagnon de jeunesse de Monsieur qu'il traitait avec un sans-façon dont on peut juger par ce que la grande Mademoiselle rapporte d'un bal donné à Lyon, en 1658, par le maréchal de Villeroi.

      «Le comte de Guiche, dit-elle, y étoit, lequel, faisant semblant de ne pas nous connoître, tirailla fort Monsieur dans la danse et lui donna des coups de pied au cul. Cette familiarité me parut assez grande; je n'en dis mot, parce que je savois bien que cela n'eût pas plu à Monsieur, qui trouvoit tout bon du comte de Guiche [47].»

      M. de Guiche qui, avec une jolie figure et un esprit cultivé, donnait dans tous les travers à la mode, se faisait devant les dames la mine d'un vrai berger et d'un parfait héros de roman. C'est par là qu'il plut à la jeune princesse qui ne semble pas avoir été attirée vers lui par des influences plus secrètes et plus irrésistibles. Depuis le moment où, répétant dans un ballet avec Madame, il s'écria, à peu près comme Mascarille, «au voleur! au voleur [48]!» jusqu'au jour où, déguisé en laquais, il fit ses adieux à sa maîtresse et tomba évanoui dans la cour du Louvre, le comte de Guiche se conduisit en parfait amant, plein à la fois d'audace et de respect, imaginant les rencontres les plus singulières, prenant les travestissements les plus étranges, portant sur son cœur le portrait de sa dame, sur lequel, à la guerre, venaient s'aplatir les balles, bravant les disgrâces, parlant peut-être un peu trop, défaut auquel les chevaliers errants eux-mêmes sont sujets, se jetant dans tous les périls, jaloux jusqu'à perdre la raison et surtout, ce qui était le grand point, écrivant des lettres. Il en faisait des volumes et nous devinerons tout à l'heure de quel style elles étaient.

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