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à ceux du commandant de Solignac, pour être d'un autre genre que ceux de son chef de troupe, ils n'en sont pas moins curieux et intéressants. Malheureusement, ils ne sont pas aussi complets qu'on pourrait le désirer, car, dans ces deux conspirations, il paraît n'avoir occupé qu'un rang très-secondaire.

      A l'audience, ses explications sont des plus simples: il a servi la cause du prince Louis-Napoléon parce qu'il croit que c'est celle de la France; pour lui, ses croyances, ses espérances se résument dans un nom: «l'Empereur,» et le prince Louis est l'héritier de l'empereur. Il a été entraîné par la reconnaissance du souvenir et par la fidélité des convictions; il le serait encore. Il ne se défend donc pas; il se contente de répondre; on peut faire de lui ce qu'on voudra: une condamnation sera la confirmation du devoir accompli.

      Une pareille attitude avait quelque chose de grand; il me semble que c'eût été celle du général Martory, s'il avait pris part à ces complots. Par malheur pour le commandant de Solignac, il y a dans ses réponses des inconséquences, et quand on les rapproche de celles de ses coaccusés, on trouve des contradictions qui font douter de sa sincérité.

      Au lieu d'avoir été un simple soldat de la conspiration, comme il veut le faire croire, il paraît avoir été un de ses chefs; au lieu d'avoir été entraîné, il semble qu'il a entraîné les autres; au lieu d'avoir obéi à la voix de la France, il pourrait bien n'avoir écouté que celle de son intérêt et de son ambition.

      Mais ce sont plutôt là des insinuations résultant de l'ensemble des deux procès que des accusations nettement formulées, tant la conduite du commandant a toujours été habile et prudente: jamais il ne s'est avancé, jamais il ne s'est compromis au premier rang, et bien que l'on sente partout son action, nulle part on ne peut le saisir en flagrant délit: c'est un Bertrand malin qui se sert des pattes de Raton pour tirer du feu les marrons qu'il doit croquer.

      Une seule chose plaide fortement contre lui, c'est l'état de ses affaires au moment où il se fait le complice de son prince. Elles étaient au plus bas, ces affaires, et telles qu'elles ne pouvaient être relevées que par un coup désespéré.

      Né en 1790, M. de Solignac fait les dernières campagnes de l'empire; à Waterloo il est capitaine. Bien que d'origine noble et apparenté à de bonnes familles, il avance difficilement sous la Restauration; et, en 1832, commandant la première circonscription de remonte, il donne sa démission. Il y a de graves irrégularités dans sa caisse, et un grand nombre de paysans du Calvados se plaignent de ne pas avoir touché le prix des chevaux qu'ils ont vendus, ces prix ayant été encaissés par le commandant. Il prend alors du service dans l'armée belge, mais pour peu de temps, car bientôt encore il donne sa démission.

      J'en étais là de mon étude quand je m'entendis appeler par mon nom.

      C'était Vimard, le capitaine d'état-major que tu as dû connaître quand il était à Oran; il s'était assis en face de moi sans que je le visse entrer.

      —On me dit que vous avez le volume de l'Histoire de dix ans où se trouve le procès de Strasbourg; si vous ne vous en servez pas, voulez-vous me le prêter?

      Je le lui tendis et me remis à ma lecture. Décidément le bibliothécaire ne m'avait pas trompé, ce procès était à la mode.

      Jusqu'au moment de la fermeture de la bibliothèque, nous restâmes en face l'un de l'autre, lisant tous deux et ne nous parlant pas.

      Mais en sortant Vimard me prit par le bras et cela me surprit jusqu'à un certain point, car si nous sommes bien ensemble, nous ne sommes pas cependant sur le pied de l'intimité.

      —Êtes-vous pressé de rentrer? me dit-il.

      —Nullement.

      —Alors, voulez-vous que nous allions jusqu'au Prado?

      —Et quoi faire au Prado?

      —Causer.

      —Il s'agit donc d'un complot?

      —Pouvez-vous me dire cela, à moi surtout!

      —Vous cherchez le silence et le mystère.

      —C'est qu'il s'agit d'une chose sérieuse que je veux examiner avec vous, sans qu'on nous écoute et nous dérange.

      —Allons, donc au Prado.

       Table des matières

      De la bibliothèque au Prado la distance est assez longue; pendant le temps que nous mîmes à la franchir par le cours Julien et le cours Lieutaud, Vimard garda un silence obstiné, qui me laissa toute liberté pour réfléchir à sa demande d'entretien.

      Pourquoi cet entretien?

      Pourquoi ce mystère?

      Pourquoi nous étions-nous rencontrés à la bibliothèque consultant l'un et l'autre l'histoire des conspirations du prince Louis?

      Enfin, en arrivant au Prado, qui se trouvait à peu près désert, Vimard se décida à parler.

      —Mon silence vous surprend, n'est-ce pas?

      —Beaucoup.

      —C'est que je ne désire pas que ce que j'ai à vous dire soit entendu, et quand je suis sous l'impression d'une forte préoccupation, je ne peux pas parler pour ne rien dire.

      —Maintenant, je serai seul à vous entendre.

      —J'aborde donc le sujet qui nous amène ici; et si je le fais franchement, c'est parce que j'ai en vous toute confiance.

      Il ajouta encore quelques paroles qu'il est inutile de rapporter, et après que je l'eus remercié comme je le devais de la sympathie qu'il me témoignait, il continua:

      —L'idée de m'ouvrir à vous m'est venue en vous trouvant à la bibliothèque et en vous voyant étudier les procès de Strasbourg et de Boulogne que je venais moi-même lire. Il m'a paru qu'il y avait dans cette rencontre quelque chose qui ne tenait point au seul hasard, et que si tous deux en même temps nous nous occupions du même sujet, c'était que très-probablement nous avions les mêmes raisons pour le faire. Je vais vous dire quelles sont les miennes, et si vous le trouvez bon, vous me direz après quelles sont les vôtres. Mais ce n'est pas un marché que je vous propose et je ne vous dis pas: confidence pour confidence. Bien entendu, vous restez maître de votre secret.

      Que voulait-il? M'entraîner dans une conspiration? Cela n'était guère probable, étant donné son caractère honnête et droit. Mais alors, s'il ne s'agissait pas de complot, que signifiaient ces précautions de langage? Il ne pouvait pas avoir les mêmes raisons que moi pour vouloir connaître le commandant de Solignac. J'avoue que ma curiosité était vivement excitée.

      —Mon secret est bien simple, dis-je.

      —Je vous en félicite et je voudrais que la mien fût comme le vôtre, mais il ne l'est pas et voilà pourquoi je persiste dans mon idée de m'en ouvrir à vous, afin que nous tenions à nous deux une sorte de petit conseil de guerre. Tout d'abord j'avais cru que ce secret serait le même pour nous deux et alors nous aurions eu l'un et l'autre les mêmes raisons pour prendre une résolution. Mais bien que par le peu de mots que vous venez de dire, je vois que vous n'êtes pas dans une situation identique à la mienne, je n'en veux pas moins vous consulter.

      Ici, il me dit de nouveau mille choses obligeantes que je ne veux pas rapporter, mais que je dois constater cependant pour expliquer la confiance qu'il me témoignait.

      A la fin, toutes ses précautions oratoires étant prises, il abandonna le langage obscur et entortillé dont il s'était jusque-là servi pour parler plus clairement:

      —Si on venait vous tâter, me dit-il, pour savoir de quel côté vous vous rangeriez dans le cas d'un conflit entre le président de la République et l'Assemblée, quelle

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