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comprends que ce hasard n'ait rien de curieux pour vous, mais pour moi il en est tout autrement. En effet, il y a deux heures je me doutais si peu que j'irais aujourd'hui à Cassis, que c'était à peine si je connaissais le nom de ce pays.

      —Alors votre voyage est une inspiration; c'est une idée qui vous est venue tout à coup... par hasard.

      —Bien mieux que cela, mademoiselle, ce voyage a été décidé par une suggestion, par une intervention étrangère, par une volonté supérieure à la mienne; aussi je dirais volontiers de notre rencontre comme les Arabes: «C'était écrit», et vous savez que rien ne peut empêcher ce qui est écrit?

      —Écrit sur la feuille de route de François, dit-elle en riant, mais qui l'a fait écrire?

      —La destinée.

      —Vraiment?

      J'avais été assez loin; maintenant il me fallait une raison ou tout au moins un prétexte pour expliquer mon voyage.

      —Il y a un fort à Cassis? dis-je.

      —Oh! oh! un fort. Peut-être sous Henri IV ou Louis XIII cela était-il un fort, mais aujourd'hui je ne sais trop de quel nom on doit appeler cette ruine.

      Une visite à ce fort était le prétexte que j'avais voulu donner, j'allais passer une journée avec un officier de mes amis en garnison dans ce fort; mais cette réponse me déconcerta un moment. Heureusement je me retournai assez vite, et avec moins de maladresse que je n'en mets d'ordinaire à mentir:

      —C'est précisément cette ruine qui a décidé mon voyage. J'ai reçu une lettre d'un membre de la commission de la défense des côtes qui me demande de lui faire un dessin de ce fort, en lui expliquant d'une façon exacte dans quel état il se trouve aujourd'hui, quels sont ses avantages et ses désavantages pour le pays. Vous me paraissez bien connaître Cassis, mademoiselle?

      —Oh! parfaitement.

      —Alors vous pouvez me rendre un véritable service. Le dessin, rien ne m'est plus facile que de le faire. Mais de quelle utilité ce fort peut-il être pour la ville, voilà ce qui est plus difficile. Il faudrait pour me guider et m'éclairer quelqu'un du pays. Sans doute, je pourrais m'adresser au commandant du fort, si toutefois il y a un commandant, ce que j'ignore, mais c'est toujours un mauvais procédé, dans une enquête comme la mienne, de s'en tenir aux renseignements de ceux qui ont un intérêt à les donner. Non, ce qu'il me faudrait, ce serait quelqu'un de compétent qui connût bien le pays, et qui en même temps ne fût pas tout à fait ignorant des choses de la guerre. Alors je pourrais envoyer à Paris une réponse tout à fait satisfaisante.

      Elle me regarda un moment avec ce sourire indéfinissable que j'avais déjà vu sur ses lèvres, puis se mettant à rire franchement:

      —C'est maintenant, dit-elle, que ce hasard que vous trouviez curieux tout à l'heure devient vraiment merveilleux, car je puis vous mettre en relation avec la seule personne qui précisément soit en état de vous bien renseigner; cette personne habite Cassis depuis quinze ans et elle a une certaine compétence dans la science de la guerre.

      —Et cette personne? dis-je en rougissant malgré moi.

      —C'est mon père, le général Martory, qui sera très-heureux de vous guider, si vous voulez bien lui faire visite.

       Table des matières

      La fin de ce voyage fut un émerveillement, et bien que je ne me rappelle pas quels sont les pays que nous avons traversés, il me semble que ce sont les plus beaux du monde. Sur cette route blanche je n'ai pas aperçu un grain de poussière, et partout j'ai vu des arbres verts dans lesquels des oiseaux chantaient une musique joyeuse.

      Cependant je dois prévenir ceux qui me croiraient sur parole que j'ai pu me tromper. Peut-être au contraire la route de Marseille à Aubagne et d'Aubagne à Cassis est-elle poussiéreuse; peut-être n'a-t-elle pas les frais ombrages que j'ai cru voir; peut-être les oiseaux sont-ils aussi rares sur ses arbres que dans toute la Provence, où il n'y en a guère. Tout est possible; pendant un certain espace de temps dont je n'ai pas conscience, j'ai marché dans mon rêve, et c'est l'impression de ce rêve délicieux qui m'est restée, ce n'est pas celle de la réalité.

      Ce n'était pas de la réalité que j'avais souci d'ailleurs. Que m'importait le paysage qui se déroulait devant nous, divers et changeant à mesure que nous avancions? Que m'importaient les arbres et les oiseaux? J'étais près d'elle; et insensible aux choses de la terre j'étais perdu en elle.

      En l'apercevant pour la première fois dans le bal j'avais été instantanément frappé par l'éclat de sa beauté qui m'avait ébloui comme l'eût fait un éclair ou un rayon de soleil; maintenant c'était un charme plus doux, mais non moins puissant, qui m'envahissait et me pénétrait jusqu'au coeur; c'était la séduction de son sourire, la fascination troublante de son regard, la musique de sa voix; c'était son geste plein de grâce, c'était sa parole simple et joyeuse; c'était le parfum qui se dégageait d'elle pour m'enivrer et m'exalter.

      Jamais temps ne m'a paru s'écouler si vite, et je fus tout surpris lorsque, étendant la main, elle me montra dans le lointain, au bas d'une côte, un amas de maison sur le bord de la mer, et me dit que nous arrivions.

      —Comment! nous arrivons. Je croyais que Cassis était à quatre ou cinq lieues de Marseille. Nous n'avons pas fait cinq lieues!

      —Nous en avons fait plus de dix, dit-elle en souriant.

      —Je ne suis donc pas dans la voiture de Cassis?

      —Vous y êtes, et c'est Cassis que vous avez devant les yeux.

      Mon étonnement dut avoir quelque chose de grotesque, car elle partit d'un éclat de rire si franc que je me mis à rire aussi; elle eût pleuré, j'aurais pleuré: je n'étais plus moi.

      —Alors nous marchons de merveilleux en merveilleux.

      —Non, mais nous avons marché avec un détour; par la côte de Saint-Cyr, Cassis est à quatre lieues de Marseille, mais nous sommes venus par Aubagne, ce qui a augmenté de beaucoup la distance.

      —Je n'ai pas trouvé la distance trop longue; nous serions venus par Toulon ou par Constantinople que je ne m'en serais pas plaint.

      —La masse sombre que vous apercevez devant vous, dit-elle sans répondre à cette niaiserie, est le château qui a décidé votre voyage à Cassis. Plus bas auprès de l'église, où vous voyez un arbre dépasser les toits, est le jardin de mon père.

      —Un saule, je crois.

      —Non, un platane; ce qui ne ressemble guère à un saule.

      —Assurément, mais de loin la confusion est possible.

      —Dites que la distinction est impossible et vous serez mieux dans la vérité; aussi suis-je surprise que vous ayez cru voir un saule.

      Elle dit cela en me regardant fixement; mais je ne bronchai point, car je ne voulais point qu'elle eût la preuve que j'avais pris des renseignements sur elle et sur son père. Qu'elle soupçonnât que je n'étais venu à Cassis que pour la voir, c'était bien: mais qu'elle sût que j'avais fait préalablement une sorte d'enquête, c'était trop.

      —Il est vrai qu'il y a un saule dans notre jardin, continua-t-elle, un saule dont la bouture a été prise à Sainte-Hélène, sur le tombeau de l'empereur, mais il n'a encore que quelques mètres de hauteur et nous ne pouvons l'apercevoir d'ici. A propos de l'empereur, l'aimez-vous?

      Je restai interloqué, ne sachant que répondre à cette question ainsi posée, et ne pouvant répondre d'un mot d'ailleurs, car le sentiment que m'inspire Napoléon est très-complexe, composé de bon et de mauvais; ce n'est ni de l'amour ni de la haine, et je n'ai à son égard ni les superstitions du

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