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Sainte Beuve et ses inconnues. A. J. Pons
Читать онлайн.Название Sainte Beuve et ses inconnues
Год выпуска 0
isbn 4064066084127
Автор произведения A. J. Pons
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
Et sans savoir comment, tout rêvant de la sorte,
Je me trouvais déjà dans la rue, à ta porte;
—Et je monte. Ta mère en entrant me reçoit;
Je me nomme; on s'embrasse avec pleurs, on s'asseoit;
Et de ton père alors, de tes frères que j'aime
Nous parlons; mais de toi je n'osais, quand toi-même
Brusquement tu parus, ne me sachant pas là,
Et mon air étranger un moment te troubla.
Je te vis; c'étaient bien tes cheveux, ton visage,
Ta candeur; je m'étais seulement trompé d'âge;
Je t'avais cru quinze ans, tu ne les avais pas;
L'enfance au front de lin guidait encor tes pas;
Tu courais non voilée et le coeur sans mystère.
Tu ne sus à mon nom que rougir et te taire,
Confuse, un peu sauvage et prête à te cacher;
Et quand j'eus obtenu qu'on te fît approcher,
Que j'eus saisi ta main et que je l'eus serrée,
Tu me remercias, et te crus honorée.
L'ancienne familiarité qu'il eût voulu sans doute convertir en un sentiment plus vif ne se retrouve donc pas; la demoiselle est encore trop jeune. On saisit néanmoins l'intention de renouer avec elle, en vue d'une union possible, et Sainte-Beuve s'était promis de revenir. Il en fut empêché par une passion violente qui le retint à Paris et que nous aurons bientôt à raconter. D'un autre côté, sa cousine mourut peu après.
Faute de renseignements précis, je ne puis rien dire d'un autre projet de mariage, qui fut, ce me semble, poussé assez avant, si l'on en juge par ce passage de la Vie de Joseph Delorme:
«Que faire? à quoi me résoudre? faut-il donc la laisser épouser à un autre?—En vérité, je crois qu'elle me préfère. Comme elle rougissait à chaque instant, et me regardait avec une langueur de vierge amoureuse, quand sa mère me parlait de l'épouseur qui s'était présenté, et tâchait de me faire expliquer moi-même? Comme son regard semblait dire:—Ô vous que j'attendais, me laisserez-vous donc ravir à vos yeux, lorsqu'un mot de votre bouche peut m'obtenir?»
De tous ces aveux il résulte qu'avant de se résigner au célibat, Sainte-Beuve a eu bien des velléités de matrimonium; mais cela n'a jamais abouti.
Plusieurs raisons s'opposèrent à ce qu'il achevât sa médecine et se fît recevoir docteur. Il en fut un peu comme du grec; l'étude de cette science ne lui donna pas tout ce qu'il s'en était promis. Esprit exact et précis, il alla vite au fond des doctrines de l'école, en fit le tour, en constata l'incomplet et les lacunes et, dans son aspiration vers une vérité moins hypothétique, il s'en dégoûta. D'ailleurs pour représenter et faire figure en attendant la clientèle, il faut des dépenses considérables, l'établissement d'un médecin coûte en premiers frais; sa mère eût été obligée de se gêner, de contracter une dette peut-être, et Sainte-Beuve ne voulait pas charger sa vie d'une telle obligation sans être sûr d'y satisfaire; en tout l'alea lui faisait peur. Enfin, les circonstances devenaient contraires à quelqu'un qui, sans faire montre de l'indépendance de ses idées, avait cependant horreur de l'hypocrisie. On était en pleine réaction cléricale, la congrégation triomphait sur toute la ligne et déclarait la guerre à quiconque lui refusait des gages et ne consentait pas à faire profession publique de dévotion et de monarchisme. Son influence gagnait jusqu'aux écoles: le professeur Alibert, médecin du roi Louis XVIII, recevait le dimanche à déjeuner des gens du monde spirituels, et apprenait de leur bouche les anecdotes et propos du jour, qu'il allait, au sortir de là, raconter à son royal malade. «Sa visite du dimanche ne l'embarrassait jamais; il n'était à court que dans la semaine. Mais la congrégation triomphe; elle est au pinacle: la scène change aussitôt, et d'un déjeuner à l'autre,—un vrai changement à vue. Au lieu de convives tout profanes, de personnes un peu vives et même légères, d'actrices peut-être, on eut des abbés, des avocats généraux bien pensants, des vaudevillistes devenus censeurs, et plus le plus petit mot pour rire. M. de Montmorency meurt vers ce temps-là; il était de l'administration des hospices; on célébrait pour lui un service dans chaque hôpital:—Ne manquez pas d'y aller, disait le même médecin aux élèves à qui il portait intérêt, cela fera bien.»
Sur ces entrefaites, un des professeurs destitués par le parti-prêtre, M. Dubois, ayant fondé, de concert avec l'ouvrier typographe P. Leroux, le journal littéraire le Globe, y appela Sainte-Beuve, qu'il avait eu pour élève à Charlemagne. La lecture de ce journal, faite aujourd'hui, donne une excellente idée des écrivains qui le rédigeaient. Que d'articles substantiels et vifs, sans rien du pathos exigé depuis par les Revues, où la pensée est soufflée et délayée en vue d'une abondance de copie, où l'on tire tant qu'on peut sur la couenne pour obtenir le nombre de pages demandé! Tous les sujets y sont traités brièvement et avec compétence. Dédaigneux de la littérature de l'empire, correcte et claire, mais sans couleur ni relief, les rédacteurs ont compris qu'il fallut croiser les races, pour l'esprit comme pour le reste; sans quoi, l'on croupit sur place, et par trop de peur de s'abâtardir, on n'engendre plus. Aussi passent-ils la frontière sur tous les points et vont-ils emprunter à l'Angleterre, à l'Allemagne, à l'Espagne et à l'Italie de nouvelles sources d'inspiration. Le mouvement libéral, imprimé aux esprits par les trois chaires de Guizot, Cousin et Villemain, y trouve aussi son écho, et la question religieuse elle-même y est abordée hardiment; c'est là que Th. Jouffroy publia son fameux article: Comment les dogmes finissent. Phénomène unique depuis la Révolution et qui ne s'est pas renouvelé: cette feuille, quoique purement littéraire, eut du succès. La politique n'y fut introduite que vers la fin, lorsque de Broglie et Guizot, l'ayant achetée, en firent un des plus puissants leviers mis en branle pour jeter à bas les Bourbons de la branché aînée.
Quelle fut dans ce journal la part de Sainte-Beuve? Elle fut double et des plus actives; ses remontes d'idées se firent sans passer la frontière. S'il la franchit un instant, ce fut pour s'en revenir au plus vite, après avoir pris du pays un aperçu tel quel. Son gibier était à l'intérieur: tandis que les livres nouveaux, dont il rendait compte, ceux de Thiers et de Mignet, par exemple, lui fournissaient l'occasion d'inaugurer le rôle de héraut d'armes, de porte-voix des renommées naissantes, qu'il exercera avec tant de zèle et d'autorité pendant quarante ans, il entamait, d'un autre côté, l'histoire littéraire de notre pays, qu'il ne devait composer que sous forme fragmentaire, en taillant artistement chaque pierre, mais sans jamais réunir les matériaux dans un monument définitif. Son coup d'essai en ce sens, le Tableau de la poésie française au XVIe siècle, est déjà d'un maître. Il y prouve victorieusement que Ronsard n'est pas du tout le mauvais et ridicule poëte que prétendaient les classiques, et surtout que ce XVIe siècle, traité jusque-là de barbare, fut très-fécond, puissant, savant, et déjà délicat par portions. La plupart des qualités qui distingueront son oeuvre s'y montrent en germe: sûreté et fermeté de jugement, finesse de goût, heureuse curiosité d'expression, hardiesse de vues tempérée par un bon sens supérieur. L'âge de l'auteur ne s'y décèle que sur un point, je veux dire l'empressement à étaler une érudition de fraîche date; il y a trop de noms cités, pas assez de choix. Un autre reproche lui fut adressé par les érudits, les savants en us; c'était de risquer, sur les origines du théâtre français, des théories incomplètes ou même inexactes. Il a depuis soigneusement réparé cette erreur; mais la chicane lui laissa de l'aigreur contre la gent pédante, en qui le savoir étouffe trop souvent le goût. Il comparait plaisamment ces déchiffreurs de vieux textes aux animaux dont on utilise l'instinct à déterrer les truffes. Dès qu'ils en ont trouvé une, disait-il, il faut courir bien vite et leur donner du bâton sur le nez; sinon, ils l'avalent, et elle est perdue pour les fins gourmets[4].