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à cette idée; il ne pouvait pas, à Paris, sortir seul avec Madeleine.

      De la gare de Lyon à la rue de Rivoli, le temps se passa pour M. et madame Haupois en questions, pour Léon en récit.

      Il y avait une demande qu'il attendait et pour laquelle il avait préparé sa réponse: «Comment était-il arrivé à Saint-Aubin juste au moment de la mort de son oncle?»

      Ce fut sa mère qui la lui posa:

      Son explication fut celle qu'il avait déjà donnée à Madeleine: le médecin de Rouen qu'il rencontre par hasard et qui le prévient que son oncle est menacé de devenir aveugle.

      Cette histoire du médecin avait l'inconvénient de ne pas expliquer la lettre de son oncle; mais devait-on supposer que Savourdin parlerait de cette lettre? Cela n'était pas probable; si contre toute attente le vieux caissier en parlait, il serait temps alors de l'expliquer d'une façon telle quelle.

      Élevé par un père et une mère qui l'aimaient, Léon n'avait pas été habitué à mentir, aussi se serait-il assez mal tiré de son récit fait dans le calme et en tête à tête avec ses parents; mais en voiture, au milieu du bruit et des distractions, il en vint à bout sans trop de maladresse.

      En entrant dans le salon où Madeleine se tenait, M. Haupois-Daguillon ouvrit ses bras à sa nièce et l'embrassa tendrement.

      Puis après l'oncle vint la tante.

      Mais ce fut plutôt en père et en mère qu'ils l'accueillirent qu'en oncle et en tante.

      Madame Haupois-Daguillon eut soin d'ailleurs de bien marquer cette nuance:

      —Désormais cette maison sera la tienne, lui dit-elle, et tu trouveras dans ton oncle un père, dans Léon un frère; pour moi tu peux compter sur toute ma tendresse.

      Madeleine était trop émue pour répondre, mais ses larmes parlèrent pour elle.

      Madame Haupois Daguillon était depuis trop longtemps éloignée de sa maison de commerce pour ne pas vouloir reprendre dès le soir même les habitudes de toute sa vie; aussi, malgré les fatigues d'un voyage de vingt-deux heures, voulut-elle, après le dîner, aller coucher rue Royale.

      —Je vais t'accompagner, lui dit son fils.

      À peine dans la rue, Léon se pencha à l'oreille de sa mère:

      —Comment trouves-tu Madeleine? lui demanda-t-il.

      L'intonation de cette question était si douce, que madame Haupois-Daguillon s'arrêta surprise et, s'appuyant sur le bras de son fils, elle força celui-ci à la regarder en face:

      —Pourquoi me demandes-tu cela? lui dit-elle.

      —Mais pour savoir ce que tu penses maintenant de Madeleine, que tu n'avais pas vue depuis deux ans.

      —Et pourquoi tiens-tu tant à savoir ce que je pense de Madeleine?

      —Pour une raison que je te dirai quand tu auras bien voulu me répondre.

      Ces quelques paroles s'étaient échangées rapidement; la voix du fils était émue; celle de la mère était inquiète.

      Cependant tous deux avaient pris le ton de l'enjouement.

      —Sur quoi porte ta question? demanda madame Haupois-Daguillon, qui paraissait vouloir gagner du temps et peser sa réponse avant de la risquer.

      —Comment sur quoi? Mais sur Madeleine, puisque c'est d'elle que je te parle.

      —J'entends bien, mais toi aussi tu m'entends bien; tu me demandes comment je trouve Madeleine; est-ce de sa figure que tu parles? de son esprit, de son coeur, de son caractère?

      —De tout.

      —Quand je voyais Madeleine, elle était une bonne petite fille, intelligente.

      —N'est-ce pas?

      —Douce de caractère et d'humeur facile.

      —N'est-ce pas? et pleine de coeur.

      —Elle était tout cela alors, mais ce qu'elle est maintenant je n'en sais rien; deux années changent beaucoup une jeune fille.

      —Assurément, mais moi qui, depuis dix jours, vis près d'elle, je puis t'assurer que, s'il s'est fait des changements dans le caractère de Madeleine, ils sont analogues à ceux qui se sont faits dans sa personne.

      —Il est vrai qu'elle a embelli et qu'elle est charmante.

      —Alors que dirais-tu si je te la demandais pour ma femme?

      —Je dirais que tu es fou.

       Table des matières

      Lorsque pendant trente ans on a dirigé une grande maison de commerce, avec une armée d'employés ou d'ouvriers sous ses ordres, on a pris bien souvent dans cette direction des habitudes d'autorité qu'on porte dans la vie et dans le monde; partout l'on commande, et à tous, sans admettre la résistance ou la contradiction.

      C'était le cas de madame Haupois-Daguillon qui, même avec ses enfants qu'elle aimait cependant tendrement, était toujours madame Haupois-Daguillon.

      Lorsqu'elle avait pris le bras de son fils, c'était en mère qu'elle lui avait tout d'abord parlé d'un ton affectueux et vraiment maternel; mais ce ne fut pas la mère qui s'écria: «Tu es fou»; ce fut la femme de volonté, d'autorité, la femme de commerce.

      Léon connaissait trop bien sa mère peur ne pas saisir les moindres nuances de ses intonations, et c'était précisément parce qu'il avait au premier mot senti chez elle de la résistance qu'il avait été si net et si précis dans sa demande: c'était là un des côtés de son caractère; mou dans les circonstances ordinaires, il devenait ferme et même cassant aussitôt qu'il se voyait en face d'une opposition.

      —En quoi est-ce folie de penser à prendre Madeleine pour femme? demanda-t-il.

      Ils étaient arrivés sur la place de la Concorde, madame Haupois s'arrêta tout à coup, puis, après un court mouvement d'hésitation, elle tourna sur elle-même.

      —Rentrons rue de Rivoli, dit-elle.

      —Et pourquoi?

      —Ton père n'est pas encore couché, tu vas lui expliquer ce que tu viens de me dire....

      —Mais....

      —Madeleine est la nièce de ton père; elle est son sang; par le malheur qui vient de la frapper, elle devient jusqu'à un certain point sa fille, c'est donc à lui qu'il appartient de décider d'elle. Je ne veux pas, si la réponse de ton père est contraire à tes désirs ... que tu m'accuses d'avoir pesé sur lui et d'avoir inspiré cette réponse.

      —Mais c'était là justement ce que je voulais, dit-il avec un sourire, tu l'as bien deviné.

      —Rentrons, explique-toi franchement avec ton père, il te dira ce qu'il pense.

      —Mais toi?

      —Je te le dirai aussi.

      —Tu me fais peur.

      Et, sans échanger d'autres paroles, ils revinrent à l'appartement de la rue de Rivoli.

      M. Haupois fut grandement surpris en voyant entrer dans sa chambre sa femme et son fils.

      —Que se passe-t-il donc? demanda-t-il.

      —Léon va te l'expliquer, mais en attendant qu'il le fasse longuement, je veux te le dire en deux mots,—il désire prendre Madeleine pour femme.

      —Il est donc fou!

      —C'est justement le mot que je lui ai répondu.

      Puis, s'adressant

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