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survint cette mort désolante, madame de La Fayette avait posé la plume sur le récit de la dernière entrevue de Madame avec le comte de Guiche, en 1665. Elle ne la reprit que pour écrire une relation de ces neuf heures d'inexprimables douleurs pendant lesquelles Madame montra une douceur et un courage extraordinaires constamment alliés à la plus parfaite simplicité. Dans cette relation les paroles sont en harmonie avec les choses; il faut l'avoir lue pour savoir tout ce que vaut la simplicité dans une âme ornée [5].

      II. NOTE POUR SUPPLÉER AU SILENCE DE MADAME DE

       LA FAYETTE SUR L'ENFANCE D'HENRIETTE

       D'ANGLETERRE.

       Table des matières

      Ayant dit que la princesse d'Angleterre, fille d'une reine exilée et pauvre, fut élevée dans la simplicité d'une condition privée, madame de La Fayette ajoute que «cette jeune princesse prit toutes les lumières, toute la civilité et toute l'humanité des conditions ordinaires [6].» Cette remarque pleine de sens et qui est le résultat d'observations nombreuses et bien faites, laisse entrevoir toute la sagesse d'âme, toute la solidité d'esprit de cette dame qui disait: «C'est assez que d'être» et qui ne s'éblouit de rien. Mais il n'était ni dans le plan de Madame, ni, par conséquent, dans celui de la comtesse de rappeler les détails de cette simple enfance, de dire comment, à sainte Marie de Chaillot, la mère d'Henriette Stuart faisait elle-même les comptes de sa maigre dépense [7], et comment, après le départ du prince de Galles pour l'Ecosse, la reine exilée fut abandonnée de tous ses gens, qu'elle ne pouvait payer. «L'étoile était alors terrible contre les rois», dit Madame de Motteville. Et elle rapporte que, la recevant dans une mauvaise chambre des Carmélites, Henriette de France lui montra une petite coupe d'or dans quoi elle buvait et lui jura «qu'elle n'avoit d'or, de quelque manière que ce pût être, que celui-là [8].» La fille de Henri IV vendit ses hardes pour subsister [9]; il y eut un moment où elle manqua de bois et presque de pain pour son enfant. C'est le cardinal de Retz qui en témoigne:

      «Cinq ou six jours, dit-il, devant que le Roi sortît de Paris, j'allai chez la reine d'Angleterre, que je trouvai dans la chambre de madame sa fille, qui a été depuis madame d'Orléans. Elle me dit d'abord: «Vous voyez, je viens tenir compagnie à Henriette. La pauvre enfant n'a pu se lever aujourd'hui faute de feu.» Le vrai étoit qu'il y avoit six mois que le Cardinal n'avoit pas fait payer à la Reine de sa pension [10]; que les marchands ne vouloient plus fournir, et qu'il n'y avoit plus un morceau de bois dans la maison [11].»

      Mais ce dénuement était passager et résultait du désarroi que la guerre civile avait mis dans le service des maisons royales. La princesse d'Angleterre, qui avait alors quatre ans et demi, ne devait pas recevoir de ces privations une impression bien forte.

      Elle avait vingt et un ans en 1665, quand il lui vint en tête de fournir des mémoires à son amie. Elle était encore trop jeune et trop occupée de sa jeunesse pour se plaire aux souvenirs de son enfance. Aussi n'a-t-elle rien dicté qui se rapportât aux premières années de sa vie. On dirait que cette jolie femme se croyait née le jour où elle fut aimée pour la première fois. Ce fut quand le duc de Buckingham la vit à Londres; elle avait seize ans et c'est de ce moment que son historien commence à la peindre.

       D'ANGLETERRE. SES PORTRAITS.

       Table des matières

      Mademoiselle de Montpensier parle avec une malice assez agréable du charme qui enveloppait la princesse d'Angleterre et cachait en elle certaine disgrâce fort apparente d'ordinaire: «Elle avoit trouvé,» dit Mademoiselle, [12] «le secret de se faire louer sur sa belle taille, quoi qu'elle fût bossue, et Monsieur même ne s'en aperçut qu'après l'avoir épousée.» Voilà une bossue bien dissimulée, mais une bossue enfin; et la bonne demoiselle n'est pas seule à le dire. La Fare, fort détaché, dit que Madame «quoi qu'un peu bossue, avait non seulement dans l'esprit, mais même dans sa personne, tous les agréments imaginables [13]».

      Elle avait en effet le dos rond. A ce signe, comme à l'éclat particulier de son teint, à sa maigreur et à la toux qui la secouait constamment, on pouvait reconnaître la maladie que l'autopsie révéla [14] et qui l'eût emportée si une autre plus rapide ne fût survenue. Ces symptômes frappèrent le vieux doyen de la faculté de médecine de Paris, Guy Patin, qui écrivait à Falconnet, le 26 septembre 1644: «Madame la duchesse d'Orléans est fluette, délicate et du nombre de ceux qu'Hippocrate dit avoir du penchant à la phthisie. Les Anglois sont sujets à leur maladie de consomption, qui en est une espèce, une phthisie sèche ou un flétrissement du poumon» [15].

      Tout en elle, jusqu'à son perpétuel besoin d'agitation, trahissait la poitrinaire. Elle avait une coquetterie intrépide et un goût de galanterie que n'interrompaient ni les malaises, ni les grossesses, ni les couches les plus pénibles; c'est que ce goût était tout de tête et seulement pour l'imagination. On conçoit qu'avec son tapage et ses bravoures elle agaçait la reine Marie-Thérèse, bonne femme et simple, ne connaissant que l'étiquette. La reine se plaignait que, pendant qu'elle était en couches, Madame était venue la voir «ajustée avec mille rubans jaunes et coiffée comme si elle étoit allée au bal.» Elle ajoutait avec quelque aigreur qu'«une coiffe baissée et un habit modeste» eussent marqué plus de respect. Mais les hommes n'entraient pas dans les rancunes de la Reine et leur témoignage atteste unanimement l'attrait de cette malade charmante.

      Il y a dans les premiers mémoires de Daniel de Cosnac, évêque de Valence et grand aumônier de Monsieur, un portrait de Madame qui a son prix, venant d'un ami respectable et d'un confident discret. Le voici:

      «Madame avoit l'esprit solide et délicat, du bon sens, connoissant les choses fines, l'âme grande et juste, éclairée sur tout ce qu'il faudroit faire, mais quelquefois ne le faisant pas, ou par une paresse naturelle, ou par une certaine hauteur d'âme qui se ressentoit de son origine et qui lui faisoit envisager un devoir comme une bassesse. Elle mêloit dans toute sa conversation une douceur qu'on ne trouvoit point dans toutes les autres personnes royales. Ce n'est pas qu'elle eût moins de majesté; mais elle en savoit user d'une manière plus facile et plus touchante; de sorte qu'avec tant de qualités toutes divines, elle ne laissoit pas d'être la plus humaine du monde. On eût dit qu'elle s'approprioit les cœurs, au lieu de les laisser en commun, et c'est ce qui a aisément donné sujet de croire qu'elle étoit bien aise de plaire à tout le monde et d'engager toutes sortes de personnes [16].»

      C'est bien ainsi qu'elle nous apparaît: intelligente, délicate, douce et fière, fidèle aux amis, faible et désarmée contre les flatteries et les caresses, humaine. Ce dernier mot dit beaucoup, et contient, à mon sens, la plus belle louange qu'on puisse donner à une princesse, c'est-à-dire à une personne que les mœurs publiques et privées tiennent en dehors de la sympathie et de l'humanité. L'évêque de Valence ajoute à ce portrait moral un portrait physique galamment tracé et qui sent le fin connaisseur. C'était le temps des Retz et des Chanvallon:

      «Pour les traits de son visage, on n'en voit pas de si achevés; elle avoit les yeux vifs sans être rudes, la bouche admirable, le nez parfait, chose rare! car la nature, au contraire de l'art, fait bien presque tous les yeux et mal presque tous les nez. Son teint étoit blanc et uni au delà de toute expression, sa taille médiocre, mais fine; on eut dit qu'aussi bien que son âme, son esprit animoit tout son corps. Elle en avoit jusqu'aux pieds, et dansoit mieux que femme du monde.

      «Pour ce je ne sais quoi tant rebattu, donné si souvent en pur don à tant de personnes indignes, ce je ne sais quoi qui descendoit d'abord jusqu'au fond des cœurs, les délicats convenoient que chez les autres il étoit copie, qu'il n'étoit original

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