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tandis que dans la cuisine Barnabé se préparait à partir.

      — Allons nous coucher, dit madame Barincq, nous avons bien gagné quelques heures de bon sommeil.

      Barnabé s'approcha de Barincq :

      — Je reviens dans un quart d'heure, dit-il discrètement, le temps d'aller et de revenir.

      Mais, bien qu'il eût parlé à mi-voix, madame Barincq l'avait entendu.

      — Pourquoi Barnabé veut-il revenir ? demanda-t-elle à son mari.

      Il eût préféré que cette question ne lui fût pas adressée, mais il ne pouvait pas ne pas y répondre ; Il dit donc ce qui s'était passé, sa demande, le refus qui l'avait accueillie, l'invention de Barnabé.

      Madame Barincq leva au ciel ses mains tremblantes d'indignation.

      — Emprunter à un domestique ! s'écria-t-elle, il ne manquait plus que ça.

      — Barnabé s'est conduit en ami, dit Anie en tâchant d'intervenir.

      — Ne vas-tu pas défendre ton père ? s'écria madame Barincq ; tu ferais bien mieux de lui demander comment il compte rendre cet argent.

      Sans attendre que cet appel à l'intervention de sa fille eût produit un effet, elle se tourna vers son mari :

      — Et quand veux-tu partir ? demanda-t-elle.

      — A 9 heures 30.

      — Ce matin ?

      — Je n'ai que juste le temps pour arriver demain à l'heure de l'enterrement.

      — Et tu nous laisses au milieu de ce désordre, sans personne pour nous aider ? comment allons-nous nous en tirer ? je suis morte de fatigue.

      — Pour cela, maman, ne t'inquiète pas, dit Anie, je n'irai pas à l'atelier aujourd'hui et avant ce soir tout sera mis en état.

      — Si tu prends le parti de ton père, je n'ai plus rien à dire. Adieu.

      Sans un mot de plus elle quitta le hall pour monter au premier étage.

      — N'emportes-tu rien ? demanda Anie lorsqu'elle fut seule avec son père.

      — J'ai fait ma valise cette nuit et l'ai descendue je vais mettre mon habit dedans et serai prêt à partir.

      — Sans déjeuner ?

      — Barnabé m'a dit qu'il ne restait rien.

      — Je vais te faire du café ; pendant ce temps, la porteuse de pain arrivera.

      Comme elle se dirigeait vers la cuisine, il l'arrêta :

      — Tu ne vas pas allumer le feu, habillée comme tu l'es ?

      — Ma robe n'a plus grand'chose à craindre, dit-elle en se regardant.

      En effet, elle était en lambeaux, déchirée aux entournures et surtout à la taille par les doigts gros des danseurs.

      — Elle a le feu à craindre, dit-il.

      — Eh bien, je me déshabille et reviens tout de suite.

      — Tu ferais mieux de te coucher.

      — Crois-tu que je sois fatiguée pour une nuit passée à danser ? A mon âge, cela serait honteux.

      Quand elle redescendit, elle trouva son père, qui avait revêtu ses vêtements de tous les jours, en train de boucler sa valise. Vivement elle alluma un feu de braise et mit dessus une bouillotte d'eau ; puis elle ouvrit la porte du jardin.

      — Où vas-tu ? demanda-t-il.

      — J'ai mon idée.

      Elle revint presque aussitôt, tenant d'un air triomphant un œuf dans chaque main.

      — Il me semblait bien avoir entendu les poules chanter, dit-elle ; au moins tu ne partiras pas à jeun ; deux œufs frais, une bonne tasse de café, te remettront un peu des fatigues de cette nuit, d'autant plus dures pour toi qu'elles s'ajoutaient à ton chagrin. Pauvre père, je t'assure que je t'ai plaint de tout mon cœur, et que plus d'une fois je me suis reproché le supplice que je t'imposais en te faisant jouer ces airs de danse qui exaspéraient ta douleur.

      — Au moins t'es-tu amusée ?

      — Je devrais te dire oui, mais cela ne serait pas vrai.

      — Tu as éprouvé quelque déception ?

      Elle hésita un moment, non parce qu'elle ne comprenait pas à quelle déception son père faisait allusion, mais parce qu'elle avait une certaine honte à répondre.

      — J'ai été demandée en mariage plus de dix fois depuis hier soir, dit-elle enfin avec un demi-sourire.

      — Eh bien ?

      — Eh bien, sais-tu à qui ces demandes s'adressaient ?

      — A toi, bien sûr.

      — A moi ta fille, non ; à moi l'héritière de mon oncle, oui ; sur une parole de maman, mal entendue ou mal comprise, on s'est imaginé que la fortune de mon oncle allait nous revenir, et chacun a voulu prendre rang.

      — Et si ce qu'on s'est imaginé se réalisait ?

      — As-tu des raisons pour le croire ?

      — Le croire, non ; l'espérer, oui : car je ne peux pas admettre que Gaston, malgré notre rupture, ne t'ait rien laissé par son testament, toi, sa nièce, contre qui il n'avait aucun grief.

      — Mais s'il n'a pas fait de testament ?

      — Alors ce ne serait pas une part quelconque de sa fortune qui te reviendrait, ce serait de cette fortune entière que nous hériterions.

      Que cela soit, je te promets que je n'épouserai aucun de mes prétendants de cette nuit : les vilains bonshommes, hypocrites et plats.

       Table des matières

      En entrant dans la gare d'Orléans, après une course d'une heure et demie faite à pied, sa petite valise à la main, il vit le rapide de Bordeaux partir devant lui.

      Autrefois, quand de Paris il retournait au pays natal, c'était ce train qu'il prenait toujours ; une voiture l'attendait à la gare de Puyoo, et de là le portait rapidement à Ourteau où il arrivait assez à temps encore pour passer une bonne nuit dans son lit.

      Maintenant au lieu du rapide, l'omnibus ; au lieu d'un confortable compartiment de première, les planches d'un wagon de troisième ; au lieu d'une voiture en descendant du train, les jambes.

      Son temps heureux avait été celui de la jeunesse, le dur était celui de la vieillesse ; la ruine avait fait ce changement.

      Il eût pu lui aussi mener la vie tranquille du gentilhomme campagnard, sans souci dans son château, honoré de ses voisins, cultivant ses terres, élevant ses bêtes, soignant son vin, car il aimait comme son frère les travaux des champs, et même plus que lui, en ce sens au moins qu'à cette disposition se mêlait un besoin d'améliorations qui n'avait jamais tourmenté son aîné, plus homme de tradition que de science et de progrès.

      Avec une origine autre que la sienne, il en eût été probablement ainsi, et comme ils n'étaient que deux enfants, ils se fussent trouvés assez riches, la fortune paternelle également partagée entre eux, pour mener cette existence chacun de son côté : l'aîné sur la terre patrimoniale, le jeune dans quelque château voisin. Mais, bien que sa famille fut fixée en Béarn depuis assez longtemps déjà, elle était originaire du pays Basque, et comme telle fidèle aux usages de ce pays où le droit d'aînesse est toujours assez puissant pour qu'on voie communément les puînés ne pas se marier afin que la branche aînée s'enrichisse par l'extinction des autres.

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