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plus superbes Testes,

       Fait assez voir qu'Amour, par qui tout est dompté,

       Sur les conquerans mesme establit ses conquestes.

      Étonnez-vous après cela que les romanciers se soient fait le moindre scrupule de donner «L'air et l'esprit français à l'antique Italie»; que, malgré leurs noms, Alexandre et Cyrus, Brutus et Constance jargonnent à l'envi en d'interminables conversations de métaphysique sentimentale, comme des habitués des Samedis de Mlle de Scudéry; que Solon, Socrate, Jules César, Bussy d'Amboise, Alcibiade et tous les autres n'expédient et ne reçoivent que billets galants, ne tiennent que doucereux et fades propos; que les Croisades ne soient envisagées que par rapport aux amours d'un Théophile ou d'une Sophie; qu'une Jeanne d'Arc soit obligée de «décourager» un Baudricourt qui la poursuit de ses déclarations:

      Dormez, adorable Bergère,

       Fermez ces yeux qui causent tous mes maux.

       Je ne veux point troubler leur tranquile repos,

       Et tout plein de désirs sans être téméraire,

       Un seul de vos regards, un seul mot moins sévère,

       Récompenseront mes travaux;

      que l'unique souci enfin de «Faramond» soit de fléchir la rigueur de la cruelle Rosemonde! Et demandez-vous d'ailleurs où ce pauvre La Calprenède aurait bien pu prendre la couleur locale de son Faramond!

      À les entendre tous cependant, et qu'ils aient nom Scudéry, La Calprenède, Mlle de Villandon ou MMmes de Genlis et Simons-Candeille, les scrupules du plus exact historien n'égaleraient point leurs scrupules; ils n'avancent rien qu'ils ne soient capables de soutenir des preuves les plus authentiques; batailles et traités de paix, expéditions et négociations diplomatiques, depuis les événements les plus importants jusqu'aux faits les plus minimes, tout a été discuté, contrôlé, vérifié; tout a été puisé aux bonnes sources; tout est historique, comme ils disent. Il faut se défier de leurs préfaces, de leurs postfaces, et de toutes leurs notes explicatives et justificatives. N'est-il donc pas assez visible que, de vraisemblance et de fidélité, il ne saurait être question? que, «sous des noms romains», c'est «notre portrait», c'est-à-dire celui de leurs contemporains, qu'ils tracent? et que ce n'est par conséquent pas la société des temps passés, mais celle qu'ils avaient sous les yeux, dont ils s'appliquent à reproduire l'image? Malgré toutes les apparences, on s'acheminait si peu vers le roman historique qu'on lui tournait exactement le dos.

      D'autant—et le nouvel abus est tout aussi grave—d'autant que l'histoire n'est souvent pour eux tous, surtout pour elles toutes, qu'«un voile ingénieux, un prétexte» à couvrir les plus ridicules et les plus plates inventions. L'étiquette:historique a été mise aux premiers feuillets, il suffit; le romancier, le coeur léger et débarrassé de tout scrupule, court à son vrai sujet, c'est-à-dire à une intrigue d'ordinaire étrangement compliquée et encore plus invraisemblable. Au surplus est-il parfaitement inutile de s'arrêter plus longtemps à prouver l'évidence même. Autant vaudrait s'attacher à démontrer que Florian n'a écrit Gonzalve de Cordoue que pour respecter l'histoire, et que les lettres adressées de tous les coins du monde—il y en a même une d'«un Anglais de la Caroline»!—à Marmontel, au sujet de_Bélisaire_, n'ont d'autre objet que de le féliciter de la vérité historique de son oeuvre!

      Il est sans doute plus intéressant, pour faire voir quelles racines profondes avait poussées le mal, de le montrer infectant le commencement même du XIXe siècle, c'est-à-dire l'époque du succès européen de Walter Scott. Comme une épidémie qui, malgré toutes les précautions et en dépit de toutes les mesures, va toujours se propageant, et, sans faire d'aussi effrayants ravages qu'à ses débuts, frappe toujours quelques victimes, la contagion du roman pseudo-historique continue de sévir, malgré les glorieux exemples venus d'outre-Manche. Il fut donné à Mme de Genlis de voir la lumière, mais la lumière ne l'éclaira point. Elle connut Walter Scott et elle défendit contre lui sa conception surannée du roman historique par des raisons singulièrement faibles et malheureuses, et par des ouvrages plus faibles et plus malheureux encore.

      Veut-elle nous décrire par exemple les horreurs d'un siège, elle dira comme au temps de d'Urfé ou de Mme Durand: «Les cornemuses devinrent muettes; on n'entendit plus que le bruit des armes et des trompettes belliqueuses. Les jeunes filles redoutaient de rencontrer ces militaires épars dans les champs trop souvent dévastés par eux! mais, émues et curieuses, elles se cachaient pour les voir, et elles admiraient en secret leur bonne mine, l'assurance et la fierté de leur maintien. Elles les comparaient aux villageois, et plus d'un pâtre eut à se plaindre de celle qu'il aimait.»(Siège de La Rochelle, page 200.) Faut-il ajouter que l'oeuvre de Mme de Genlis abonde en traits de cette force?

      Et pourtant, malgré ces énormes, ces insupportables et irritants défauts, un des caractères, pas le plus important, mais un des caractères du roman historique subsiste dans les oeuvres du groupe. Ce n'est jamais l'époque contemporaine, assez rarement les temps modernes, presque toujours au contraire les siècles passés, que ces romanciers choisissent pour encadrer leurs scènes. L'évocation de civilisations lointaines, de sociétés différentes ou disparues, même quand l'évocation est ridiculement fausse, ne laisse pas d'exhaler comme un vague parfum de poésie. Doucement sollicitée, l'imagination continue ce que l'écrivain a tant bien que mal commencé. Tous ces romains et ces druides, ces Perses et ces Assyriens, ces Gaulois et ces Arabes, dépaysent agréablement le lecteur, quoi qu'il en ait, et il flotte sur l'oeuvre une espèce de clair-obscur, dont le romantisme devait sentir l'attirante puissance. En appliquant donc, même inconsciemment, un des principes du roman historique, c'était une espèce d'ébauche que ces pauvres écrivains donnaient du genre encore à naître. Ils méritent en conséquence de n'être pas complètement oubliés; et c'est tout ce qu'il importait de constater ici.

       Table des matières

      Le courant réaliste.

      La nécessité d'obéir aux aspirations de l'époque et de se conformer, du moins mal possible, à l'idéal littéraire d'alors, avait dicté aux auteurs du premier groupe le choix de leurs sujets. Les mêmes raisons imposèrent aux écrivains de celui-ci la matière de leurs romans et leur mode d'exécution.

      Vers la fin du XVIIe siècle, les théories de l'école de 1660 ont momentanément triomphé. C'en est fait des longs récits à la Scudéry. Les attaques répétées de Molière, les succès éclatants de Racine, surtout les inépuisables et mordantes railleries de Boileau, en ont eu raison. Et les Almahide, les Célinte, les Princesse de Clèves, c'est-à-dire d'assez courtes nouvelles, remplacent désormais les prolixes Artamène ou les interminables Cléopâtre. La vogue des «caractères» et des «portraits», l'influence du théâtre comique favorisent encore un changement auquel les Mémoires d'autre part n'ont pas médiocrement contribué. Cette évolution du goût, le roman ne pouvait pas ne pas la suivre. Il a abandonné l'imaginaire ou l'invraisemblable pour des réalités précises, laissé la légende ou l'histoire trop reculée pour des époques voisines et donc assez bien connues; il a enfin, si le mot n'est pas trop ambitieux, changé d'esthétique. Le genre n'y perdait pas; et il n'est pas malaisé d'établir que le futur roman historique y trouvait particulièrement son compte.

      Aux écrivains dont nous avons parlé jusqu'ici, il manquait non le sentiment profond de l'histoire,—la littérature devait en attendre jusqu'au XIXe siècle les premières manifestations,—mais le souci et comme le sens de la simple exactitude. Rien n'y préparait comme de choisir pour héros des personnages contemporains. Car alors l'imagination, toujours prête à s'emporter chez un romancier, est nécessairement tenue en bride. Le moins avisé des lecteurs peut comparer le modèle à la copie, le portrait à l'original; et il est fatal que cette facilité de vérification règle et contienne la main du peintre.

      Non qu'on doive s'attendre à ne plus rencontrer que vérité absolue: la chose fut toujours

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