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route est tracée, nous n'avons qu'à la suivre: c'est très-facile.

      —Pour ceux qui voient cette route, mais tout le monde ne la voit pas comme vous, et alors dans l'obscurité, il est bien permis d'hésiter et de tâtonner.

      —Qui fait cette obscurité?

      —Les circonstances politiques.

      —Et qui fait les circonstances politiques?

      —Le hasard, ou, si vous le voulez, la Providence.

      —Disons les hommes pour ne point nous perdre, et disons en même temps que les hommes dirigent ces circonstances suivant les besoins de leur ambition. Si on a fait l'obscurité dans la situation politique, c'est qu'on espère profiter de cette obscurité; l'ombre est propice aux complots.

      —Vous croyez donc aux complots?

      —Et vous?

      Il hésita un moment, mais sa réserve ne dura que quelques secondes.

      —Moi, dit-il, je crois à un travail considérable qui se fait dans l'armée.

      —Au profit de qui?

      —Au profit de Louis-Napoléon.

      —Hé bien, cela doit vous suffire pour éclairer votre route. Si Louis-Napoléon travaille l'esprit de l'armée, c'est pour se l'attacher. Dans quel but? Est-ce par amour platonique pour l'armée? Non, n'est-ce pas, mais par intérêt, pour s'appuyer sur nous et se faire président à vie ou empereur. Hé bien, dans ces conditions, je dis que notre voie est indiquée. Nous ne sommes pas des prétoriens pour faire des empereurs de notre choix. Nous sommes l'armée de la France et c'est à la France qu'il appartient de choisir son gouvernement, ce n'est pas à nous de lui imposer par la force de nos baïonnettes celui qu'il nous plaît de prendre. Nous ne devons pas écouter les émissaires du président; car le jour où celui-ci aura la conviction que l'armée le suivra, l'empire sera fait par une révolution militaire. En bon soldat que je suis, j'aime trop l'armée pour admettre qu'elle peut se charger de ce crime et de cette honte.

      —Et cependant il y a dans l'armée des esprits honnêtes, qui croient que l'empire doit faire la grandeur de la France.

      —C'est leur droit, comme c'est mon droit de voir le bonheur de la France dans le rétablissement de la monarchie légitime ou dans la consolidation de la République. Mais ce que nous avons le droit de penser n'est pas ce que nous avons le droit de faire, ou bien alors c'est la guerre civile; tandis que vous soutiendrez l'empire, je soutiendrai Henri V; notre colonel, qui a été l'ami et l'officier d'ordonnance du duc d'Aumale, soutiendra les princes d'Orléans; notre chef d'escadron, qui est républicain, soutiendra la République; Mazurier, qui aime le désordre et la canaille, soutiendra la canaille, et nous nous battrons tous ensemble, les uns contre les autres, ce qui sera le triomphe de l'anarchie. Voilà, mon cher, à quoi l'on arrive en écoutant ses sentiments personnels, ses opinions ou ses intérêts, au lieu d'écouter sa conscience. Et c'est là ce qui m'indigne contre Louis-Napoléon qui, pour faire triompher son ambition, ne craint pas de corrompre l'armée; est-ce que les autres partis, Henri V, les d'Orléans, les républicains agissent comme lui? il est le seul à vouloir faire de l'armée un instrument de révolution. S'il réussit, la France est perdue; il n'y a plus d'armée; il n'y a plus d'honneur militaire.

      —Vous n'aimez pas Louis-Napoléon.

      —C'est vrai, je l'avoue hautement parce que la répulsion qu'il m'inspire n'est point causée par des préférences que j'aurais pour le représentant d'un autre parti. Je n'ai point de préférences politiques, ou plutôt je n'ai pas d'opinions exclusives. Par mes traditions de famille, je devrais être légitimiste; je ne le suis pas; je ne suis pas davantage orléaniste ou républicain.

      —Alors qu'êtes-vous donc?

      —Je suis ce que sont bien d'autres Français; je suis du parti du gouvernement adopté par le pays et qui s'exerce honnêtement en respectant les droits et la liberté de chacun. Je n'aurais peut-être pas choisi le gouvernement que nous avons en ce moment, mais c'est un gouvernement légal et jamais je ne mettrai mon sabre, si léger qu'il puisse être, au service de ceux qui voudraient renverser ce gouvernement.

      Vimard s'arrêta, et me prenant la main qu'il me serra fortement:

      —Ma foi, mon cher, vous me faites plaisir; je suis heureux de vous entendre parler ainsi; dans ce temps de trouble où nous vivons d'incertitude et d'indécision, cela soutient de voir quelqu'un de ferme, qui ne cherche pas son chemin.

      —Et cependant, l'on m'a reproché souvent mon indifférence en matières politiques. Peut-être, en effet, vaut-il mieux être un homme de parti, comme il vaut mieux peut-être aussi être un homme religieux. Les convictions bien arrêtées sont, je crois, une grande force. Mais enfin l'indifférence politique, comme l'indifférence religieuse, n'empêche pas d'être un honnête homme. Et pour en revenir au sujet de notre entretien, je vous donne ma parole que, dans les circonstances présentes, quoi qu'il arrive, je saurai rester un honnête soldat.

      Nous marchâmes pendant quelques instants, réfléchissant l'un et l'autre; Vimard à je ne sais trop quoi, moi à ce que cet entretien avait de singulier; car venu au Prado pour écouter les confidences et les secrets de Vimard, j'avais parlé presque seul. Il rompit le premier le silence.

      —Ainsi, dit-il, on ne vous a jamais fait d'ouvertures dans l'intérêt du parti napoléonien?

      —Jamais.

      —Hé bien, je l'ai cru, en vous voyant à la bibliothèque, et c'est pour savoir comment vous les aviez accueillies que je vous ai amené ici pour tenir conseil et m'entendre avec vous.

      —On vous a donc fait ces ouvertures à vous?

      —Oui, à moi, comme à un grand nombre d'officiers.

      —Une conspiration?

      —Non, car s'il avait été question d'une conspiration, on y aurait mis, je pense, plus de réserve.

      —C'est tout haut qu'on vous demande si vous êtes disposés à appuyer le rétablissement de l'empire.

      —Hé, mon cher, ce n'est pas cela qu'on nous demande, car, au premier mot, beaucoup d'officiers, moins fermes que vous, tourneraient le dos au négociateur. On nous représente seulement qu'un jour ou l'autre un conflit éclatera entre le président de la République et l'Assemblée, et l'on insiste sur les avantages qu'il y a pour l'armée à se ranger du côté de Louis-Napoléon; en même temps on glisse quelques mots adroits sur les avantages personnels qui résulteront pour les officiers disposés à prendre ce parti. Tout cela se fait doucement, habilement, par un homme qui est l'agent du bonapartisme dans le Midi, le commandant de Solignac.

      En entendant ce nom, il m'échappa un mouvement involontaire.

      —Vous le connaissez? demanda Vimard.

      —Non; j'ai entendu son nom et je l'ai vu figurer dans les procès de Strasbourg et de Boulogne.

      —C'était précisément pour savoir quel avait été son rôle dans ces deux affaires que je suis allé à la bibliothèque. Ici il se remue beaucoup, et il n'y a pas d'officier qu'il n'ait vu à Marseille, à Toulon, à Grenoble, à Montpellier; si vous n'arriviez pas d'Afrique, vous le connaîtriez aussi; c'est un homme que je crois très-habile.

      —Le procès le montre tel.

      —S'il y a jamais un mouvement napoléonien, il tiendra tout le Midi dans sa main, et c'est là un point très-important, car la Provence entière est légitimiste ou républicaine, et l'on assure que la Société des montagnards y est très-puissante. Ce qu'il y a de curieux dans cette action du commandant de Solignac, c'est qu'elle s'exerce d'une façon mystérieuse; on sent sa main partout, mais on ne la trouverait nulle part, si l'on voulait la saisir. En apparence, il vit tranquillement à Cassis, comme un vieux soldat retraité, et il paraît n'avoir pas d'autre occupation que de faire la partie du général Martory, une culotte de peau, celui-là, et tout à fait inoffensif. Pour mieux tromper les soupçons,

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