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arrive par la voie hiérarchique; car chacun sait que nous ne pouvons, nous, recevoir ni brochures ni journaux, pas même Ma Jeannette. Nous avons les Allemands, et ça doit nous suffire.

      Mais ce livre! ce livre!

      Qu'est-ce qu'il a bien pu dire pour mettre sens dessus dessous les cardinaux von Bettinger et von Hartmann qui se sont empressés de télégraphier à sa très luthérienne Majesté que ce livre les plongeait dans la désolation et qu'ils allaient se plaindre au Souverain Pontife?

      Évidemment, les choses révélées doivent être énormes, énormes d'abord pour avoir réussi à faire rougir des Allemands, énormes surtout pour avoir pu indigner le sain des sains, le Kaiser.

      Au fond, chacun le sait, l'Empereur se moque pas mal des catholiques et du catholicisme, puisque étant l'inkarnation de son dieu sur terre, il n'a pas de comptes à régler avec notre Dieu qu'il ignore. Mais, s'il se soucie peu des catholiques, en tant que catholiques, il s'en occupe en tant que chair à canon. Et comme il y en a pas mal de kilos dans l'Empire, ça compte.

      Or, tous les Allemands, pêle-mêle, sont à la guerre. L'auteur du livre en question a des raisons de se plaindre de la façon dont cette soldatesque fait la guerre non pas au point de vue de la technique, mais au point de vue de la barbarie des procédés envers les catholiques. Si l'écrivain a jeté à tous les vents sa protestation, c'est qu'il a eu de sérieuses raisons de le faire.

      Qu'a-t-il pu dire? Cherchons. Ne parlons pas de la France; nous avons, hélas! assez et trop à dire de ce qu'ont fait en Belgique les doux sujets du plus doux des souverains.

      Systématiquement, ils ont essayé de démolir l'église métropolitaine de Saint-Rombaud à Malines. Ce n'est pas de leur faute, si nous n'avons pas à pleurer sur ses ruines. Une fois le coup fait, ils ont bien essayé de dire que c'étaient les Belges qui avaient bombardé la cathédrale (voyez cliché Reims). Ils ont depuis avoué leur bel exploit dans le n° 6 de l'Illustrirter Kriegskurier (encore un fameux spécimen de haute kulture, celui-là!). En effet ils y impriment ce charabia charmant: «Notre vue montre la cathédrale de la côté de Bruxelles, donc la côté laquelle a été exposée au bombardement des obus allemands. Comme on peut voir la cathédrale est restée presque intacte.»

      Presque intacte! Est-ce regret? Est-ce ironie?

      Hélas! elles ne sont pas presque intactes la collégiale de Saint-Pierre à Louvain, les nombreuses, les pauvres et jolies églises de nos campagnes. La stratégie n'exigeait pas leur disparition. Elles étaient si humbles... Elles furent cependant violées, souillées, spoliées, brûlées enfin par des flammes dont la violence était décuplée par les essences incendiaires que les soldats «à la conscience pure» lançaient sur les murailles. Qui dira ce que sont devenus les vases sacrés dont certains servirent à boire du champagne et d'autres à recevoir... hélas! n'insistons pas, car ce papier rougirait?

      Qui dira ce que sont devenues les hosties consacrées, jetées sur le pavé foulées et piétinées, panis angelicus, non mittendus canibus? Qui dira le martyre des prêtres assassinés; de ce doux curé de Herent; des ecclésiastiques de Surice, Latour, Étalle, etc.; de ce tranquille scolastique de la Compagnie de Jésus, abattu parce qu'il avait écrit sur son agenda: «Nous revoyons les invasions des barbares»; de mon meilleur ami, un saint curé de campagne, mort des suites des brutalités que lui infligèrent des bourreaux puant l'alcool...

      Et ces prêtres promenés nus devant leurs ouailles qui devaient, sous peine de mort, leur cracher au visage. Et ceux qu'on faisait galoper sur la place portant des harnachements de cheval...

      Et dominant ce clergé martyr, notre vénérable et bien-aimé archevêque qu'on aurait bien voulu frapper au front; si on l'avait osé,—car tout est préméditation et calcul chez l'Allemand,—si on n'avait craint que la chute de ce vieillard n'ait un retentissement énorme dans les deux mondes...

      Outrager Dieu, notre Dieu, qui est aussi le vôtre, Éminences de Munich et de Cologne, salir des temples, assassiner ses ministres, ce sont choses abominables, mais qui pâlissent presque, si j'ose dire, quand on songe avec quelle rage sadique les soudards ont violenté des femmes, d'humbles religieuses qui aujourd'hui lèvent vers le ciel, en baissant avec dégoût leurs yeux de vierges profanées, le fruit vivant, l'horrible preuve d'une bestialité qui déconcerte...

      Est-ce de tout cela qu'ont rougi les cardinaux von Bettinger et von Hartmann? Est-ce de cela qu'ils vont se plaindre au Père commun des fidèles?

      Ah! oui!

      Ils font la roue devant Wilhelm II, I.R.!

      Que veulent-ils donc? Qu'on mette à l'index le livre in odium auctoris?

      Allons, un bon mouvement, Éminences.

      Venez vous-mêmes, venez en Belgique, vous êtes chez vous. Les autos de la «Kommandantur» vous conduiront. Notre grand cardinal ira à pied. Vous daignerez bien l'attendre, n'est-il pas vrai, ce sage, ce saint, ce savant, ce patriote ardent, qu'un gratte-papier prussien, installé au ministère de la Justice, a osé appeler: un gamin!

      Il vous mènera, pas à pas, là où il y eut des crimes sans nom, des stupres sans précédents, il vous dira des noms, des dates, il vous en dira tant et tant, et devant tant de témoins —lapides clamabunt!—qu'il vous faudra finir par baisser le front et que vous vous surprendrez à murmurer, les lèvres tremblantes, la prière que vous dites chaque matin au pied de l'autel:

       Judica me, Deus, et discerne causam meam de gente non sancta ..ab homine iniquo et doloso erue me!

       Jugez-moi, Seigneur, et ne confondez pas ma cause avec celle des impies, délivrez-moi de l'homme astucieux et injuste.

      Hélas! vérité avant tout se traduit en allemand par Deutschland über Alles!

      Si cependant vous vous décidiez à venir, Éminentissimes Seigneurs, ne mettez pas vos robes rouges, c'est inutile. Une noire, sous votre manteau, suffira. Quand vous aurez marché quelques heures, vos soutanes seront rouges, trempées du sang de nos martyrs...

      Au fait, vous viendrez peut-être en grand uniforme, casque en tête, le revolver à la ceinture, comme vos aumôniers... C'est une idée. Mais alors, Mgr Mercier ne voudra pas marcher à vos côtés... On ne fait pas les enquêtes comme cela, chez nous.

      FIDELIS.

       (La Libre Belgique, n° 34, juillet 1915, p. 2, col. 2.)

      Ils n'affichent pas seulement les produits de l'Agence Wolff. De temps en temps ils essaient d'abattre notre courage par des inventions personnelles.

       Une calomnie.

      Plusieurs milliers d'affichettes ont été placardées sur les murs de Bruxelles. Ces affichettes ont dû être imprimées en Allemagne, étant donné que les typos belges ne possèdent pas de caractères néo-gothiques du genre de celui qui a servi à l'impression.

      En voici le texte:

       Nous, mères et épouses belges, nous nous écrions: Assez de la tuerie, assez de sang innocent versé de nos maris, de nos fils, pour des nations étrangères. L'honneur belge est sauf. Nous, nous n'avons plus de larmes. Nous réclamons la paix ou l'armistice.

      Au nom des femmes belges nous protestons. Pas une d'entre elles ne regrette les sacrifices qu'elle a faits. Celles qui pleurent, pleurent l'être cher disparu à jamais, mais à leurs larmes ne se mêle aucun honteux regret comme celui que voudrait leur prêter l'auteur de cette infâme affichette, aucun regret comme celui qu'il voudrait pouvoir glisser dans leur coeur. Non, les femmes belges savent que leurs époux, leurs fils et leurs fiancés ne se sont pas battus pour l'étranger. Le premier élan, le premier cri de tous les Belges a été celui-ci: «L'honneur le veut, nous devons opposer notre faiblesse à la force brutale du traître qui nous attaque, alors qu'il avait juré de nous protéger. Nous savons tenir un serment, nous, dût-il nous en coûter la vie.»

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