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Alsace, Lorraine et France rhénane. Stéphen Coubé
Читать онлайн.Название Alsace, Lorraine et France rhénane
Год выпуска 0
isbn 4064066087111
Автор произведения Stéphen Coubé
Жанр Документальная литература
Издательство Bookwire
Il semble bien que le consentement d'un peuple soit nécessaire pour que l'on puisse disposer de lui, quand il s'agit d'un peuple majeur et raisonnable, car si l'on prend par exemple une tribu ou même une nation sauvage, malfaisante, qui n'use de sa force que pour razzier la contrée d'alentour, il parait juste de la museler, de la soumettre à une autorité qui saura la contenir, la mater, jusqu'à ce qu'elle soit assagie, et cela dans l'intérêt même de cette tribu ou nation aussi bien que de ses voisins. Elle est par le fait assimilée à un mineur qui n'a pas encore la plénitude de ses droits et qui a besoin d'un tuteur pour gérer ses intérêts et sa fortune.
En dehors de ce cas exceptionnel, il semble bien que l'annexion d'un peuple malgré lui est injuste et nulle de plein droit. Un célèbre jurisconsulte allemand, le professeur Bluntschli, de Heidelberg, écrit dans son Droit international codifié: «Pour qu'une cession de territoire soit valable, il faut la reconnaissance par les personnes habitant le territoire cédé et y jouissant de leurs droits politiques. Les populations ne sont pas une chose sans droit et sans volonté, dont on se transmet la propriété.»
C'est le grand argument que les députés du Bas-Rhin, du Haut-Rhin, de la Meurthe et de la Moselle firent valoir le 17 février 1871 dans la sublime protestation que M. Keller lut en leur nom devant l'Assemblée nationale de Bordeaux: «Tous unanimes, les citoyens demeurés dans leurs foyers comme les soldats accourus sous les drapeaux, les uns en votant, les autres en combattant, signifient à l'Allemagne et au monde l'immuable volonté de l'Alsace et de la Lorraine de rester françaises.» Ils ajoutaient que la France elle-même n'avait pas le droit de céder ces provinces et que, si elle les cédait, l'acte en serait radicalement nul. Nous citerons plus loin cette admirable page tout entière.
C'est aussi le langage que Fustel de Coulanges tenait dans sa réponse à l'historien Mommsen, selon qui l'Alsace appartenait à l'Allemagne par la race comme par la langue. «La France, disait Fustel, n'a qu'un seul motif pour vouloir conserver l'Alsace, c'est que l'Alsace a vaillamment montré qu'elle voulait rester avec la France. Nous ne combattons pas pour la contraindre, nous combattons pour vous empêcher de la contraindre… On a sommé Strasbourg de se rendre, et vous savez comment il a répondu. Comme les premiers chrétiens confessaient leur foi, Strasbourg, par le martyre, a confessé qu'il était français.» Fustel de Coulanges allait trop loin en disant que le seul motif qu'avait la France de conserver ses provinces était la volonté de celles-ci. C'est le motif du cœur, le plus puissant peut-être, mais il y en a d'autres.
S'il en est ainsi, si un peuple ne peut être annexé sans son consentement, il s'ensuit, semble-t-il, qu'il peut se donner à qui il lui plaît et par conséquent que sa libre volonté est aussi une condition suffisante pour qu'un État puisse l'annexer.
Quoi qu'il en soit de la théorie, il est certain que si un peuple, outre les droits historiques qu'il a sur une terre, en vertu d'une occupation antérieure indiscutée et en vertu de la configuration géographique de cette terre, est encore appelé par ses habitants, son droit de l'occuper est clair comme le soleil et que personne ne la lui peut disputer sans crime. Or, c'est ainsi que l'Alsace-Lorraine est à nous; toute cette étude va le démontrer.
Il n'en est pas de même, il est vrai, du moins au même degré, des provinces cisrhénanes inférieures. Mais cela tient à un siècle de germanisation intensive qui a nécessairement aveuglé les esprits. Cependant nous verrons qu'il reste là-bas bien des semences françaises, enfouies sous terre, toujours vivantes, simplement endormies par un long hiver et qui lèveront bientôt sous l'haleine printanière des vents de France; que la population de la Sarre et du Mont-Tonnerre n'éprouvera nullement à nous voir revenir la douleur que l'Alsace-Lorraine ressentit à nous voir partir; et qu'enfin, après un loyal essai de civilisation française, elle bénira bientôt son retour à la maison de famille de ses pères: ce n'est donc pas lui faire violence que d'escompter dès maintenant cette volonté future.
* * * * *
Nous l'avons eu, votre Rhin allemand!
Comparé aux grands fleuves de l'Amérique méridionale le Rhin est fort modeste, mais c'est un des plus puissants et des plus riches cours d'eau de l'Europe. Sorti des glaciers éternels de la Suisse, il traverse le lac de Constance, tombe de vingt mètres de haut à Schaffhouse, longe la plaine d'Alsace, se fraye une trouée héroïque de Mayence à Coblentz entre le Taunus et le Hunsrück, mire dans ses eaux les tours crénelées des vieux burgs et voit mûrir les jolis vignobles de vins blancs sur les coteaux du Rheingau.
Très fiers de lui, les Allemands revendiquent le monopole de ses deux rives. Mais c'est un vol manifeste. Par le vœu des populations, par la voix des souvenirs, le vieux Rhin nous appelle. Si nos hommes d'État l'ont de tout temps revendiqué, c'est parce qu'il est à nous par sa rive gauche; c'est parce que, pendant des siècles, les chevaux des Gaulois et des Francs se sont abreuvés à ses flots et ont piaffé sur ses bords; c'est parce que Turenne et Condé, Napoléon et ses maréchaux l'ont franchi; c'est parce que nos barques pavoisées, fleuries, triomphales ont fendu bien souvent ses eaux vertes de Strasbourg à Cologne.
On se rappelle avec quelle verve éblouissante Musset a rappelé ces souvenirs aux Allemands trop portés à les oublier. Ce qui est moins connu c'est l'impression que ses vers firent sur l'esprit de Henri Heine: on y voit l'aveu de l'amour que nous garde le pays rhénan.
Le pangermaniste Becker venait de lancer dans son pays une poésie sur le Rhin allemand, pour lequel il revendiquait l'essence germanique, la Deutschheit de Fichte. On chantait partout après lui:
Ils ne l'auront pas, le libre Rhin allemand, quoiqu'ils le
demandent dans leurs cris comme des corbeaux avides.
Aussi longtemps qu'il roulera paisible, portant sa robe
verte, aussi longtemps qu'une rame frappera ses flots.
Ils ne l'auront pas, le libre Rhin allemand, aussi longtemps
que les cœurs s'abreuveront de son vin de feu;
Aussi longtemps que les rocs s'élèveront au milieu de
son courant; aussi longtemps que les hautes cathédrales
se reflèteront dans son miroir.
Ils ne l'auront pas, le libre Rhin allemand, aussi longtemps
que de hardis jeunes gens feront la cour aux jeunes
filles élancées.
Ils ne l'auront pas, le libre Rhin allemand, jusqu'à ce
que les ossements du dernier homme soient ensevelis dans
ses vagues.
Alfred de Musset, piqué au vif, fit à cette provocation la cinglante réponse que l'on sait:
Nous l'avons eu, votre Rhin allemand!
Il a tenu dans notre verre.
Un couplet qu'on s'en va chantant
Efface-t-il la trace altière
Du pied de nos chevaux marqué dans votre sang?
Nous l'avons eu, votre Rhin allemand!
Son sein porte une plaie ouverte,
Du jour où Condé triomphant
A déchiré sa robe verte.
Où le père a passé, passera bien l'enfant.
Dans les trois couplets suivants, le poète rappelait les exploits encore récents de Napoléon sur le Rhin et il finissait par cette superbe menace:
Qu'il coule en paix, votre Rhin allemand!
Que vos cathédrales gothiques
S'y reflètent modestement;