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fallait absolument des armes pour pouvoir se défendre; ensuite on devait se rassembler par quartiers, chacun étant armé, chacun devait avoir le droit de nommer son chef;… je proposai d'aller chez tous les seigneurs qui résidaient dans la paroisse, d'y faire une perquisition et d'apporter dans l'église toutes les armes que l'on trouverait. J'ajoutai que la distribution devrait en être faite légalement par chaque quartier, en donnant surtout les fusils aux mains des hommes connus qui en savaient le maniement: c'était là le bon moyen, selon moi.

      Ma motion fut rejetée et improuvée comme venant d'un homme suspect, et Le Bossu, alors curé de Saint-Paul, [Note: Bossu refusera le serment, sera déporté et ne reviendra en France qu'en 1801.] dit qu'il fallait me mettre à Bicêtre; ce à quoi je répliquai que j'étais soutenu de tout mon quartier et que, s'il voulait me faire arrêter, j'allais lui tomber sur le corps. En me regardant, il vit que j'étais entouré de plus de trente hommes qui avaient les bras retroussés: il eut peur et ne souffla plus mot….

      A neuf heures on vint me dire que l'on faisait des listes chez le curé. Je m'y rendis et j'y fis grand tapage afin qu'aucun de mes amis venus pour s'inscrire sur cette liste, qui était à bien nommer liste de proscription, n'y fût inscrit; et je demandai: Où sont les fusils de cette ville, que vous aviez promis dans deux heures? En voilà six de passées et rien n'est encore arrivé!…

      Mes camarades et moi nous les laissâmes délibérer et nous nous en fûmes boire, tout le Tiers-État ensemble, avec promesse de nous rejoindre le lendemain, le plus qu'il nous serait possible afin d'avoir des armes. [Note: Vie véritable du citoyen Jean Rossignol, publiée par V. Barrucand, 1896, pp. 75-79.]

      Ce récit, d'une couleur si vive, n'a pas besoin de commentaire. La bourgeoisie, en déchaînant Rossignol et ses pareils contre les privilégiés, dut avoir très vite le sentiment qu'elle ne s'était pas donné seulement des alliés mais des rivaux.

      Rossignol participera à toutes les grandes journées révolutionnaires, deviendra général, commandera en Vendée, sera déporté par Bonaparte aux îles Seychelles puis à Anjouan où il mourra en 1802.

      LE 14 JUILLET

      La Cour fut surprise par la brusque offensive des Parisiens. La Concentration des troupes n'était pas terminée. Le maréchal de Broglie, sans doute mal soutenu par le roi que reprenaient ses hésitations, laisse Besenval sans ordre et Besenval, peu sûr de ses troupes, reste inerte et impuissant au Champ-de-Mars, sans rien tenter pour réprimer l'insurrection. L'Assemblée, encouragée par l'attitude de Paris, avait décrété le 13 juillet que Necker emportait son estime et ses regrets, que les nouveaux ministres seraient responsables des événements et elle avait décidé de siéger jour et nuit, en se tenant en rapports avec les Électeurs parisiens.

      Le 14 juillet dès le matin de nombreuses députations des districts et des Électeurs se rendirent à la Bastille pour demander au gouverneur De Launay de livrer des armes à la milice qui se formait et de faire retirer les canons de la forteresse qui n'était défendue que par quelques Suisses et quelques Invalides, ceux-ci assez hésitants et presque gagnés à la cause populaire. Pendant que les députations parlementent en vain avec le gouverneur, le peuple s'attroupe et les gardes françaises amènent des canons. Une dernière députation est reçue à coups de fusil par les Suisses. C'est le signal des hostilités.

      L'épisode le plus dramatique du siège fut:

      LE DÉVOUEMENT D'ELIE

      Pour parvenir à travers la cour du gouvernement [Note: Le gouvernement était le logement du gouverneur, situé en avant de la forteresse. Voir le plan.] et tenter jusqu'au pont de pierre et tenter d'enfoncer à coups de canon les ponts-levis et les portes de la forteresse, les assiégeants étaient gênés par les voitures de paille que les combattants de la première heure avaient incendiées dans l'intention de se protéger par un rideau de fumée contre les coups de la garnison. Ce fut un officier du régiment de la Reine-Infanterie nommé Elie qui se dévoua pour les déplacer. Vieux sous-officier, nommé sous-lieutenant porte-drapeau, en 1788, à l'âge de 40 ans et après 22 ans de service, Elie était tout dévoué à la cause du Tiers-Etat, sans doute en haine des officiers nobles, dont il avait eu tant à souffrir. Dès la première attaque contre la Bastille, il avait couru revêtir son uniforme et il était revenu se mettre à la tête des assaillants. Aidé d'un mercier du quartier nommé Réole et de quelques citoyens restés inconnus, Elie se mit bravement en avant et entreprit de retirer ces voitures. Ils écartèrent la première assez facilement; mais ils eurent plus de mal pour enlever la seconde qui était en face du pont dormant et bouchait précisément l'entrée du château. Cependant Réole parvint, à lui seul, à retirer cette voiture enflammée, après avoir perdu deux de ses camarades tués à ses côtés. En même temps Hulin faisait couper à coups de canon les chaînes du pont-levis de l'Avancée, afin de prévenir toute trahison. Alors les assiégeants passèrent en foule dans la cour du Gouvernement avec leurs canons, qu'ils placèrent en batterie à l'entrée du pont de pierre, en face des ponts-levis et des portes de la forteresse qui n'en étaient éloignés que d'une trentaine de mètres.

      Cette manoeuvre hardie décida du succès du siège et, quoi que puissent dire aujourd'hui les adversaires de la Révolution, ce succès fut dû à la bravoure des assiégeants autant et plus qu'à la faiblesse du gouverneur. Car pour traîner ces canons à travers les cours et pour les mettre en batterie devant l'entrée principale de la Bastille sous le feu continuel de la garnison, les assaillants eurent à faire preuve du plus grand courage. Les rédacteurs de la Bastille dévoilée sont eux-mêmes obligés de le reconnaître: «Jamais, disent-ils, on n'a vu plus d'actions de bravoure dans une multitude tumultueuse. Ce ne sont pas seulement les gardes-françaises, les militaires, mais des bourgeois de toutes les classes, des simples ouvriers de toute espèce qui, mal armés et même sans armes, affrontaient le feu des remparts et avaient l'air d'y insulter. Ce n'est pas derrière des retranchements qu'ils se tenaient; c'est dans les cours de la Bastille et si près des tours que M. de Launay lui-même a fait plusieurs fois usage des pavés et autres débris qu'il avait fait monter sur la plate-forme. On ne peut disconvenir qu'il n'y eut beaucoup de confusion et de désordre. Chacun était chef et ne suivait que sa fougue. C'était des individus de tous les quartiers, dont plusieurs n'avaient jamais manié d'armes et cependant les Invalides qui se sont trouvés à bien des sièges et à bien des batailles nous ont assuré qu'ils n'ont jamais vu un feu de mousqueterie servi comme celui des assiégeants; ils n'osaient plus mettre la tête en dehors du parapet des tours.» Pour prouver que ces éloges ne sont que justes, il suffit de rappeler le chiffre des pertes subies par les vainqueurs de la Bastille. Dans cette affaire qui ne dura pas quatre heures, les assiégeants eurent au moins 83 des leurs tués sur place: les autres moururent des suites de leurs blessures; 13 furent estropiés et 60 blessés. [Note: J. Flammermont, La journée du 14 juillet 1789 (pp. 224-227).]

      LA REDDITION DE LA BASTILLE

      Les assiégeants voyant que leur canon n'était d'aucun effet revinrent à leur premier projet de forcer les portes. Ils firent pour cela amener leurs pièces de canon dans la cour du Gouvernement et les placèrent sur l'entrée du pont, les pointant contre la porte. M. de Launay voyant ces dispositions du haut des tours, sans avoir consulté ni avisé son état-major et sa garnison, fit rappeler par un tambour qu'il avait avec lui. Sur cela je fus moi-même dans la chambre et aux créneaux pour faire cesser le feu; la foule approcha et le Gouverneur demanda à capituler. On ne voulut point de capitulation et les cris de Bas les ponts! furent toute réponse.

      Pendant ce temps j'avais fait retirer ma troupe de devant la porte pour ne pas la laisser exposée au feu du canon de l'ennemi; duquel nous étions menacés. Je cherchai après cela le Gouverneur afin de savoir quelles étaient ses intentions. Je le trouvai dans la salle du Conseil occupé à écrire un billet par lequel il marquait aux assiégeants qu'il avait vingt milliers de poudre dans la place et que si on ne voulait pas accepter de capitulation, il ferait sauter le fort, la garnison et les environs. Il me rendit ce billet avec ordre de le faire passer. Je me permis dans ce moment de lui faire quelques représentations sur le peu de nécessité

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