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Contes irrévérencieux. Armand Silvestre
Читать онлайн.Название Contes irrévérencieux
Год выпуска 0
isbn 4064066089641
Автор произведения Armand Silvestre
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
Comment s'en vint-il se buter, marchant comme il faisait, un peu à l'aventure, contre le manège Billedou, père et fils, en pleine marche circulaire maintenant? ce sont ces hasards que les gens à qui ils profitent appellent: providence, et les autres: guignon. Toujours est-il qu'il poussa un cri et l'exclamation: Ah! canailles! en reconnaissant dans le couple Titine et Totor, lequel s'embrassait à tire-larigot, en passant devant lui, son infidèle épouse née Lavesse, et l'infâme potard Pépin, qui la lui avait ravie.—Attendez-un peu, gredins! ajouta-t-il encore en se pendant, comme un forcené, au petit carrosse peint en jaune clair où la petite Mélanie Pistache se mit à crier comme un jeune putois.
Mais Victor Pépin, qui n'était pas myope, avait vu le coup. Il fallait, à tout prix, accélérer la marche de la cavalerie de bois. La croupe de l'infortuné Bijou était à sa portée. Il y fit pleuvoir une grêle de coups de canne. J'ai dit que l'animal entendait mal la plaisanterie. Bijou, exaspéré de ce manque absolu d'égards, rua, puis se cabra, puis, chose inouïe dans les annales de ces pacifiques et ligneuses chevauchées, prit résolument le mors aux dents.
Alors, ce fut épouvantable. La société Pistache et Brisquet, emportée dans un mouvement vertigineux, dans une valse effrénée,—l'orgue, dont la manivelle était liée par une bielle au collier de Bijou, s'enrageant à son tour, et excitant la bête d'un vacarme de chaudron en délire,—fut prise d'une frousse indicible et qui se traduisait en cris inhumains. Le marié, Brisquet, avait perdu son gibus neuf; la jeune épouse, née Pistache, pendait, évanouie, à sa selle; la tante Eulalie, dont le pantalon avait craqué et dont les jupes balayaient le chignon, exhibait son pétard monstrueux à cinquante centimètres au-dessus de la licorne; le cousin Napoléon, renversé en arrière, avait noué ses pincettes au cou de son coursier; le petit Mathias, en grimpant après la barre, s'était accroché au baldaquin du couronnement. C'était abominable, vous dis-je. Et Totor continuait de battre la charge, d'une main, sur le dos de Bijou, tandis que, de l'autre, il retenait sur son coeur Titine, qui riait comme une bossue.
—Arrêtez-les! Arrêtez-les! Arrêtez-les! hurlait M. Eusèbe Pécrus, en gesticulant comme un fou.
Le brigadier Badoit et le sergent de ville Foiret s'approchèrent d'un air capable. Ayant remarqué, depuis longtemps, qu'il est infiniment moins dangereux d'arrêter un citoyen paisible que de se jeter à la tête d'un cheval emporté, ils n'hésitèrent pas à abattre une main solide, du poids d'un gigot d'agneau, sur chaque épaule de M. Eusèbe Pécrus.
—C'est vous, animal, fit le brigadier Badoit qui par vos cris incohérents et machiavéliques, avez fait emballer ce pacifique canasson.
—Que vous irez au poste, et tout de suite! continua le sergent de ville Foiret, en le poussant en avant.
Et, devant une foule approbatrice, ils emmenèrent M. Eusèbe Pécrus, abasourdi et muet d'étonnement, au commissariat où il fut, comme il convient, passé préalablement à tabac, dans un couloir, ayant hasardé une remarque «empreinte de rouspétance et d'anarchie», comme le dit fort bien le brigadier Badoit.
Pendant ce temps Bijou tourna un quart d'heure encore, puis manqua des quatre pieds, ce qui projeta la société Pistache et Brisquet par-dessus les têtes de ses chevaux. Totor, dont la canne était cassée, et Titine, qui riait toujours, comme une folle, ne se firent aucun mal. Il n'y a, décidément, de Dieu que pour les coeurs simples et purs.
PHONOGRAPHE
PHONOGRAPHE
A Robida.
En son sordide cabinet dont les araignées avaient tapissé les angles, et dont les rats avaient troué les murs, près de sa table où fumait, parmi les bouquins où s'enseigne l'économie, un plat encore tiède des haricots blancs qui constituaient son unique nourriture, ses longs doigts ramenés sur ses yeux et la paume de la main posée sur son nez crochu, le vieux milliardaire Peter Peterson s'abîmait, à la clarté fumeuse d'une lampe, en une indicible mélancolie. Un des plus riches des États-Unis, et certainement le plus avare des deux mondes, il avait conquis, en vingt-sept faillites dont quinze pouvaient, sans exagération, être qualifiées de frauduleuses, une immense fortune dont il ne jouissait en rien, mais qu'il lui était néanmoins tout à fait désagréable de quitter en môme temps que ce monde. N'ayant pas d'enfant, c'était à des enfants de collatéraux, dissimulant mal leur impatience d'hériter, que s'en irait cet immense bien.
Il n'avait d'ailleurs aucune illusion sur les sentiments affectueux du ménage Humphry, ni du ménage Ouweston, ni du célibataire Krokwess qui composaient cette descendance. Lui-même les haïssait cordialement, renonçant uniquement à les frustrer parce qu'il lui eût répugné davantage encore de faire une bonne action en laissant son argent aux pauvres. Son unique préoccupation était donc de leur rendre l'héritage désagréable par mille taquineries posthumes auxquelles se complaisait son invention naturelle. Il voulait, avant tout, leur éviter la joie de tripoter dans ses affaires, en mettant son testament à l'abri de toutes leurs atteintes, et son voeu le plus cher était d'ajourner leur félicité par quelque volonté d'outre-tombe qu'il leur fût impossible d'enfreindre. Mais en quel homme aurait-il assez de confiance, homme public ou ami sûr, pour lui donner en garde le précieux dépôt? Le ménage Humphry, ou le ménage Ouweston, ou le célibataire Krokwess auraient bientôt fait de le corrompre. On juge volontiers les autres par soi-même, et Peter Peterson, qui avait assez vécu pour s'estimer à sa propre valeur, possédait les meilleures raisons du monde d'avoir une fichue opinion de l'humanité.
Tout à coup, il se frappa le front, ce qui fit un bruit de castagnettes. Il avait trouvé, et un rire énorme grimaça sur ses gencives édentées, cependant que sa petite barbiche grise, en queue de moineau, dansait sur son menton décharné. Et, le lendemain matin, lui qui n'avait jamais fait de folies, il s'en fut acheter un phonographe Édison, chez le meilleur fabricant de New-York, et le fit transporter dans son sordide cabinet dont les araignées avaient tapissé les angles et dont les rats avaient troué les murs. Fort instruit de toutes les choses pratiques—son mépris des poètes et de la rêverie lui en avait fourni le moyen—Peter Peterson connaissait à merveille ce stupéfiant instrument qui emmagasine la parole humaine, et la restitue au commandement, en lui donnant seulement le petit accent des personnes enrhumées, ce qui ferait supposer qu'un des inconvénients de la mort, entre autres, est un perpétuel coryza. Aussi j'en sais qui mettent une coquetterie à ne rien confier, de leur voix harmonieuse, à cet appareil enrhumeur, n'est-ce pas, mon cher Paul Arène, toi qui n'as jamais voulu figurer dans le musée de causeurs à voix de Polichinelle de notre bon ami Mariani?
Mais Peter Peterson n'avait pas de ces délicatesses latines. Après s'être assuré que son phonographe fonctionnait comme il convient, il convoqua et réunit dans la pièce voisine de son cabinet, laquelle lui servait de salon—oh! combien indigemment meublé!—le ménage Humphry, le ménage Ouweston, le célibataire Krokwess, plus le solicitor Harris et un greffier, porteur de scellés. Après quoi, il leur tint ce langage, que je traduis fidèlement de l'anglais dont je ne sais pas un mot: «Estimés parents, gracieux solicitor, et vous, ineffable greffier, je sens que mon compte de jours mortels va être liquidé d'ici peu, et je me décide à mettre mes livres en règle avant de quitter ce comptoir de larmes, en exprimant, d'une façon indestructible, mes dernières volontés. Ce n'est à aucun de vous, malgré le grand cas que je fais de votre honnêteté, que j'entends