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non taillés. Le tout, sur un vert gazon, que les eaux sans écoulement maintenaient, même en été, dans un bel état de fraîcheur.

      J'adore les jardins négligés, et celui-ci me rappelait les grandes vignes abandonnées des villas italiennes; mais ce que n'ont pas ces villas, c'était un charmant pêle-mêle de légumes et de plantes de mille espèces; toutes les herbes de la Saint-Jean, et chaque herbe, haute et forte. Cette forêt de cerisiers, qui rompaient sous leurs fruits rouges, donnaient aussi l'idée d'une abondance inépuisable.

      Ce n'était pas le soave austero de l'Italie, c'était une efflorescence molle et débordante, sous un ciel humide, tiède et doux.

      De vue, aucune, quoiqu'une grande ville fût tout près, et qu'une petite rivière, l'Erdre, passât sous la colline, d'où elle se traîne à la Loire. Mais ce luxe végétal, cette forêt vierge d'arbres fruitiers ôtait toute perspective. Pour voir, il fallait monter dans une sorte de tourelle, d'où le paysage commence à se révéler dans une certaine grandeur, avec ses bois et ses prairies, ses monuments (Page )lointains, ses tours. De cet observatoire même, la vue était encore limitée, la cité n'apparaissant que de profil, sans laisser apercevoir son fleuve immense, ses îles, son mouvement de navigation et de commerce. À deux pas de ce grand port que rien ne fait soupçonner, on se croirait dans un désert, dans les landes de la Bretagne ou les clairières de la Vendée.

      Deux choses étaient grandioses et se détachaient de ce verger sombre. En perçant les vieilles charmilles et des allées de châtaigniers, on arrivait dans un coin de terrain argileux, stérile, d'où, parmi des lauriers-thyms et autres arbres fort rudes, s'élançait un cèdre énorme, vraie cathédrale végétale, telle, qu'un cyprès déjà très-haut y était étouffé, perdu. Ce cèdre, au-dessous dépouillé et chauve, était vivant, vigoureux du côté de la lumière; ses bras immenses, à trente pieds, commençaient à se vêtir de rares et piquantes feuilles; puis s'épaississait la voûte; la flèche devait atteindre environ à quatre-vingts pieds. On la voyait de trois lieues, des campagnes opposées des bords de la Sèvre nantaise et des bois de la Vendée. Notre asile, bas et tapi à côté de ce géant, n'en était pas moins signalé par lui dans un rayonnement immense, et peut-être lui devait son nom: la Haute-Forêt.

      (Page )À l'autre bout de l'enclos, sur une profonde pièce d'eau, s'élevait un monticule, couronné d'un bouquet de pins. Ces beaux arbres, incessamment balancés au vent de mer, battus des vents opposés qui suivent les courants du grand fleuve et de ses deux rivières, gémissaient de ce combat, et jour et nuit animaient le profond silence du lieu d'une mélancolique harmonie. Parfois, on se fût cru en mer; ils imitaient le bruit des lames, celui du flux et du reflux.

      À mesure que la saison devint un peu humide, ce séjour m'apparut dans son caractère réel, sérieux, mais plus varié qu'on n'eût cru au premier coup d'œil, beau, d'une beauté touchante, qui peu à peu va à l'âme. Austère comme devait l'être la porte de la Bretagne, il avait la luxuriante verdure du côté vendéen.

      J'aurais pu croire, en voyant les grenadiers en pleine terre, vigoureux et chargés de fleurs, que j'étais dans le Midi. Le magnolia, non chétif comme on le voit ailleurs, mais splendide, magnifique et à l'état de grand arbre, parfumait tout mon jardin de ses énormes fleurs blanches, qui dans leur épais calice contiennent en abondance je ne sais quelle huile suave, pénétrante, dont l'odeur vous suit partout; vous en êtes enveloppé.

      (Page )Nous nous trouvions cette fois avoir un vrai jardin, un grand ménage, mille occupations domestiques dont jusque-là nous étions dispensés. Une sauvage fille bretonne n'aidait qu'aux choses grossières. Sauf une course par semaine que je faisais à la ville, nous étions fort solitaires, mais dans une solitude extrêmement occupée. Levés de très-grand matin, au premier réveil des oiseaux, et même avant le jour. Il est vrai que nous nous couchions de bonne heure et presque avec eux.

      Cette abondance de fruits, de légumes, de plantes de toute sorte, nous permettait d'avoir beaucoup d'animaux domestiques: seulement, la difficulté était que les nourrissant, les connaissant un à un, et parfaitement connus d'eux, nous ne pouvions guère les manger. Nous plantions, et là nous trouvions un inconvénient tout contraire; presque toujours nos plantations étaient dévorées d'avance. Cette terre, féconde en végétaux, l'était autant ou davantage en animaux destructeurs: limaces énormes et gloutonnes, dévorants insectes. Le matin, on recueillait un grand baquet de limaçons. Le lendemain, il n'y paraissait pas. Ils semblaient au grand complet.

      Nos poules travaillaient de leur mieux. Mais combien (Page )plus efficace eût été l'habile et prudente cigogne, l'expurgateur admirable de la Hollande et de tous les lieux humides, que nos contrées de l'Ouest devraient à tout prix adopter! On sait l'affectueux respect des Hollandais pour cet excellent oiseau. Dans leurs marchés, on le voit paisible, debout sur une patte, rêvant au milieu de la foule, se sentant aussi en sûreté qu'au sein des plus profonds déserts. Chose bizarre, mais très-certaine, le paysan hollandais qui parfois a eu le malheur de blesser sa cigogne et de lui casser la patte, lui en met une de bois.

      Pour revenir, ce séjour de Nantes eût été d'un charme infini pour un esprit moins absorbé. Ce beau lieu, cette grande liberté de travail, cette solitude si douce dans une telle société, c'était une harmonie rare, comme on ne la rencontre presque jamais dans la vie. Cette douceur contrastait fortement avec les pensées du présent, avec le sombre passé qui alors occupait ma plume. J'écrivais 93. L'héroïque et funèbre histoire m'enveloppait, me possédait, le dirai-je? me consumait. Tous les éléments de bonheur que j'avais autour de moi, que je sacrifiais au travail, les ajournant pour un temps qui, selon toute apparence, devait m'être refusé, je les regrettais jour (Page )par jour, et j'y reportais sans cesse un triste regard. C'était un combat journalier de l'affection et de la nature contre les sombres pensées du monde de l'homme.

      Ce combat même sera toujours pour moi un attachant souvenir. Le lieu m'est resté sacré en pensée. Il n'existe plus autrement. La maison est détruite, une autre bâtie à la place. Et c'est pour cela que je m'y suis arrêté un peu. Mon cèdre pourtant a survécu; chose rare, car les architectes ont la haine des arbres, en ce temps.

      Quand j'approchai cependant de la fin de mon travail, quelques ombres s'éclaircirent de cette nuit sauvage. Mes tristesses étaient moins amères, sûr que j'étais désormais de laisser ce monument de cruelle, mais féconde expérience. Je recommençai à entendre les voix de la solitude, et mieux, je crois, qu'à tout autre âge, mais lentement, et d'une oreille inaccoutumée, comme celui qui serait mort quelque temps et reviendrait de là-bas.

      Jeune, avant d'être saisi par cette implacable histoire, j'avais senti la nature, mais d'une chaleur aveugle, d'un cœur moins tendre qu'ardent. Plus récemment, établi dans la banlieue de Paris, ce sentiment m'avait repris. J'avais vu, non sans (Page )intérêt, mes fleurs maladives dans ce sol aride, si sensibles tous les soirs au bonheur de l'arrosement, visiblement reconnaissantes. Combien davantage à Nantes, entouré d'une nature si puissante et si féconde, voyant l'herbe pousser d'heure en heure et toute vie animale multiplier autour de moi, ne devais-je pas, moi aussi, germer et revivre de ce sentiment nouveau!

      Si quelque chose eût pu y rappeler mon esprit et rompre le sombre enchantement, c'eût été une lecture que parfois nous faisions le soir, les Oiseaux de France de Toussenel, heureuse et charmante transition de la pensée nationale à celle de la nature.

      Tant qu'il y aura une France, son alouette et son rouge-gorge, son bouvreuil, son hirondelle, seront insatiablement lus, relus, redits. Et s'il n'y avait plus de France, dans ces pages attendrissantes autant qu'ingénieuses, nous retrouverions encore ce que nous eûmes de meilleur, la vraie senteur de cette terre, le sens gaulois, l'esprit français, l'âme même de notre patrie.

      Les formules d'un système qu'il porte, au reste, légèrement, des rapprochements cherchés (qui parfois feraient penser aux trop spirituels animaux de Granville), n'empêchent pas que l'âme française, (Page )gaie, bonne, sereine et courageuse, jeune comme un soleil d'avril, n'illumine partout ce livre. Il y a des traits enlevés avec le bonheur, l'élan, le coup de gosier de l'alouette au premier jour de printemps.

      Ajoutez une chose très-belle

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