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       Amédée Achard

      Nouvelles

      Le livre à serrure ; Perce-neige ; Une nuit à Saint-Avold

      Publié par Good Press, 2021

       [email protected]

      EAN 4064066328085

       LE LIVRE A SERRURE

       I

       II

       III

       IV

       V

       PERCE-NEIGE

       I

       II

       III

       IV

       V

       VI

       VII

       UNE NUIT A SAINT-AVOLD

       Table des matières

       Table des matières

      La nuit était splendide. Le ciel, noir et profond, ressemblait à une immense draperie de velours semée de clous d’or; cependant, comme on était en plein cœur des plus grands jours de l’année, un reste de clarté traînait encore au sommet des collines du côté où le soleil se couche. On entendait à quelque distance le gémissement de la mer sur la grève, et, par une échancrure, entre les cimes arrondies de deux bouquets de pins, le regard en apercevait la surface lumineuse et lisse, toute pleine de scintillements. Esther courut à la fenêtre, l’ouvrit toute grande et s’y pencha, offrant son visage au souffle du vent léger qui passait dans l’air. Au milieu du silence, des murmures sortaient du feuillage. C’était comme des voix étouffées qui s’appelaient et se répondaient. Elle semblait en écouter le langage mystérieux et doux, les yeux au loin, perdus dans le vide, les lèvres entr’ouvertes et frémissantes comme si elle eût demandé quelque chose à l’espace que la brise ne lui apportait pas. Tout à coup elle se jeta sur la porte de sa chambre, en tira le verrou, revint à la fenêtre, plongea un regard dans l’obscurité du jardin, et, sûre de n’être point dérangée, prit dans une armoire un livre fermé par une serrure dont elle se hâta de faire jouer le ressort, s’assit devant une table, et, sautant sur une plume avec une sorte d’impatience, la trempa dans l’encre. Presque aussitôt sa main volait sur les pages blanches.

      «Je sens que le sommeil ne viendra pas;... j’ai comme du feu dans les veines. Que faire, sinon ce que j’ai fait si souvent: me confier à ce livre où je mets tout sans ordre, les menus événements de chaque jour, — et Dieu sait cependant s’ils ont la monotonie d’une eau qui coule sans bruit sur un lit d’herbes molles, — les pensées qui me viennent tout à coup, mes espérances, que font naître le gazouillement d’un oiseau, la chanson d’un enfant qui pousse deux chèvres sur un sentier, un rayon sur un brin de mousse, les craintes que m’inspire un avenir inconnu, mes tristesses vagues, mes souvenirs, tout enfin! C’est mon confident, mon ami, et sans lui il y a des heures où je serais bien triste.

      » J’ai là sous ma main une lettre qui m’a donné la fièvre. Je n’en ai rien laissé voir. Comme on peut être seul quelquefois au sein d’une famille! A qui s’ouvrir? Quand cette lettre est arrivée, c’est ma sœur Hortense qui en a déployé les larges feuilles. — Ah! voilà Blanche qui se marie! a-t-elle dit. —Que Dieu l’assiste! a répondu ma mère. —Ma sœur Charlotte n’a pas remué ; rien sur son visage, rien dans son attitude; il m’a semblé seulement qu’elle était moins active à tirer l’aiguille. Moi, je n’ai rien dit. Je savais toute l’histoire depuis un mois, Blanche m’en ayant écrit la nouvelle en secret. Quelle lettre! Je l’avais lue et relue! «Comprends-tu?

      » me disait-elle, je l’épouse, lui, Edmond....

      » cet Edmond qui sera à moi; les

       » deux familles sont d’accord, le mariage se

       » fera dans six semaines, on n’en parle pas

       » encore à cause d’un oncle qu’il faut amener

       » à le vouloir; mais, si je n’en parlais pas à

       » quelqu’un, mon bonheur m’étoufferait, il

       » faut qu’il s’épanche... j’en ai le cœur plein.» Il y en avait quatre pages écrites sur ce ton-là ; elle était folle! Cette lecture m’a fait perdre l’esprit, je n’en dormais plus; j’en savais tous les passages par cœur. Il m’arrivait, quand j’étais seule dans les champs, ou la nuit avant de fermer les yeux, de me les réciter à moi-même. Des mots me semblaient écrits avec du feu. J’en ai vécu; je n’avais plus aucune autre idée. — Qu’as-tu? me disait-on quelquefois. — J’avais cette lettre. Il y a donc des bonheurs qui rendent fou, et ces bonheurs viennent d’un autre! Quand je pense à ces choses, mon cœur bat à se rompre. Il y avait une ligne à la fin qui m’a fait monter le rouge au visage:

       «Tu verras, ajoutait Blanche, un jour ce

       » sera ton tour, tu aimeras, tu seras aimée.»

      «Je traverse des heures d’une détresse morale telle dans mon abandon que partout .je cherche un secours, un appui; mais à qui m’adresser? et qui me comprendra? Ce n’est pas le curé, à qui j’en ai demandé. Le pauvre homme est accoutumé à confesser de bonnes femmes qui s’accusent de minuties et se croient perdues pour une gorgée de bouillon avalée un vendredi, ou de jeunes paysannes robustes qui ne se font pas faute de commettre de gros péchés. Moi, il n’entend rien à ce que je lui dis. Il m’écoute, dodelinant de la tête, hume une prise de tabac, et, lorsqu’il devine au tremblement de ma voix que des sanglots me montent à la gorge, un bredouillement de mots sans suite m’interrompt. — Des imaginations que tout cela, ma fille, ça passera, ça passera! me dit-il. — Et après quelques exhortations banales où il m’invite à la soumission, il se hâte de s’éloigner en répétant: — Ça passera, ma fille, ça passera! — Et rien ne passe, hélas!

      » L’abbé Camelot est bon, il fait du bien au delà de ses forces et de ses ressources, il donne ce qu’il a et ce qu’il arrache à la parcimonie et à l’égoïsme de ses paroissiens; mais il a l’esprit court, et au delà d’un certain horizon où il a cantonné sa vie et son intelligence, tout le reste est lettre morte pour lui. Quelquefois je le rencontre trottant le long d’un sentier, son bréviaire à

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