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      Aussi, loin de se cramponner au bordage de la nacelle, ainsi que l'avaient fait ses compagnons, il avait presque aussitôt abandonné l'appareil et d'un vigoureux effort, était remonté à la surface.

      Au milieu du péril suprême, il s'était souvenu tout à coup des bateaux signalés par Fricoulet et, confiant dans sa force et dans son habileté de nageur, il avait résolu de tout tenter pour échapper à la mort.

      Une vague énorme, l'emportant avec elle, le hissa jusqu'à sa crête, et, de cet observatoire liquide il put jeter un rapide coup d'œil sur l'immensité qui l'entourait.

      —Allons! pensa-t-il, en descendant, avec la vague qui s'effondrait dans un précipice sans fond, il s'agit de se soutenir à la surface... ce sera bien le diable si quelqu'un de ces navires ne passe pas à proximité...

      Pour tout autre qu'un hardi nageur tel que lui, un semblable projet eût été de la folie: l'océan démonté jetait au ciel des vagues monstrueuses, fouettées et déchiquetées par la tempête qui hurlait dans l'espace.

      Mais l'eau et Farenheit étaient de vieilles connaissances; sans chercher à lutter, il appliquait tous ses efforts à n'être point submergé et il y parvenait.

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      Tout à coup, comme il était de nouveau élevé sur le sommet d'une vague, il poussa un cri de désappointement et de rage.

      Les bateaux en lesquels il avait mis son espoir avaient disparu; avaient-ils sombré, avaient-ils fui devant la tempête?

      Toujours est-il qu'aussi loin que la vue pouvait s'étendre, la mer était déserte, d'énormes masses liquides se ruaient, avec un bruit formidable, à l'assaut les unes des autres; dans l'espace, les nuages, semblables à une horde de chevaux au galop, couraient, poussés par un vent terrible, ensanglantés par moments par la lueur de la foudre, de larges aigrettes lumineuses dansaient au sommet des vagues, jetant, sur les abîmes creusées par le vent, des lueurs livides.

      Farenheit se sentit le cœur étreint par une inexprimable angoisse; à l'horizon, rien que la tempête; autour de lui, rien que l'immensité liquide en furie.

      À quoi bon lutter? son désir de vivre n'avait eu pour but que de satisfaire sa soif de vengeance contre Sharp; maintenant qu'il n'avait plus aucun espoir imminent d'être sauvé, persister n'eût eu pour résultat que de prolonger inutilement son agonie.

      Alors, sans d'autre regret au cœur que de mourir avant d'avoir assouvi sa haine, il croisa les bras, immobilisa ses jambes et, une vague énorme survenant, il se laissa engloutir.

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      «L'humanité qui règne sur le monde de Vénus, dit Camille Flammarion, doit offrir les plus grandes ressemblances avec la nôtre et aussi, probablement, les plus grandes ressemblances morales. On peut penser, néanmoins, que Vénus étant née après la Terre, son humanité est plus récente que la nôtre. Ses peuples en sont-ils encore à l'âge de pierre? toutes conjectures, à cet égard, seraient évidemment superflues, les successions paléontologiques ayant pu suivre une autre voie sur cette planète que sur la nôtre. D'un autre côté ce n'est pas sous les plus doux climats que l'humanité est la plus active et Vénus est un monde plus varié et certainement plus passionné que la Terre; En définitive, la meilleure conclusion à tirer des considérations générales de l'état de cette planète c'est que la vie doit être peu différente de ce quelle est dans notre monde

      Le premier de nos voyageurs qui fut à même de constater de visu la vérité des suppositions philosophiques rapportées plus haut, fut M. de Flammermont, lorsque, sous l'impression d'une odeur bizarre, absorbée par ses narines et parvenant jusqu'à son cerveau, il ouvrit les yeux.

      Tout d'abord, en proie à un phénomène fort naturel et fort compréhensible, il ne se crut pas vivant, mais transporté déjà dans une autre existence.

      —Parbleu! fit-il... quel sot je fais!... mais je suis mort!

      Et, en prononçant ces mots, il laissa lourdement retomber sa tête.

      Mais aussitôt, il poussa un cri et se redressa; distinctement l'écho de ses paroles avait frappé son oreille en même temps qu'un choc un peu rude avait contusionné son crâne.

      —Morbleu! grommela-t-il... on dirait cependant que je suis vivant.

      Et, pour se convaincre qu'il ne se trompait pas, il ouvrit et ferma plusieurs fois les paupières, renifla l'air, fit fonctionner ses mâchoires, promena lentement ses mains sur les différentes parties de son corps et, finalement, posa l'une de ses mains sur sa poitrine.

      Le cœur battait fortement et le sang circulait librement dans les artères.

      Alors, le jeune homme poussa un profond soupir de satisfaction, au fond, il aimait mieux que les choses fussent ainsi; vivant, il conservait l'espoir de revoir Séléna.

      Cependant, il doutait encore, lorsque ses regards, en se promenant curieusement autour de lui, tombèrent sur deux corps étendus non loin, rigides et sans apparence de vie.

      Ces deux corps étaient ceux de Mickhaïl Ossipoff et d'Alcide Fricoulet.

      Ce que voyant, le sens des choses réelles lui revint tout à fait et le voile qui obscurcissait sa mémoire se déchira complètement.

      —Sauvés! s'exclama-t-il, nous avons été sauvés!

      Il se précipita vers l'ingénieur et colla son oreille contre la poitrine; le cœur battait faiblement, passant ensuite à Ossipoff, il constata que le vieux savant comptait encore au nombre des vivants.

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      Alors seulement, son esprit dégagé de toutes préoccupations se posa deux questions: où étaient-ils, lui et ses compagnons? et qui les avait arrachés à la mort?

      En voulant résoudre la première de ces questions, il résolut en même temps la seconde, car le regard circulaire qu'il jeta autour de lui, lui montra une pièce carrée, toute en bois, munie de sortes de couchettes en planches sur lesquelles lui et ses amis avaient été étendus; du même coup il aperçut, dans une encoignure sombre, un groupe de personnages qui le considéraient avec une défiance pleine de curiosité.

      —Des hommes! s'écria-t-il tout joyeux.

      Et il s'avança vers eux.

      Mais ceux-ci reculèrent et Gontran remarqua alors qu'ils étaient armés et paraissaient tout disposés à faire usage des piques et des javelots qu'ils tenaient à la main.

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      —Ma parole! murmura-t-il... est-ce que je rêve? ou suis-je bien éveillé?... mais ce sont des Égyptiens que j'ai là devant moi!... ou tout au moins ils y ressemblent terriblement.

      Et il ne pouvait détacher ses yeux de ces individus, recouverts d'une courte tunique d'étoffe blanche, découvrant la jambe au-dessous du genou et mettant à nu le cou et les bras; les pieds étaient enfermés dans des chaussures d'étoffe également, mais de couleur rouge, emprisonnant le cou-de-pied dans des cordelettes entrecroisées, à la façon des cothurnes.

      La tête se signalait par l'absence totale de cheveux et par une face assez allongée, qu'éclairaient des yeux fendus en amandes, et encadrée dans une barbe noire longue et frisée.

      —Ce sont des Vénusiens, sans doute, murmura le jeune comte auquel sa stupéfaction faisait oublier ses amis.

      Voyant le Terrien immobile, les indigènes se rassurèrent et firent quelques pas vers lui, les armes dans la main gauche, la main droite tendue.

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