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de l’abri qu’il allait faire construire pour les bestiaux; mais pas un mot ne fut prononcé à ce sujet. Dès qu’ils furent seuls:

      «J’ai quelque chose de particulier à vous dire, monsieur,» commença Belton.

      L’opinion de M. Amadroz était que Will lui avait dit, depuis son arrivée, plusieurs choses très-particulières. Il fut un peu effrayé de ce préambule.

      «Qu’y a-t-il? rien de mal, j’espère?

      –Je ne pense pas. Ne croyez-vous pas, monsieur, que ce serait une bonne combinaison si j’épousais ma cousine Clara?»

      Quel terrible jeune homme! M. Amadroz se sentit si étourdi de cette proposition soudaine, qu’il ne put prononcer une parole.

      «Je ne sais pas ce qu’elle en pense, continua Belton; j’ai trouvé qu’il était mieux de venir à vous avant de lui en parler. Je sais qu’elle m’est supérieure en bien des points; elle est plus instruite et peut-être aimera-t-elle mieux épouser un habitant de Londres qu’un garçon qui passe sa vie à la campagne; mais personne ne pourrait l’aimer davantage ni la traiter plus doucement. Ne seriez-vous pas content, monsieur, de savoir votre petit-fils possesseur de Belton? Mais, sans parler de cela, je ne suis pas mal dans mes affaires et pourrais lui donner tout ce qu’elle voudrait; mais peut-être ne se soucie-t-elle pas d’épouser un fermier,» ajouta-t-il d’un ton mélancolique.

      Le squire avait écouté sans dire un mot, et quand Belton eut cessé de parler, il ne trouvait rien à lui répondre. C’était un homme dont les idées sur les femmes étaient chevaleresques et peut-être un peu surannées. Sans doute, lorsqu’il s’agit de mariage, rien de mieux que de s’adresser d’abord au père. Mais M. Amadroz pensait qu’on devait aborder le sujet à mots couverts et avec une grande délicatesse. Au lieu de cela, ce jeune homme, qui n’avait pas été trois jours chez lui, semblait persuadé qu’il lui donnerait sa fille aussi promptement qu’il lui avait cédé sa terre.

      «Vous me surprenez beaucoup, dit enfin le squire.

      –Clara me parait être la femme qui me convient.

      –Mais vous ne la connaissez pas depuis bien longtemps, monsieur Belton?

      –Je sais qui elle est et d’où elle vient, et c’est beaucoup.»

      M. Amadroz frémit en l’entendant parler ainsi, comme si toute personne vivant dans un certain monde pouvait ignorer qui était sa fille!

      «Oui, certainement, dit-il froidement, vous savez cela sur son compte.

      –Et elle en sait autant sur le mien. Me permettez-vous de lui parler?»

      M. Amadroz demanda la nuit pour réfléchir, et, après bien des hésitations, finit par céder à l’impatience de Will.

      «Ce mariage ne pourrait qu’être avantageux à ma fille, lui dit-il, en reprenant la conversation de la veille, car peut-être ne savez-vous pas que je n’ai littéralement rien à lui donner.

      — Tant mieux, en ce qui me concerne; je ne suis pas de ceux qui désirent que la fortune de leur femme les exempte de travailler.

      — J’espère que sa tante fera quelque chose pour elle.

      —Si Clara devient ma femme, mistress Winterfield sera bien libre de donner son argent à d’autres.»

      Le consentement de M. Amadroz obtenu, Will résolut d’essayer quelques démarches préliminaires auprès de sa cousine. Quelles pouvaient être les démarches préliminaires d’une personne de ce caractère, le lecteur peut maintenant se l’imaginer.

      «Pourquoi ne l’appelez-vous pas Will? demanda Clara à son père le soir du jour où M. Amadroz avait donné son consentement au projet de mariage.

      –L’appeler Will! et pourquoi?

      –Vous le faisiez quand il était enfant.

      –Sans doute, mais il y a longtemps de cela. Cette familiarité lui paraîtrait déplacée maintenant.

      –Au contraire, il en serait charmé. Il me l’a dit. Être appelé monsieur Belton par ses parents lui semble froid.»

      Le père regarda sa fille, et pour un moment la pensée qu’elle était d’accord avec son cousin avant que son consentement n’eût été demandé, lui traversa l’esprit. Mais il avait confiance en Belton, et quant à sa fille, il était sûr d’elle; cependant comment Clara, d’ordinaire si circonspecte et presque froide pour les étrangers, comment sa Clara pouvait-elle avoir changé si promptement de nature? Le squire n’y comprenait rien, mais il était décidé à croire que tout était pour le mieux.

      «Je l’appellerai Will si cela vous fait plaisir, dit-il.

      –Oui, papa, et alors je pourrai en faire autant. C’est un si bon garçon!»

      Le lendemain matin, M. Amadroz, avec un peu d’embarras, appela son hôte par son nom de baptême. Clara rencontra les yeux de son cousin et sourit: lui sourit aussi. A ce moment, il était plus amoureux que jamais

      Après déjeuner, Will devait aller à Redicote s’enendre avec un entrepreneur.

      «Je pense être revenu à trois heures, dit-il à Clara, et alors nous pourrons faire notre promenade.

      –Je serai prête. Venez me prendre chez mistress Askerton.»

      Ainsi furent faits les arrangements pour la journée.

      Clara désirait revoir mistress Askerton. Ce que son cousin avait dit à propos de miss Vigo et de M. Berdmore l’avait intriguée, et elle se rendait au cottage dans le but de demander des éclaircissements. Mais, en traversant le parc, elle songea que mistress Askerton n’aimerait peut-être pas à être questionnée sur sa vie passée dont elle ne parlait jamais que dans les termes les plus vagues, et la question lui parut difficile à poser.

      Quand elle entra dans le salon, le colonel Askerton était auprès de sa femme. Ce n’était pas le moment de parler.

      Le colonel était un homme d’environ cinquante ans, mince et d’apparence délicate, avec les cheveux et la barbe d’un gris d’acier. Il paraissait n’avoir aucun ami en ce monde et ne désirer que peu de plaisirs. Rien n’était plus régulier que ses journées dans leur paresseuse monotonie. Il déjeunait à onze heures, lisait et fumait jusqu’à trois heures où il montait à cheval pendant une heure ou deux; puis dinait, lisait et fumait de nouveau, et allait se coucher. En septembre, il chassait, et deux fois par an faisait un petit voyage pour se procurer un peu de distraction. Il paraissait très-content de son sort, et on ne l’avait jamais entendu dire un mot désagréable. Personne ne se souciait beaucoup de lui, mais il ne se souciait guère de personne. Il n’allait pas à l’église, et n’avait jamais mangé hors de chez lui depuis qu’il vivait à Belton.

      «Clara, méchante enfant, dit mistress Askerton en voyant entrer son amie, pourquoi n’êtes-vous pas venue hier? Je vous ai attendue toute la journée?

      –J’ai été occupée. En vérité, nous sommes devenus des gens très-actifs depuis l’arrivée de mon cousin.

      –On annonce qu’il va exploiter lui-même la propriété, dit le colonel. J’espère qu’il ne compte pas me reprendre la chasse?

      –Il chasse sur ses propres terres, en Norfolk, répondit Clara, et je suis sûre qu’il ne voudrait rien faire qui pût vous contrarier. C’est la personne la moins égoïste du monde. Je lui en parlerai si vous le désirez.

      –Oh! non, ce serait lui en donner l’idée. Peut-être n’y a-t-il pas pensé.

      –Il pense à tout, dit Clara.

      –Je voudrais bien savoir s’il pense à»

      Mistress Askerton s’arrêta court au milieu de sa phrase et le colonel regarda Clara avec un sourire malicieux. Elle se sentit rougir. N’était-il pas cruel qu’elle ne pût dire un mot en faveur d’un

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