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de beauté. Le plaisir était dans l'outrage, à battre et à faire pleurer. Au dix-septième siècle encore, les grandes dames riaient à mourir d'entendre le duc de Lorraine conter comment ses gens, dans des villages paisibles, exécutaient, tourmentaient toutes femmes, et les vieilles même.

      Les outrages tombaient surtout, comme on peut le croire, sur les familles aisées, distinguées relativement, qui se trouvaient parmi les serfs, ces familles de serfs maires qu'on voit déjà au douzième siècle à la tête du village. La noblesse les haïssait, les raillait, les désolait. On ne leur pardonnait pas leur naissante dignité morale. On ne passait pas à leurs femmes, à leurs filles, d'être honnêtes et sages; elles n'avaient pas droit d'être respectées. Leur honneur n'était pas à elles. Serves de corps, ce mot cruel leur était sans cesse jeté.

      On ne croira pas aisément dans l'avenir que, chez les peuples chrétiens, la loi ait fait ce qu'elle ne fit jamais dans l'esclavage antique, qu'elle ait écrit expressément comme droit le plus sanglant outrage qui puisse navrer le cœur de l'homme.

      Le seigneur ecclésiastique, comme le seigneur laïque, a ce droit immonde. Dans une paroisse des environs de Bourges, le curé, étant seigneur, réclamait expressément les prémices de la mariée, mais voulait bien en pratique vendre au mari pour argent la virginité de sa femme[20].

      On a cru trop aisément que cet outrage était de forme, jamais réel. Mais le prix indiqué en certains pays, pour en obtenir dispense, dépassait fort les moyens de presque tous les paysans. En Écosse, par exemple, on exigeait «plusieurs vaches». Chose énorme et impossible! Donc la pauvre jeune femme était à discrétion. Du reste, les Fors du Béarn disent très expressément qu'on levait ce droit en nature. «L'aîné du paysan est censé le fils du seigneur, car il peut être de ses œuvres[21].»

      Toutes coutumes féodales, même sans faire mention de cela, imposent à la mariée de monter au château, d'y porter le «mets de mariage». Chose odieuse de l'obliger à s'aventurer ainsi au hasard de ce que peut faire cette meute de célibataires impudents et effrénés.

      On voit d'ici la scène honteuse. Le jeune époux amenant au château son épousée. On imagine les rires des chevaliers, des valets, les espiègleries des pages autour de ces infortunés.—«La présence de la châtelaine les retiendra?» Point du tout. La dame, que les romans veulent faire croire si délicate[22], mais qui commandait aux hommes dans l'absence du mari, qui jugeait, qui châtiait, qui ordonnait des supplices, qui tenait le mari même par les fiefs qu'elle apportait, cette dame n'était guère tendre, pour une serve surtout qui peut-être était jolie. Ayant fort publiquement, selon l'usage d'alors, son chevalier et son page, elle n'était pas fâchée d'autoriser ses libertés par les libertés du mari.

      Elle ne fera pas obstacle à la farce, à l'amusement qu'on prend de cet homme tremblant qui veut racheter sa femme. On marchande d'abord avec lui, on rit des tortures «du paysan avare»; on lui suce la moelle et le sang. Pourquoi cet acharnement? C'est qu'il est proprement habillé, qu'il est honnête, rangé, qu'il marque dans le village. Pourquoi? c'est qu'elle est pieuse, chaste, pure, c'est qu'elle l'aime, qu'elle a peur et qu'elle pleure. Ses beaux yeux demandent grâce.

      Le malheureux offre en vain tout ce qu'il a, la dot encore... C'est trop peu. Là, il s'irrite de cette injuste rigueur... «Son voisin n'a rien payé...» L'insolent! le raisonneur! Alors toute la meute l'entoure, on crie; bâtons et balais travaillent sur lui, comme grêle. On le pousse, on le précipite. On lui dit: «Vilain jaloux, vilaine face de carême, on ne la prend pas ta femme, on te la rendra ce soir, et, pour comble d'honneur, grosse!... Remercie, vous voilà nobles. Ton aîné sera baron!»—Chacun se met aux fenêtres pour voir la figure grotesque de ce mort en habit de noces... Les éclats de rire le suivent, et la bruyante canaille, jusqu'au dernier marmiton, donne la chasse au «cocu[23]!»

      Cet homme-là aurait crevé, s'il n'espérait dans le démon. Il rentre seul. Est-elle vide cette maison désolée? Non, il y trouve compagnie. Au foyer, siège Satan.

      Mais bientôt elle lui revient, la pauvre, pâle et défaite, hélas! hélas! en quel état!... Elle se jette à genoux, et lui demande pardon. Alors, le cœur de l'homme éclate... Il lui met les bras au cou. Il pleure, sanglote, rugit à faire trembler la maison...

      Avec elle pourtant rentre Dieu. Quoi qu'elle ait pu souffrir, elle est pure, innocente et sainte. Satan n'aura rien pour ce jour. Le Pacte n'est pas mûr encore.

      Nos fabliaux ridicules, nos contes absurdes, supposent qu'en cette mortelle injure et toutes celles qui suivront, la femme est pour ceux qui l'outragent, contre son mari; ils nous feraient croire que, traitée brutalement, et accablée de grossesses, elle en est heureuse et ravie.—Que cela est peu vraisemblable! Sans doute la qualité, la politesse, l'élégance, pouvaient la séduire. Mais on n'en prenait pas la peine. On se serait bien moqué de celui qui, pour une serve, eût filé le parfait amour. Toute la bande, le chapelain, le sommelier, jusqu'aux valets, croyaient l'honorer par l'outrage. Le moindre page se croyait grand seigneur s'il assaisonnait l'amour d'insolences et de coups.

      Un jour que la pauvre femme, en l'absence du mari, venait d'être maltraitée, en relevant ses longs cheveux, elle pleurait et disait tout haut: «O les malheureux saints de bois, que sert-il de leur faire des vœux?... Sont-ils sourds? sont-ils trop vieux? Que n'ai-je un Esprit protecteur, fort, puissant (méchant n'importe)! J'en vois bien qui sont en pierre à la porte de l'église. Que font-ils là? Que ne vont-ils pas à leur vraie maison, le château, enlever, rôtir ces pécheurs?... Oh! la force, oh! la puissance, qui pourra me la donner? Je me donnerais bien en échange... Hélas! qu'est-ce que je donnerais? Qu'est-ce que j'ai pour donner? Rien ne me reste.—Fi de ce corps! Fi de l'âme, qui n'est plus que cendre!—Que n'ai-je donc, à la place du follet qui ne sert à rien, un grand, fort et puissant Esprit!

      «—O ma mignonne maîtresse! je suis petit par votre faute, et je ne peux pas grandir... Et d'ailleurs, si j'étais grand, vous ne m'auriez pas voulu, vous ne m'auriez pas souffert, ni votre mari non plus. Vous m'auriez fait donner la chasse par vos prêtres et leur eau bénite... Je serai fort si vous voulez...

      «Maîtresse, les Esprits ne sont ni grands ni petits, forts ni faibles. Si l'on veut, le plus petit va devenir un géant.

       «—Comment?—Mais rien n'est plus simple. Pour faire un Esprit géant, il ne faut que lui faire un don.

      «—Quel?—Une jolie âme de femme.

      «—Oh! méchant, qui es-tu donc? et que demandes-tu là?—Ce qui se donne tous les jours...—Voudriez-vous valoir mieux que la dame de là-haut? Elle a engagé son âme à son mari, à son amant, et pourtant la donne encore entière à son page, un enfant, un petit sot.—Je suis bien plus que votre page; je suis plus qu'un serviteur. En que de choses ai-je été votre petite servante!... Ne rougissez pas, ne vous fâchez pas. Laissez-moi dire seulement que je suis tout autour de vous, et déjà peut-être en vous. Autrement, comment saurais-je vos pensées, et jusqu'à celle que vous vous cachez à vous-même... Que suis-je, moi? Votre petite âme, qui sans façon parle à la grande... Nous sommes inséparables. Savez-vous bien depuis quel temps je suis avec vous?... C'est depuis mille ans. Car j'étais à votre mère, à sa mère, à vos aïeules... Je suis le génie du foyer.

      «—Tentateur!... Mais que feras-tu?—Alors, ton mari sera riche, toi puissante, et l'on te craindra.—Où suis-je? tu es donc le démon des trésors cachés?...—Pourquoi m'appeler démon, si je fais une œuvre juste, de bonté, de piété?...

      «Dieu ne peut pas être partout, il ne peut travailler toujours. Parfois il aime à reposer, et nous laisse, nous autres génies, faire ici le menu ménage, remédier aux distractions de sa providence, aux oublis de sa justice.

       «Votre mari en est l'exemple... Pauvre travailleur méritant, qui se tue, et ne gagne guère... Dieu n'a pas eu encore le temps d'y songer... Moi, un peu jaloux, je l'aime pourtant, mon bon hôte. Je le plains. Il n'en peut plus, il succombe. Il mourra, comme vos enfants, qui sont déjà morts de misère. L'hiver, il a été malade... Qu'adviendra-t-il l'hiver prochain?»

      Alors, elle mit son visage dans

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