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tous les jeunes gens en ont...

      —Je ne dois pas un sou.

      —Mais écoute-moi donc, je ne te demande rien. Sois franc, tu as besoin de cinq mille francs?

      —Mon cher père...

      —Il te faut davantage... soit, tu auras dix mille francs.

      Et l’avoué, se levant, comme pour annoncer que la discussion était close, se dirigea vers la porte. Pascal comprit qu’il fallait en finir.

      —Mon père, dit-il, j’ai besoin de tout ou de rien.

      —Rien alors, répondit M. Divorne d’un ton menaçant, en revenant sur ses pas; rien. Crois-tu que je vais, jeune insensé, te laisser dissiper ta petite fortune?

      —Cet argent m’est nécessaire, pourtant, indispensable.

      —Ah! c’est indispensable; soit. Ta tante t’a laissé une ferme, une ferme que je te rendrai en bon état, avec un bail avantageux. Soit, reprends tes biens et arrange-toi. Qu’en feras-tu?

      —Je les vendrai.

      —Et tu crois que cela te donnera de l’argent du jour au lendemain? Il faut attendre une occasion, chercher un acquéreur, poser des affiches...

      —Je chercherai, je poserai des affiches.

      —Mais tu n’y penses pas, malheureux! et que dirait-on à Lannion, si on te voyait vendre seulement un franc de terre! Sais-tu ce qu’on dirait?

      —Eh! que m’importe! s’écria Pascal avec vivacité. Je vais commander les affiches de ce pas.

      M. Divorne connaissait son fils. Il comprit que sa détermination était prise.

      —Arrêtez, dit-il, je veux vous éviter cette honte. Je trouverai l’argent, dussé-je faire un sacrifice.

      Pascal, qui regrettait de s’être un instant laissé emporter, voulut prendre les mains de son père; mais il le repoussa.

      —Epargnez-vous d’inutiles protestations, fit-il; et il ajouta d’un air d’ironie: Vous voudrez bien, je l’espère, m’accorder huit jours.

      Et il sortit en fermant la porte avec violence.

      Pendant cette discussion, madame Divorne n’avait pas prononcé une parole; elle pleurait. Pascal, que la colère paternelle avait affermi dans sa résolution, se sentit faible devant les larmes de sa mère.

      Il s’agenouilla près d’elle, et lui prenant les mains:

      —Mère, dit-il, chère mère, un mot, dis un mot, et je renonce à mes projets, et j’essaie de retirer ma démission.

      Un éclair de joie brilla dans les yeux de madame Divorne, éclair de triomphe aussi. Comme son fils l’aimait! que ne lui sacrifiait-il pas, lui si ferme tout à l’heure!

      —Non, mon Pascal, non, suis tes inspirations, j’ai confiance, moi.

      —Chère mère, au moins faut-il que tu saches...

      —Rien, je ne veux rien savoir. Je te le répète, j’ai confiance; comprendrais-je, d’ailleurs?

      Et comme il s’obstinait, elle lui ferma la bouche de ses deux mains.

      La maison fut bien triste pendant les jours qui suivirent. L’avoué était sombre et ne disait mot. On ne le voyait qu’aux heures des repas; le reste du temps il s’enfermait dans son cabinet. Madame Divorne se cachait pour pleurer.

      Pascal n’avait pas idée d’un tel supplice. Il aurait donné deux ans de sa vie pour pouvoir partir. Si encore il avait pu causer de ses projets, étaler ses plans. Mais non, il fit près de son père deux ou trois tentatives inutiles, et sa mère lui répondait toujours: «—J’ai confiance,» sans vouloir lui laisser dire une parole.

      Enfin, le jour indiqué, M. Divorne conduisit son fils dans son cabinet.

      —Voici, dit-il, en lui montrant une liasse d’actes, vos comptes de tutelle. Voyez si j’ai administré vos biens en bon père de famille. Lisez, et donnez-moi quittance.

      Pascal prit une plume.

      —Non, lisez, insista l’avoué.

      Et comme le jeune homme s’y refusait, il prit les actes, et lui-même lut à haute voix, insistant sur certains détails, et de temps à autre s’arrêtant pour demander:

      —Êtes-vous satisfait de ma gestion?

      Les actes étaient longs. Pascal se mourait d’impatience, lorsqu’enfin cette lecture, véritable supplice qui dura près de trois heures, fut terminée.

      —Maintenant, dit le père, voici votre argent. Il vous revient, comme vous avez pu vous en convaincre, quarante-trois mille sept cent cinquante-six francs soixante centimes. Comptez si tout y est.

      Pascal mit les billets et l’argent dans sa poche; son père l’arrêta:

      —Non, comptez, vous dis-je, j’y tiens.

      Il fallut obéir.

      —Nous sommes quittes, n’est-ce pas? dit alors l’avoué. Quand partirez-vous?

      —Mais le plus tôt possible, dès demain, si je puis avoir une place dans la voiture... On m’attend à Paris.

      —En effet, vous auriez tort de vous faire attendre.

      —Cependant, mon père, je ne voudrais pas nous quitter ainsi; vous êtes injuste à mon égard, et je...

      —Chansons que tout cela! fit l’avoué avec impatience; laissez-moi, j’ai à travailler.

      Le lendemain matin, à neuf heures, le garçon des messageries vint avertir Pascal qu’on attelait les chevaux à la diligence, et qu’il n’avait que le temps de se rendre au bureau.

      Les adieux furent pénibles. Madame Divorne sanglotait. A la voir étreindre son fils, on aurait pu croire qu’elle l’embrassait pour la dernière fois. Pascal n’était guère moins ému que sa mère; à peine s’il pouvait retenir ses larmes; il lui eût été impossible de prononcer une parole.

      C’est en cette circonstance que M. Divorne montra bien quelle était la force de son caractère et l’énergie de sa volonté,—une volonté de fer.—Non-seulement il ne voulut pas embrasser son fils, mais encore il refusa de lui donner la main. Il affecta même un ton railleur et dégagé.

      —Souvenez-vous, dit-il à son fils, que vous portez avec vous toute votre fortune. Lorsqu’elle sera dissipée, ce qui, je présume, ne sera pas long, vous me ferez sans doute l’honneur de recourir à moi; je vais toujours faire préparer votre chambre.

      Pascal se rendit seul à la diligence. Les gens de Lannion en conclurent qu’il venait d’être chassé par son père.

       Table des matières

      Il y aura six ans, vienne le mois de février, que Pascal est de retour à Paris après son expédition en Bretagne. Il arriva à la gare de Montparnasse par le train de cinq heures du matin.

      Il faisait un joli petit froid de sept à huit degrés au-dessous de zéro. On ne trouva cependant aucun voyageur de gelé dans les wagons: cet accident arrivait parfois en hiver, avant l’heureuse idée, qu’ont eue les Compagnies, d’utiliser au profit des voyageurs la vapeur perdue de la locomotive.

      Pascal avait fait un triste voyage. Il adorait ses parents, et l’idée du chagrin qu’il venait de leur causer lui pesait sur le cœur comme un remords. Jamais route ne lui parut plus longue; il lui semblait que la locomotive roulait sur place: il lui tardait d’être à Paris. Quelques heures de sommeil auraient trompé son impatience, mais c’est vainement

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