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il allait à la conquête du droit, donnant la main à la chanson et au pamphlet, entre Béranger et Paul-Louis Courier, l’ancien canonnier à cheval, vigneron de la Chavonière.

      Que seraient, dites-moi, devenues les longues tartines du libéralisme, et même les ardentes polémiques des chefs illustres de l’opposition, sans la satire, la chanson et le petit journal?

      La grande presse inquiétait les ministres; mais les refrains de Béranger les poursuivaient comme des huées, mais les lettres d’un vigneron rembourraient leur chevet d’épines, mais les épigrammes du petit journal les harcelaient comme une nuée de taons. M. X., alors ministre, paraissait à la tribune; il avait préparé un beau discours, bien long, bien lourd... mais on se rappelait le bon mot de la veille, on riait; autant de bonnes raisons perdues.

      Avant tout, il fallait de l’esprit, en un temps où les plus graves politiques ne dédaignaient pas d’écrire des Lettres à la girafe (M. de Salvandy).

      Malheureusement pour le petit journal, les causes de sa vogue sont aussi celles de sa décadence. Un jour il ne donne plus juste la note de l’opinion, de ce moment il est perdu.

      Lui, si fort pour démolir, il est impuissant à édifier. L’essaie-t-il, il devient grotesque, ridicule lui-même.

      Il brille dans l’opposition; mais qu’il passe au pouvoir, il s’éteint et meurt. Il a les mêmes hommes, cependant, le même état-major, le même esprit; peu importe, il n’est plus dans son élément. Il justifie ainsi ce mot d’un ministre qui perdit, en gagnant le portefeuille, la verve incisive qui lui avait valu le pouvoir.

      —Ah çà! sommes-nous donc des imbéciles? Je ne vois d’esprit que chez nos adversaires.

      Allié utile aux jours de lutte, le petit journal devient souvent dangereux. Il est changeant, hélas! comme l’opinion, comme la popularité.

      Puis, il ne peut être impartial, car il lui faut une victime. Après avoir tiré sur les ennemis, lorsque rien plus ne lui résiste, il tire sur ses propres troupes. Vous vous croyez son ami, il vous étranglera impitoyablement pour un bon mot. Vous êtes bien tranquillement assis à la galerie, vous vous tenez les côtes à voir mitrailler ceux que vous détestez... Paf! un pétard vous part entre les jambes, un lardon met le feu à votre perruque, et c’est vous, spectateur, qui donnez à rire aux acteurs.

      Il faut dire le mal comme le bien:

      Hélas! le petit journal, comme la satire, comme la chanson, a eu ses injustices et ses excès. Parfois il s’est trompé, il a bafoué le génie et berné le sage. Il faut le lui pardonner.

      Il faut le lui pardonner, parce que souvent il a été l’arme dernière, la suprême ressource du faible. Avocat du droit, du bon sens et de la vérité, il a tenu à honneur de combattre toutes les tyrannies, il a été pour beaucoup dans toutes les conquêtes. On doit lui pardonner enfin, parce qu’il est «la puissance invincible ennemie du présent et complice de l’avenir.»

       Table des matières

      C’est au plus fort de la lutte des partis, lorsque de toutes parts se soulevait l’opinion contre le gouvernement des Bourbons, que fut fondé le Figaro, par Lepoitevin-Saint-Alme, que toute la génération littéraire a connu rédacteur en chef du Corsaire-Satan en 1846 et de la Liberté en 1848.

      Saint-Alme avait créé ce nouveau journal avec le concours de MM. Nestor Roqueplan et Maurice Alhoy, et d’un jeune homme qui débutait alors sous le nom de Horace de Saint-Aubin, et qui devait être notre illustre Balzac.

      A ce journal, M. Michel Masson remplissait les importantes fonctions de cuisinier et de caissier. Ce dernier poste n’était pas une sinécure.

      L’instant était admirablement choisi pour fonder une feuille satirique, aussi un très-grand succès accueillit-il tout d’abord le Figaro.

      Saint-Alme cependant ne garda pas longtemps son journal; moins de six mois après l’avoir fondé, il le céda, par l’intermédiaire de M. Nestor Roqueplan, à Victor Bohain, qui devait lui imprimer une impulsion nouvelle.

      De ce moment le Figaro prit hardiment place à l’avant-garde de l’opposition, et il resta fidèle au poste, toujours sur la brèche, jusqu’au jour où ses deux rédacteurs en chef, Victor Bohain et M. Nestor Roqueplan, signèrent la fameuse protestation contre les ordonnances. Le lendemain, la révolution était faite.

      De 1826 à 1830, le Figaro fut rédigé par l’élite de tous les jeunes esprits de la fin de la Restauration. Mais aucun nom n’était connu. L’incognito était, on le comprenait alors, une des conditions indispensables du succès, de la liberté d’esprit, de la puissance d’un journal satirique. Aussi Bohain était-il, à cet égard, d’une discrétion à toute épreuve. Quelles séductions, quels subterfuges M. Dupin et tant d’autres n’ont-ils pas employés pour connaître l’auteur de la série d’articles mordants et révélateurs qui se publiaient sous le titre d’Esquisses de la Chambre des députés! Tout fut inutile. Bohain répondait invariablement que ces articles se trouvaient dans la boîte du journal. Néanmoins, lorsque M. Laffitte, loué dans un de ces articles, après avoir tenté vainement de savoir qui il en devait remercier, fit remettre à Bohain un magnifique service de thé, celui-ci s’empressa d’envoyer le cadeau à l’auteur.

      Il serait facile aujourd’hui de violer cet incognito si scrupuleusement gardé, mais ce secret est devenu celui de la comédie littéraire, si bien qu’il n’offre plus guère d’intérêt. Il est, je crois, plus utile et plus juste d’esquisser la vie de celui qui personnifia le Figaro aux jours de ses plus grands succès.

      Ces quelques détails, je les emprunte à M. Julien Lemer, un des hommes les mieux informés des choses littéraires de ce temps-ci; ils furent publiés dans la Gazette de Paris à la mort de Victor Bohain, en 1856, et ce fut même un des rares, très-rares articles consacrés à cet homme qui avait rendu tant de services, je ne dirai pas à la littérature, mais aux gens de lettres.

      Donc, je copie:

      «Quels beaux commencements que ceux de Victor Bohain! Je ne parle pas du temps de son enfance; ceci n’est point une notice biographique, c’est une simple esquisse composée principalement de souvenirs personnels.

      «J’ai vu Bohain pour la première fois en 1828. Si j’en crois ses amis, il devait avoir alors vingt-cinq ans. Il était rédacteur en chef du Figaro, qui, en ce temps-là, était une des feuilles politiques quotidiennes les plus importantes de Paris, une de celles qui devaient jouer un des rôles les plus considérables sous la Restauration, et laisser dans l’histoire de cette époque une trace des plus brillantes. Adolphe Blanqui, le plus spirituel de nos économistes, chez qui j’étais en pension pour faire mes études, me chargeait quelquefois, en allant au collége Bourbon, de remettre sa copie[2] à Bohain, qui habitait une charmante maison à l’italienne dans la cité Bergère, au nº 12, je crois. Ces jours-là étaient pour moi des jours de fête, car Bohain ne me laissait jamais partir sans me donner quelque billet de spectacle; aussi m’apparaissait-il comme le grand dispensateur des plaisirs parisiens. J’eus occasion de voir alors dans son cabinet ou dans ses bureaux presque tous les hommes devenus célèbres depuis.

      «A la fin de 1829, Bohain, âgé tout au plus de vingt-six ans, possédait une fortune magnifique pour le temps. On l’évaluait à plus de quatre millions. Outre la propriété du Figaro, il avait le théâtre des Nouveautés, situé place de la Bourse, là où est aujourd’hui le Vaudeville, une part considérable dans le Vaudeville de la rue de Chartres et dans les Variétés, où il fit jouer une des pièces les plus audacieuses, sous le rapport de la verve satirique et de la licence aristophanesque, qu’on ait jamais représentées sur aucun théâtre. Cette pièce, intitulée les Immortels, Bohain n’en était pas l’auteur,

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