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comme vous les vols remarquables exécutés sous nos yeux par les disciples des Wright et du capitaine Ferber, mais, à mon avis, ce sont des acrobates, et l'aéroplane me semble un outil bon tout juste à se casser le cou! Parlez moi des dirigeables, à la bonne heure! Au moins la sécurité est assurée à leur bord si une pièce quelconque de la machine vient à casser! Vous avez vu manoeuvrer, cette après-midi, le Colonel-Renard et le Zodiac II?... Quelle impression de puissance, de solidité ils donnent, à côté des libellules de Blériot ou des boîtes entoilées des frères Voisin!... Vous me direz qu'ils vont moins vite que celles-ci, je le reconnais comme vous, mais si la vitesse est acquise au détriment de la sécurité, je préfère encore le ballon, savez-vous, Damblin.

      —L'avenir est à l'aéroplane, Réviliod!

      —Le ballon dirigeable n'a pas dit son dernier mot. Voyez le Zeppelin!

      —Moi je vais vous mettre d'accord, intervint Médouville avançant sa grosse figure réjouie. La machine aérienne de l'avenir qui remplacera la locomotive et l'automobile ne sera ni un aéroplane, ni un ballon!

      —Et qu'est-ce que ce sera donc, alors? firent en choeur les auditeurs.

      —Je l'ignore; je n'en ai pas la plus vague idée, autrement je m'empresserais de prendre un brevet d'invention, mais ce que je sais bien c'est que tous les appareils que nous venons de voir n'auront qu'un temps. Penser autrement serait vouloir, à mon avis, nier le progrès, et vous ne contesterez pas, d'ailleurs, qu'aéroplanes et ballons ont encore besoin de sérieuses améliorations pour devenir aussi pratiques qu'une automobile!

      Damblin allait répondre, mais le train s'arrêtait en gare de Reims; toutes les portières des voitures s'ouvraient et les voyageurs se précipitaient vers les issues.

      Les jeunes gens suivirent le flot pressé du public, en se donnant rendez-vous dans la soirée à l'Universelle. Comme ils doivent jouer un rôle important dans ce récit, présentons-les l'un après l'autre au lecteur.

      Robert de La Tour-Miranne était fils unique du duc de La Tour-Miranne, l'un des derniers représentants de la vieille noblesse de France. Passionné des sports, il les pratiquait tous indistinctement, et les exercices athlétiques n'avaient plus de secrets pour lui. Il eût pu se mesurer, sans forfanterie, à l'escrime avec Mérignac ou le chevalier Pini, à la course pédestre avec Cibot ou Orphée, à bicyclette avec Guignard ou Friol, à la nage avec Jarvis ou Ooms, au golf, au tennis, au polo, au foot-ball avec les joueurs les plus réputés, mais toutefois sa prédilection allait plutôt vers les sports de la locomotion. Il avait déjà mis à mal une bonne douzaine d'automobiles de toutes formes depuis que l'auto existait, et il ne possédait pas moins de quatre embarcations de différents tonnages: un yacht gréé en clipper et un racer à pétrole pour la navigation de plaisance sur les rivières et canaux de France, un cruiser et un yacht à vapeur de 150 tonneaux, l'un pour les croisières le long des côtes, l'autre pour les voyages au long cours. Enfin, depuis que l'aérostation était revenue de mode et qu'il était de bon ton de pérégriner à travers l'atmosphère, Robert de La Tour-Miranne s'était fait construire deux ballons sphériques, l'un de 450, l'autre de 1650 mètres cubes, par l'ingénieur aéronaute Fruscou. Il avait exécuté avec ces aérostats une douzaine d'ascensions qui l'avaient enthousiasmé, aussi ne rêvait-il plus désormais que de pouvoir évoluer en toute liberté au sein de l'élément mobile, et c'est pourquoi il suivait avec un intérêt passionné les premières manifestations du nouveau sport: le vol aérien. Comme conséquence directe de ces goûts, que la fortune du duc son père lui permettait heureusement de satisfaire, Robert était membre de toutes les Sociétés possibles: l'Automobile-Club, le Yacht-Club, le Touring-Club, le Swimming-Club, l'Aéro-Club, le Jockey-Club, l'Union des Sports Athlétiques, etc., etc.

      Au physique, le marquis de La Tour-Miranne était un fort gaillard de vingt-six ans, à la musculature développée par la pratique continuelle des exercices physiques. Sans être ce que l'on appelle un Antinoüs, il avait les traits fins et réguliers, la moustache blonde et soyeuse, les cheveux coupés en brosse, ce qui le faisait ressembler à quelque lieutenant de cavalerie en congé, bien qu'il n'eût pas dépassé, au 19e hussards, le grade de sous-officier. Au moral, un excellent garçon, peut-être un peu autoritaire, mais néanmoins franc et serviable, sans morgue aucune et toujours prêt à obliger le prochain. Aussi comptait-il nombre d'amis dans son monde, au premier rang desquels il convenait de placer son ami de collège Jean Outremécourt, et René de Médouville.

      La fortune des Outremécourt était loin d'être équivalente à celle des La Tour-Miranne, d'autant que la famille était plus nombreuse. Le vicomte, ami de Robert, n'avait pas moins de quatre soeurs, dont la plus âgée avait dix-neuf ans. Les deux jeunes gens s'étaient connus dans le grand établissement d'enseignement où ils avaient reçu l'instruction, et ils étaient devenus vite une paire de camarades, bien qu'ils fussent dissemblables de tout point. Autant Robert était vif, pétulant, bruyant et entraînant, autant Jean était réfléchi, calme et pondéré, même dans les amusements et les jeux de l'adolescence. Ses condisciples l'avaient surnommé le Père Tranquille, en raison de sa placidité habituelle. De retour du régiment, Jean Outremécourt était resté le meilleur camarade de Robert, qu'il avait accompagné dans plusieurs croisières à bord de son yacht Lusignan, et, entre-temps, il avait suivi les cours de la Faculté des Sciences comme auditeur libre, car il s'intéressait fort au mouvement scientifique de l'époque.

      René de Médouville, l'aîné des trois amis, avait vingt-huit ans. C'était un bon garçon, un peu hurluberlu, et qui se posait volontiers en Petit Manteau Bleu des inventeurs incompris, qu'il ne craignait pas d'aller encourager dans leurs mansardes et aidait de sa bourse sans compter. Médouville se croyait lui-même un inventeur de génie, et il communiquait sans hésiter de mirifiques mais impraticables idées à ses protégés, afin qu'ils améliorassent leurs créations. Avec un pareil caractère, il était surprenant qu'il ne se fût pas encore ruiné, car plus d'un aigrefin l'avait exploité sans vergogne. Les inventions nouvelles qu'il voulait mettre à jour ou perfectionner lui coûtaient plus cher qu'une écurie de courses, et ses camarades le plaisantaient de ses goûts, mais sans parvenir à l'en décourager. Heureusement, René de Médouville avait un cousin germain, phénoménalement riche, et à l'inépuisable bourse duquel il faisait fréquemment appel. Ce cousin, qui portait le nom plébéien d'André Lhier et avait huit ans de plus que lui, s'était adonné au commerce, et il avait développé extraordinairement le chiffre d'affaires de la maison de produits alimentaires qu'il exploitait. On parlait de huit à dix millions par an. Lorsque René venait, tout chaud d'enthousiasme pour quelque fantastique opération, lui demander son concours financier, André morigénait l'incorrigible rêveur, mais il déliait les cordons de sa bourse et le Mécène continuait ses libéralités.

      Tels sont les personnages que nous avons mis en scène et que nous retrouvons, le 26 août au soir, dans un salon particulier de l'Universelle, le grand établissement de Reims, à la fois brasserie et music-hall. Au milieu d'un groupe d'auditeurs, Réviliod pérorait:

      —Non, messieurs, disait-il de sa voix sèche et coupante, l'aéroplane n'est pas encore au point, voyez-vous, et il faut que les concurrents soient diantrement alléchés par l'importance des prix offerts pour se risquer comme ils l'ont fait depuis trois jours. Mais gare aux accidents!...

      —Espérons que vos pronostics ne se réaliseront pas!... répliqua l'ingénieur Georges Damblin qui écoutait. S'il s'en produisait malgré tout, il ne faudrait toutefois pas triompher et croire pour cela que l'aviation n'a aucun avenir! Ce serait simplement la rançon du progrès qui veut que chaque amélioration se paie d'une façon ou de l'autre.

      L'orateur se tourna vers son contradicteur.

      —Voyons, mon cher Damblin, fit-il cordialement, vous ne pouvez cependant pas, vous qui êtes ingénieur et avez suivi la question de près, accorder à l'aéroplane le moindre intérêt pratique!... A quoi cela rime-t-il, ces évolutions en rond autour de pylônes plantés sur une piste bien aplanie?... Je comprends mieux les voyages de ville à ville de Farman, de Santos-Dumont et la traversée du Pas-de-Calais par Blériot. Mais voulez-vous bien me dire à quoi ces

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