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      Elle détourna la tête et ne répondit pas.

      —Ce que je veux te demander, poursuivit Léon vivement, c'est que tu t'appliques à faire la conquête de mon père et de ma mère. Cela te sera facile, gracieuse, bonne, charmante, fine comme tu l'es.

      —Tu ne me crois donc pas modeste, que tu me parles ainsi en face, dit-elle en s'efforçant de sourire.

      —Je dirai, si tu veux, que tu n'es que charmante, et cela, il faut bien que je l'exprime brutalement, puisque je te demande de faire usage de cette qualité.

      —Adresse-toi à mon désir de t'être agréable à toi-même, c'est assez.

      —Enfin, je veux que tu charmes mon père et ma mère de telle sorte qu'à mon retour tu sois leur fille, leur vraie fille, non-seulement par l'adoption, mais encore par l'affection. Présentement tu sais qu'ils t'aiment et que tu peux compter sur eux. Je te demande de faire en sorte qu'ils t'aiment plus encore. Tu me diras qu'on plaît parce qu'on plaît, sans raison bien souvent; mais on plaît aussi parce qu'on veut plaire. Fais-moi l'amitié, chère petite ... cousine, de leur plaire à tous deux, à l'un comme à l'autre. Ce qui sera le plus sensible à ma mère, ce sera l'intérêt que tu porteras aux affaires de notre maison. Si tu veux bien aller souvent lui tenir compagnie au magasin, si tu l'aides à écrire quelques lettres dans un moment de presse, si tu admires intelligemment quelques belles pièces d'orfèvrerie, elle t'adorera. Quant à mon père, il sera très-heureux que tu l'accompagnes dans sa promenade de tous les jours aux Champs-Élysées, et quand il sera fier de toi pour les regards d'admiration que tu auras provoqués en passant appuyée sur son bras, sa conquête sera faite aussi, et solidement, je t'assure. Ne dis pas que tu ne provoqueras pas l'admiration.

      —Je ne dis rien pour que tu n'insistes pas, mais pour cela seulement.

      —Maintenant il me reste à parler d'un membre de notre famille avec qui tu n'as pas besoin de te mettre en frais, je veux parler de Camille. Il n'est même pas à souhaiter que tu fasses sa conquête.

      —Et pourquoi donc ne veux-tu pas que je sois aimable avec elle?

      —Parce qu'elle voudrait te marier.

      Elle ne put retenir un mouvement de répulsion.

      —Tu ne sais pas comme cette manie matrimoniale a fait de progrès en elle, depuis qu'elle est mariée; elle a toujours à offrir une collection de jeunes gens et de jeunes filles, portant tous, bien entendu, les plus beaux noms de la noblesse française ou étrangère, car elle n'a pas de préjugés patriotiques.

      —Malheureusement pour Camille, il n'y a pas de maris pour les filles pauvres.

      —Tu crois cela, petite cousine, tu as tort, il ne faut pas être si pessimiste: il y a, tu peux m'en croire, des hommes qui cherchent dans une femme autre chose que la fortune, et qui se laissent toucher par la beauté, par la grâce, par les qualités de l'esprit et de l'âme....

      Il avait prononcé ces paroles avec élan, il s'arrêta, et reprenant le ton enjoué:

      —Comme dans la collection de Camille il peut y avoir des hommes ainsi faits, je ne veux pas qu'elle te les propose, car je me réserve de te marier....

      Elle le regarda interdite, ne sachant évidemment que penser de ces paroles et cherchant leur sens.

      Il continua en souriant:

      —Plus tard, à mon retour, nous parlerons de cela; aussi ne permets à personne de t'en parler, n'est-ce pas, ou bien si l'on t'en parle malgré toi, écris-moi. Je sais bien qu'il n'est pas convenable qu'une jeune fille écrive ainsi, même à son cousin; mais dans une circonstance aussi grave, ce ne serait pas à ton cousin que tu écrirais, ce serait à ... ce serait à ton frère. Me le promets-tu?

      Il lui tendit la main, elle lui donna la sienne.

      —Maintenant, dit-il, j'ai encore quelque chose à te demander. Je voudrais emporter un souvenir de mon oncle ... et de toi, qui ne me quitterait pas. Veux-tu me donner le petit médaillon qui était suspendu à la chaîne de mon oncle et dans lequel se trouve l'émail fait d'après ton portrait quand tu étais petite fille?

      —Si je veux, ah! de tout coeur!

      Et vivement elle courut chercher ce médaillon qu'elle tendit à Léon.

      —Merci, dit-il.

      Et lui prenant les deux mains il les retint dans les siennes en la regardant dans les yeux.

      À ce moment la porte s'ouvrit, et madame Haupois, entrant, les couvrit d'un coup d'oeil.

      —Je faisais mes adieux à Madeleine, dit Léon après un court moment d'embarras, car j'avance mon départ, je me mettrai en route demain matin.

       Table des matières

      Après le départ de Léon, Madeleine s'appliqua de tout coeur à suivre les conseils qu'il lui avait donnés, et cela lui fut d'autant plus facile qu'elle désirait elle-même très-franchement plaire à son oncle et à sa tante.

      Si elle n'avait pas la vocation du commerce elle n'en avait ni le dégoût, ni le mépris, et ce n'était nullement un ennui pour elle d'aller passer quelques heures de sa journée auprès de sa tante; elle prenait intérêt à ce qui l'entourait, elle avait des yeux pour voir, elle avait des oreilles pour entendre, surtout des oreilles toujours attentives pour toutes les explications ou toutes les histoires, et madame Haupois-Daguillon était enchantée d'elle.

      Si elle n'éprouvait pas non plus un plaisir extrême à monter chaque jour les Champs-Élysées jusqu'à l'Arc de Triomphe et à les redescendre à l'heure où le tout-Paris mondain s'en va faire au Bois sa banale promenade, cela ne lui était pas en réalité une bien grande fatigue: son oncle se montrait satisfait qu'elle l'accompagnât, elle était elle-même contente du contentement de son oncle.

      M. Haupois-Daguillon, en sa jeunesse beau garçon et homme à bonnes fortunes, avait, malgré l'âge et ses occupations commerciales, conservé l'amour et le culte plastique, qui avaient failli faire de lui un statuaire; il y avait peu d'hommes plus sensibles à la beauté féminine que ce riche bourgeois. Sa nièce eût été laide ou mal bâtie, il ne l'eût point pour cela repoussée; mais les sentiments de compassion qu'il eût éprouvés pour elle n'eussent en rien ressemblé à ceux de tendre sympathie qui tout de suite l'avaient touché lorsqu'après une séparation de deux ans il l'avait revue. Car, loin d'être laide ou mal bâtie, elle était au contraire fort belle et surtout admirablement modelée cette jeune nièce: son cou onduleux, sa poitrine pleine et ronde, ses épaules tombantes sans saillies osseuses, son torse entier étaient dignes de la sculpture, et comme sur ces épaules se dressait une tête gracieuse et fine d'une beauté délicate, que la douleur en ces derniers temps avait pétrie pour lui donner quelque chose de tendre et de poétique, qu'elle n'avait pas en sa première jeunesse, elle produisait une vive sensation sur ceux qui la voyaient, alors même qu'il ne la connaissaient pas. Et pour suivre des yeux cette jeune fille en deuil à la démarche modeste, il arrivait souvent qu'on se retournât ou qu'on s'arrêtât alors qu'elle accompagnait son oncle qui, lui, s'avançait en vainqueur superbe: il marchait la tête haute et ses favoris blancs tombaient sur une cravate longue et sur une chemise d'une blancheur éblouissante formant le plastron; cambrant sa poitrine bien prise dans une redingote boutonnée qui maintenait au majestueux un ventre proéminent; tenant dans sa main soigneusement gantée une canne dont la pomme en argent était ciselée et niellée avec art; frappant du talon de ses bottines l'asphalte du trottoir; tendant le mollet, il passait à travers la foule, heureux de sa bonne santé, satisfait de sa prestances, glorieux de sa fortune et fier de l'impression que produisait sur les hommes celle qu'il promenait à son bras.

      En peu de temps Madeleine avait fait ainsi, selon le désir de Léon, la conquête de son oncle et de sa tante, et si elle ne retrouva pas en eux un père et une mère, elle sentit au moins

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