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Contes irrévérencieux. Armand Silvestre
Читать онлайн.Название Contes irrévérencieux
Год выпуска 0
isbn 4064066089641
Автор произведения Armand Silvestre
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
Et sur ce discours, Mlle Angélique s'alla coucher, plus mélancolique encore.
Le lendemain, après une nouvelle promenade aux ceps, il fallait occuper le temps de l'étranger jusqu'au dîner que suivrait immédiatement le départ. Ne sachant qu'inventer, M. de Libersac le conduisit dans une grande galerie qui lui servait de cabinet de travail. Des portraits d'aïeux étaient pendus aux murailles, alternant avec des morceaux de vieilles tapisseries. Comme dans la scène célèbre d'Hernani, M. de Libersac, qui n'avait jamais eu un tel penchant aux confidences, commença de faire, à son hôte, la nomenclature de ces gloires familiales: «—Celui-ci, fit-il, est Gontran de Libersac qui mourut à la troisième croisade; celui-là est Bernard de Libersac qui mit à mort plus de trois mille Albigeois; cet autre est Marcel de Libersac qui fut remarqué du roi dans les massacres de la Saint-Barthélemy; cet autre encore est Barnabé de Libersac qui eut le nez coupé par une hallebarde au siège de La Rochelle; voilà Pierre Barthélemy de Libersac, capitaine des arquebusiers au siège de Calais; voici Gaspard de Libersac qui commandait à Fontenoy.»
Cependant, comme le gentilhomme tournait, avec un enthousiasme véhément, les pages de ce Bottin glorieux, M. Antoine, les mains dans ses poches, regardait en l'air, ses bajoues insensiblement remuées par quelque gavotte qu'il se sifflait intérieurement. M. de Libersac s'en aperçut et, un peu décontenancé: «—Pardon, Monsieur, fit-il, mais je vous parle là de choses qui n'ont pas l'air de vous intéresser bien vivement.»
Avec une rondeur charmante, M. Antoine, sur un ton respectueux toutefois, lui répondit:
—Que voulez-vous, Monsieur le marquis, pour être franc, je me f...iche de mes propres aïeux. Alors, vous pensez si je me f...iche des vôtres.
A cette impertinence ingénue, Monsieur le marquis, furieux, allait vertement répondre, quand Mlle Angélique qui se trouvait, comme par hasard, derrière la porte, bondit toute joyeuse et, prenant les mains de l'insolent: «—Ah! Monsieur, fit-elle, merci!»
Et Mlle Angélique est aujourd'hui Mme Antoine, et la souche des Antoine pousse, grâce à elle, de nouveaux rameaux, cependant que meurt, à jamais dépouillée par l'automne, la dernière branche de l'arbre, jadis illustre, des Libersac!
EMBALLÉ
Ils me tiennent au coeur, à moi, ces pauvres forains qu'on persécute. Parce qu'ils empêchent quelques bourgeois de dormir, on leur voudrait retirer la royauté de Paris, où ils règnent maintenant toute l'année, transportant, de quartier en quartier, le chargement de leurs roulottes, gaieté des boulevards extérieurs, délices des places lointaines. Moi qui les aime, je revendique leur droit, pour eux, à amuser les badauds, dont je suis. Je leur dois les plus pures joies de mon enfance et quelques très bons instants de ma maturité. Que de fois, au bruissement des cymbales, aux grondements de la grosse caisse, au mugissement du trombone, j'ai senti s'engourdir en moi quelque peine d'amour! J'ai même quelque peu aimé dans ce joli monde, et n'en rougis pas. Au demeurant, de tous les saltimbanques qu'il nous faut subir, les professionnels me paraissent les plus tolérables aux honnêtes gens.
Qu'avez-vous à objecter, je vous prie, aux chevaux de bois? Qu'ils marchent toujours sans faire aucun chemin? Alors, que direz-vous de la politique? Moi, je leur fais un reproche: celui de s'être américanisés et d'être devenus trop confortables. On y pose maintenant sur de vraies selles, avec de vraies brides dans les mains. Alors, autant aller tout de suite au Bois de Boulogne, sur de vrais chevaux! Vivent ceux de ma prime jeunesse, les vaillants chevaux de bois peints en rouge cru, avec des rênes peintes en bleu sur le cou, et une brosse sur ledit cou, qui vous donnait l'impression de monter un des héroïques coursiers du Parthénon.
Le manège Billedou, père et fils, qui tournait il y a quelques jours, place du Lion de Belfort, ne s'éloignait pas beaucoup de ce primitif et traditionnel modèle. Le prix du tour y était demeuré modestement de dix centimes, meilleur marché que l'omnibus, même sur l'impériale. Comme moteur vivant, il avait un cheval bai, une ancienne bête de sang qui prenait là de monotones invalides, bien qu'honorablement traitée par de bonnes et humaines gens qui l'appelaient Bijou et ne le frappaient jamais. Il n'y eût pas fait bon, d'ailleurs. La bête était susceptible encore de fringance momentanée à la moindre caresse du fouet. Un passé de gentilhomme chevalin se révoltait, en elle, sous l'outrage. Pacifique à cela près, ayant accepté sa circulaire et insipide promenade entre les lazzis des lascars et les rires épais des bonnes, connaissant même si bien son métier qu'il s'arrêtait, de lui-même, quand son patron avait régulièrement gagné le montant de sa recette intermittente.
Et, ce jour-là, un dimanche, Bijou avait eu, à son déjeuner, un picotin de plus, parce que la besogne serait rude vraisemblablement. Et depuis deux heures déjà, il vous faisait tourner d'énormes charges de militaires, de petites commerçantes, de commis libérés et de voyous, de fillasses en cheveux et de jeunes gens en hautes casquettes, quand la société Pistache et Brisquet, on balade depuis le matin et qui faisait, en lacet chez les marchands de vins, un copieux lendemain de noces—une demoiselle Pistache ayant épousé un Brisquet, la veille, samedi—se précipita sur les tranquilles montures en sapin que Bijou guidait à travers l'espace, aux sons d'un orgue de Barbarie dont les tuyaux extérieurs semblaient une panoplie de seringues de cuivre, et dont l'âme souvent mouillée avait comme des grelottements dans la voix.
Et ce qu'ils étaient contents, et bruyants, et peu distingués! Ils avaient ri aux larmes en poussant des hurrahs quand, à grand'peine et aidée de trois personnes, Mlle Eulalie Brisquet, tante des jeunes époux, était parvenue à hisser sur un des chevaux, son formidable derrière; et ils avaient failli rendre leurs gorges, à force de s'esclaffer, quand Napoléon Pistache, cousin de la fiancée, avait écarté, en pincettes, autour du sien, ses longues guiboles qui pendaient à terre. Et le petit Mathias Brisquet, qui se tenait en hurlant, comme un singe, à la barre de fer accrochant son coursier; et la petite Mélanie Pistache, assise comme une reine et faisant ses embarras déjà, dans un petit carrosse peint en jaune clair!
Sauf deux places seulement, les deux chevaux confinant à l'orgue et qui avaient été jugés bons pour des sourds, la société Pistache et Brisquet occupait tout le manège Billedou père et fils, et la lourde machine, où des saucisses humaines semblaient pendues, allait se mettre en branle sur un coup de collier de Bijou, quand deux inconnus, deux étrangers, presque deux intrus, un homme et une femme, sautèrent sur les deux seuls chevaux encore vacants, et, tout aussitôt, s'enlacèrent dans les bras l'un de l'autre, avec les mauvaises façons de concubins sans vergogne, et tout à fait indignes d'entrer dans une aussi matrimoniale compagnie. Et de se donner des baisers tout haut, devant le monde, en s'appelant de leurs petits noms d'amants: Titine et Totor. Non! ça vous sentait l'irrégularité dans la vie à plein nez, jusqu'à la fripouille. Bijou venait de donner le coup de collier et l'orgue commençait de gueuler comme si on lui avait marché sur un pied, chose d'autant plus improbable qu'il n'en avait que trois. On s'amusait ferme dans la société Pistache et Brisquet, et moins honnêtement, mais plus encore, dans le couple Titine et Totor.
Et pendant ce temps-là, M. Eusèbe Pécrus promenait, à quelques pas de là, le long des baraques épanouies derrière la parade, une sérieuse mélancolie, regrettant fort, comme moi d'ailleurs, l'absence des femmes colosses, proscrites, aujourd'hui, et qui n'avaient pas leurs pareilles pour vous distraire d'un chagrin d'amour en vous faisant tâter leur «petit mollet». Chagrin d'amour et humiliation conjugale, tel était le double cas de M. Eusèbe Pécrus, ancien pharmacien de seconde classe, dont la femme Ernestine, née Lavesse, avait fichu le camp, il y avait trois ans déjà, avec son premier potard, Victor Pépin, accident qui avait projeté sur sa vie, jusque-là sans ennuis, une ombre douloureuse et fourchue. C'est au point que,