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volontairement inutilisable.

      A l'excitation des premiers jours succédait sans transition le calme le plus lugubre. Bientôt parurent les affiches allemandes annonçant les succès de nos ennemis: la prise de Namur, la défaite des Français dans le Luxembourg, le siège de Maubeuge, l'entrée des Autrichiens en Serbie, puis la marche rapide des armées allemandes sur Paris, que les corps de cavalerie allaient atteindre en deux jours.

      Bien entendu, les Bruxellois refusaient de croire les «nouvelles officielles» allemandes, d'autant plus que leur bourgmestre venait d'infliger à l'autorité occupante un démenti qu'elle s'était bien gardée de relever 2.

      2 [ Voir DAVIGNON, La Belgique et l'Allemagne, p. 29, et J. MASSART, Comment les Belges résistent à la domination allemande, fig. 2.]

      Du reste, leurs bataillons en route «vers Paris» n'avaient pas fini de défiler au pas de parade, musique en tête, à travers la ville, que déjà des audacieux avaient organisé un service d'importation de journaux: Le Matin et La Métropole d'Anvers, La Flandre libérale et Le Bien public, de Gand. A partir des derniers jours d'août, le commerce clandestin fonctionnait avec régularité, et nous lisions, dès 9 heures, à Bruxelles, La Flandre libérale qui se vendait le même matin à Gand. Les premiers exemplaires sortant de presse étaient apportés en automobiles jusque tout près des avant-postes allemands de Ninove, de Lennick ou de Hal, à une quinzaine de kilomètres de Bruxelles. Là, les paquets étaient enfouis dans des paniers de légumes et amenés ainsi en ville. On les déballait dans l'arrière-salle de quelque cabaret qui changeait tous les jours. Immédiatement les camelots se mettaient en campagne. Les uns se postaient dans les grandes artères et aux carrefours, où ils vendaient ostensiblement des cartes illustrées, des insignes patriotiques ou des journaux autorisés par la censure. Tout bas ils ajoutaient: «La Flandre?—Combien?» C'était d'habitude 75 centimes, l'avant-midi, mais plus tard on l'obtenait pour 40 ou 50 centimes. D'autres, munis de quelques caissettes de raisins, se rendaient dans les faubourgs. Les fruits n'étaient là que pour donner le change et pour permettre aux vendeurs de sonner chez leurs clients habituels; dès que la porte s'était refermée sur eux, les journaux sortaient du fond des poches.

      Les charrettes des maraîchers apportaient à Bruxelles, en même temps que les feuilles belges, des journaux étrangers. Les plus lus étaient: Le Journal, Le Petit Parisien, Le Matin (de Paris), Le Temps, The Times, The Daily Mail, parfois De Tijd et De Telegraaf; très rarement Le Journal de Genève.

      De loin en loin, les policiers allemands réussissaient à saisir la contrebande. Ce jour-là nous n'avions les gazettes que l'après-midi, par des marchands irréguliers agissant isolément; La Flandre libérale ou La Métropole coûtait alors 2 ou 3 francs.

      Cette organisation fonctionna normalement, malgré les sévérités allemandes, jusqu'à la prise d'Anvers et à l'occupation des Flandres (en dehors de la boucle de l'Yser). A partir de la mi-octobre, les derniers quotidiens belges disparurent de la Belgique occupée. Quelques-uns reparurent ailleurs: L'Indépendance belge à Londres, La Métropole également à Londres, sur une page de The Standard, Le XXe Siècle au Havre. Ils nous étaient apportés en même temps que les journaux français et anglais.

      Parfois nous recevions l'un ou l'autre des journaux occasionnels publiés à l'étranger par des Belges. L'Écho d'Anvers à Bergen-op-Zoom, Les Nouvelles et Le Courrier de la Meuse à Maestricht, L'Écho belge, Vrij België et Belgisch Dagblad à la Haye, La Belgique à Rotterdam, De Vlaamsche Stem à Amsterdam, De Stem uit België et La Belgique nouvelle à Londres, Le Franco-Belge à Folkestone, Le Courrier belge à Derby, La Patrie Belge et La Nouvelle Belgique à Paris, Le Courrier de l'Armée (De Legerbode) et Het Vaderland au Havre, Ons Vaderland et De Belgische Standaard à La Panne (Belgique libre).

      De jour en jour, la circulation entre la Hollande et la Belgique était rendue plus difficile: les sentinelles avaient ordre de tirer sur les marchands de journaux qui tentaient de franchir la frontière, et elles n'hésitaient pas à le faire. Mais même après que la frontière eut été garnie d'une rangée de fils électrisés, puis de deux rangées, et enfin de trois rangées, et après qu'on y eut délimité une zone où il était défendu de pénétrer, les journaux étrangers continuèrent à se faufiler en Belgique. Bien rares sont les jours où les fraudeurs sont tous arrêtés ou tous tués3. Assez souvent pourtant des périodiques volumineux comme The Times trouvent acheteur à 200 francs. Mais en général The Times se vend 5 francs et les journaux français coûtent de 2 à 3 francs.

      2 [ En décembre 1914, les sentinelles allemandes abattirent deux marchands de journaux à Putte (province d'Anvers). En juillet 1915, furent tués dans le Limbourg quatre personnes transportant des correspondances et des journaux.]

      La vente dans la rue a presque entièrement cessé: les risques sont trop grands. Des espions allemands accostent les marchands de journaux censurés et essaient de se faire remettre une feuille prohibée. Si le camelot a le malheur d'acquiescer, l'Allemand lui met aussitôt la main au collet. C'est une affaire de ce genre qui a valu à la ville de Bruxelles une amende de 5 millions. Un sous-officier en civil, jouant au mouchard, voulait appréhender un vendeur qui lui avait cédé un prohibé. Mais le marchand résistait et l'espion se mit à le frapper à tour de bras. Deux agents de la police bruxelloise, De Rijcke et Seghers, ne sachant pas qu'ils se trouvaient en présence d'un espion (car il avait été entendu que les policiers allemands porteraient toujours un signe distinctif), prirent fait et cause pour le marchand qu'ils croyaient injustement attaqué par un particulier. D'où condamnation de De Rijcke à cinq ans de prison et de Seghers à trois ans; de plus, la ville de Bruxelles fut frappée d'une amende de 5 millions3.

      3 [Note 3: Voir _Comment les Belges résistent_..., p. 178.]

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      En même temps que les journaux, on introduit des livres et des brochures. Nous pouvons lire ainsi tout ce qui s'imprime d'intéressant à l'étranger. Le nombre d'exemplaires importés n'est d'ordinaire que de quelques dizaines, mais on ne les laisse pas moisir dans les bibliothèques. Ils passent sans interruption de main en main, jusqu'au jour où une perquisition les fait tomber entre les mains des policiers allemands.

      Alors que les journaux prohibés sont l'objet d'un commerce régulier, qui fait vivre beaucoup de monde, les livres sont au contraire introduits pour le compte de médecins, d'avocats, de professeurs, d'artistes, etc., qui ne poursuivent pas un but de lucre. Ainsi les ouvrages de Bédier, Les Crimes allemands; de Weiss, La Violation de la neutralité belge et luxembourgeoise par l'Allemagne; de Durkheim et Denis, Qui a voulu la guerre? se sont vendus par centaines à 75 centimes (au lieu de 50 centimes). Au même prix on pouvait acheter Van den Heuvel, La Neutralité belge. J'accuse vaut 5 francs; Waxweiler, La Belgique neutre et loyale, 3f 50. On introduit même des ouvrages volumineux; par exemple le livre de Jan Feith, De Oorlog in Prent, qui se vend 9 francs, et King Albert's Book; celui-ci valait d'abord 5 francs, mais la demande intense dont il était l'objet fit rapidement monter son prix, et les derniers exemplaires trouvèrent amateur à 20 francs (au profit d'oeuvres charitables).

      Aux imprimés étrangers circulant sous le manteau à Bruxelles, il faut ajouter ceux qui ont paru en août et septembre 1914 avant la grande sévérité de la censure, mais qui furent interdits après coup. Citons: Adolphe Max, son administration du 20 août au 26 septembre 1914; Lettre ouverte d'un Hollandais à un ami allemand; La Dernière Entrevue

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