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      —Ce que j'ai à craindre, repartit Marc avec émotion, une seule chose, il est vrai, mais qui est pour moi tout au monde, vous perdre sans retour, Alice!

      La jeune fille baigna ses regards dans les yeux humides de son amoureux.

      —Ne vous ai-je pas dit, bien souvent déjà, reprit-elle, que je n'aime et n'aimerai jamais que vous seul au monde? Que vous importe alors qu'un autre me recherche? et pourquoi vous inquiéter des moyens qu'il peut vouloir prendre pour me plaire, à moi qui ne puis seulement supporter sa présence?

      D'un long regard, Marc Evrard remerciait Alice de ses bonnes paroles, lorsque M. Cognard, profitant du brouhaha cause par ses invités qui étaient en train d'organiser un quadrille, s'approcha de Marc et lui dit en lui touchant l'épaule du doigt.

      —Monsieur Evrard, je veux vous parler.

      Marc s'inclina et le suivit dans le coin de la chambre que James Evil venait de quitter pour se mêler aux danseurs.

      Est-il vrai, Monsieur, demanda Cognard, que vous étiez présent ce soir à l'assemblée qui s'est tenue dans la Chapelle de l'évêché?

      —Oui, Monsieur, répondit Marc avec un serrement de coeur entrevoyant sous cette question le piège perfide que venait de lui tendre Evil.

      —Fort bien, Monsieur, reprit Cognard de sa voix glapissante. Fort bien! Il vous est parfaitement loisible de vous joindre aux insurgés et de vous faire pendre ensuite comme rebelle si bon vous semble. Mais vous voudrez bien ne pas trouver mauvais, non plus, que je me mette, ainsi que toute ma famille, à l'abri des soupçons que la continuation de mes rapports avec vous ne manquerait pas d'attirer sur nous.

      —Mais, Monsieur! se hâta d'interrompre Marc, savez-vous à quel titre je me suis trouvé à cette assemblée, et le rôle que j'y ai joué?

      —A quel titre, Monsieur! Et que m'importe que ce soit comme chef on comme simple adhérent! Que me peut faire a moi le rôle que vous y avez rempli, sinon me compromettre davantage pour peu qu'il ait été marquant!

      —Mais, Monsieur……… tâchait d'insinuer Marc, vous vous méprenez Ne connaissez-vous point mes opinions?…

      —Vos opinions! vos opinions! Elles vous posent bien dans l'esprit des honnêtes gens, vos opinions Vous pouvez vous vanter d'être déjà bien noté auprès des autorités.

      —Quand je vous dis, Monsieur Cognard, répliqua Marc en gardant, mais avec peine, le plus grand calme, quand je vous dis que je n'étais là que comme simple curieux!

      —Et vous croyez, Monsieur, que ce n'est pas assez pour vous perdre dans l'estime des fidèles sujets de Sa Majesté! Ah Monsieur, si vous aviez entendu ce soir comment M. le gouverneur à taxé de félonie tous ceux qui ont pris part à cette assemblée, vous trembleriez rien qu'à la seule idée que l'on pût soupçonner que vous y assistiez! Non, Monsieur, vous avez eu beau mainte fois pour me mieux tromper sans doute, m'assurer de votre loyauté envers notre bien-aimé souverain, Georges III, voici un acte qui dément vos belles paroles. Ainsi, Monsieur Evrard, pour me bien disculper de nos relations antérieures, et pour ne point jeter de louche sur ma fidélité à notre bonne mère l'Angleterre, je vous signifie que nos rapports devront cesser à partir de ce soir. C'est assez vous dire que je défends à tous les membres de ma famille de garder souvenir de vous, et que ma maison ne vous serait plus ouverte si vous aviez le courage de vous y représenter. Cependant comme ce soir vous êtes mon hôte, et que je suis tenu par cela même à de certains égards, je ne m'oppose pas à ce que vous acheviez de passer ici la veillée. Seulement je vous prie de ne plus obséder ma fille Alice de vos importunités.

      Marc, si grièvement blessé dans sa fierté, voulut pourtant n'écouter que la voix de son amour qui criait encore plus haut que son légitime orgueil.

      —Je vous en prie, Monsieur Cognard, dit-il d'un air suppliant, veuillez m'écouter…

      —Il suffit, Monsieur, répondit le royaliste du ton le plus nasillard qu'il put tirer de l'anche de son gosier.

      Et d'un air magistral, il passa les deux pouces dans les boutonnières de son habit, et s'éloigna de Marc ahuri.

      Les éclats de voix de Cognard, l'air humilié de Marc avaient attiré l'attention de l'assistance qui, tout en feignant de danser ou de causer, n'avait cependant pas perdu un seul geste de cette pantomime significative. Aussi cette scène désagréable et déplacée jeta-t-elle du froid sur les invités qui, ne pouvant plus ramener la gaîté dans le bal, commencèrent bientôt à se retirer. Peut-être aussi avait-on grand'hâte de causer tout à l'aise de cet évènement imprévu et encore plein de mystère.

      Marc avait d'abord éprouvé un fou désir de bondir le premier hors de cette maison inhospitalière. Il contint pourtant, mais par des efforts surhumains, les flots de colère qui bouillonnaient en lui. Il voulait presser une dernière fois la main d'Alice que sa belle-mère et deux ou trois autres femmes entouraient déjà de leurs consolations indiscrètes, bien qu'elles ne sussent encore trop la cause du différend qui venait d'avoir lieu entre M. Cognard et le jeune homme.

      Après avoir erré pendant dix minutes, la mort dans l'âme, parmi les hommes qui étaient groupés dans une partie de la chambre, et répondu tranquillement aux questions insignifiantes qu'on lui posait pour ne point paraître avoir remarqué sa mésaventure, profita de la sortie de trois ou quatre couples afin de se retirer.

      Mais avant de quitter la place, il traversa la chambre et rompant le cercle des femmes qui entouraient Alice de leurs attentions hypocrites, il lui tendit la main en lui disant d'une voix dans laquelle tremblait un sanglot:

      —Au revoir, Mademoiselle.

      —Adieu! Monsieur, s'empressa de répondre la grincheuse madame Cognard que son mari venait de mettre au courant de la situation, et qui planait dans une atmosphère de bonheur. Pour la digne marâtre, voir sa belle-fille humiliée, malheureuse, était une jouissance paradisiaque.

      Marc ne daigna seulement pas regarder cette vipère qui sifflait en essayant de le mordre, mais il jeta un coup d'oeil plein de mépris sur le capitaine Evil qui lui jetait un regard vainqueur.

      Après avoir fait quelques pas en revenant dans la rue Sainte-Anne, Marc s'arrêta, s'adossa contre la muraille d'une maison voisine et, fiévreux, tremblant de rage, attendit.

      Au bout de quelques minutes, la porte de la demeure de M. Cognard s'ouvrit de nouveau pour laisser couler le dernier flot des invités.

      Marc put voir sortir et reconnut, grâce à la gerbe de lumière qui s'épandait du vestibule au dehors, celui-là même qu'il attendait. Il laissa se reformer la porte et marcha à l'encontre des personnes qui venaient vers lui, et qui, surprises de voir arriver au milieu d'elles un homme que l'obscurité subite où elles se trouvaient plongées les empêchait de reconnaître immédiatement, s'écartèrent un peu de leur chemin pour laisser passer l'intrus.

      Marc Evrard alla droit à Evil qui ne l'avait pas d'abord plus reconnu que les autres, et d'une voix vibrante:

      —Je vous prends tous à témoins, s'écria-t-il, que le capitaine James

       Evil que voici, est un calomniateur et un lâche! En foi de quoi, moi,

       Marc Evrard, je lui donne le soufflet que voici.

      Un bruit sec, suivi d'un sonore juron anglais, prouvèrent aussitôt que le jeune homme avait ainsi fait qu'il venait de le dire.

      L'officier, un instant frappé de stupeur, dégaina et bondit en avant. Mais les témoins de cette scène se jetèrent entre les deux adversaires afin de les séparer.

      Marc n'avait qu'une canne légère. Il attendait résolument l'officier qui, l'épée au poing, voulait, criait-il, ouvrir le ventre l'insolent.

      —Pour l'amour de Dieu, Evrard, allez-vous-en! dit l'un de ceux qui ne contenaient Evil qu'avec effort. Et vous, capitaine, n'allez pas égorger un homme désarmé et aveuglé par la colère.

      —Je

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