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Les grandes journées de la Constituante. Albert Mathiez
Читать онлайн.Название Les grandes journées de la Constituante
Год выпуска 0
isbn 4064066075934
Автор произведения Albert Mathiez
Жанр Документальная литература
Издательство Bookwire
L'ACTION DU CLUB BRETON
La veille au soir nous étions douze ou quinze députés réunis au Club Breton, ainsi nommé parce que les Bretons en avaient été les fondateurs. Instruits de ce que méditait la Cour pour le lendemain, chaque article fut discuté par tous et tous opinèrent sur le parti à prendre. La première résolution fut celle de rester dans la salle malgré la défense du roi. Il fut convenu qu'avant l'ouverture de la séance, nous circulerions dans les groupes de nos collègues pour leur annoncer ce qui allait se passer sous leurs yeux et ce qu'il fallait y opposer. [Note: Mémoires de l'Abbé Grégoire, t. I, p. 380. Ce récit est confirmé par Bouchette, Lettre du 24 juin 1789: «Nous étions convenus d'avance quoiqu'il arrivât de ne pas nous séparer avant d'avoir pris une délibération et nous la fîmes ainsi» (Lettres de Bouchette, Paris, 1909).]
LA SÉANCE ROYALE
Enfin la séance royale arriva; elle eut tout l'appareil extérieur qui naguère en imposait à la multitude; mais ce n'est pas un trône d'or ni un superbe dais, ni des hérauts d'armes, ni des panaches flottants qui intimident des hommes libres. La cour ignorait encore cette vérité, qu'on retrouve partout dans toutes les histoires. La garde nombreuse qui entourait la salle n'effraya pas les députés; elle accrut au contraire leur courage. On répéta la faute qu'on avait faite le 5 mai, de leur affecter une porte séparée et de les laisser exposés dans le hangar qui la précédait, à une pluie assez violente, pendant que les autres ordres prenaient leurs places distinguées; enfin ils furent introduits.
Le discours et les déclarations du roi eurent pour objet de conserver la distinction des ordres, d'annuler les fameux arrêtés de la constitution des communes en assemblée nationale, d'annoncer en trente-cinq articles les bienfaits que le roi accordait à ses peuples, et de déclarer à l'assemblée que, si elle l'abandonnait, il ferait le bien des peuples sans elle. D'ailleurs toutes les formes impératives furent employées, comme dans ces lits de justice où le roi venait semoncer le parlement. Dans ces bienfaits du roi promis à la nation, il n'était parlé ni de la Constitution tant demandée, ni de la participation des états généraux à la législation, ni de la responsabilité des ministres, ni de la liberté de la presse; et presque tout ce qui constitue la liberté civile et la liberté politique était oublié. Cependant les prétentions des ordres privilégiés étaient conservées, le despotisme du maître était consacré et les états généraux abaissés sous son pouvoir. Le prince ordonnait et ne consultait pas; et tel fut l'aveuglement de ceux qui le conseillèrent qu'ils lui firent gourmander les représentants de la nation, et casser leurs arrêtés comme si c'eût été une assemblée de notables. Enfin, et c'était le grand objet de cette séance royale, le roi ordonna aux députés de se séparer tout de suite, et de se rendre le lendemain matin dans les chambres affectées à chaque ordre pour y reprendre leurs séances.
Il sortit. On vit s'écouler de leurs bancs tous ceux de la noblesse et une partie du clergé. Les députés des communes, immobiles et en silence sur leurs sièges, contenaient à peine l'indignation dont ils étaient remplis, en voyant la majesté de la nation si indignement outragée. Les ouvriers, commandés à cet effet, emportent à grand bruit ce trône, ces bancs, ces tabourets, appareil fastueux de la séance; mais, frappés de l'immobilité des pères de la patrie, ils s'arrêtent et suspendent leur ouvrage. Les vils agents du despotisme courent annoncer au roi ce qu'ils appellent la désobéissance de l'assemblée…. [Note: Rabaut, op. cit., pp. 58-59.]
A ce récit de Rabaut Saint-Étienne, Montjoye ajoute ce détail qu'«à l'instant même où le roi se plaça sur son trône, tous les députés des trois ordres, par un mouvement simultané, s'assirent et se couvrirent et ils étaient déjà assis et couverts lorsque M. le garde des sceaux dit: le roi permet à l'Assemblée de s'asseoir.»
LES DÉCLARATIONS DU ROI
Le roi veut que l'ancienne distinction des trois ordres de l'État soit conservée en son entier, comme essentiellement liée à la constitution de son royaume; que les députés librement élus par chacun des trois ordres, formant trois chambres, délibérant par ordre, et pouvant, avec l'approbation du souverain, convenir de délibérer en commun, puissent seuls être considérés comme formant le corps des représentans de la nation. En conséquence, le roi a déclaré nulles les délibérations prises par les députés de l'ordre du Tiers-État le 17 de ce mois ainsi que celles qui auraient pu s'ensuivre, comme illégales et inconstitutionnelles (Décl. I. 1).
Sont nommément exceptées des affaires qui pourront être traitées en commun celles qui regardent les droits antiques et constitutionnels des trois ordres, la forme de constitution à donner aux prochains États-Généraux, les propriétés féodales et seigneuriales, les droits utiles et les prérogatives honorifiques des deux premiers ordres (id. 8).
Le consentement particulier du clergé sera nécessaire pour toutes les dispositions qui pourraient intéresser la religion, la discipline ecclésiastique, le régime des ordres et corps séculiers et réguliers (id. 9).
Les affaires qui auront été décidées dans les assemblées des trois ordres réunis seront remises le lendemain en délibération si cent membres de l'Assemblée se réunissent pour en faire la demande (id. 12).
Toutes les propriétés sans exception seront constamment respectées et S.M. comprend expressément sous le nom de propriétés les dîmes, cens, rentes, droits et devoirs féodaux et seigneuriaux, et généralement tous les droits et prérogatives utiles ou honorifiques, attachés aux terres et fiefs, ou appartenant aux personnes (Décl. II. 12).
Les deux premiers ordres de l'État continueront à jouir de l'exception des charges personnelles, mais le roi approuvera que les États-Généraux s'occupent des moyens de convertir ces sortes de charges en contributions pécuniaires, et qu'alors tous les ordres de l'État y soient assujettis également (id. 15).
Dans d'autres articles le roi avait promis de n'établir aucun nouvel impôt sans le consentement des représentants de la nation, de faire connaître le tableau annuel des recettes et des dépenses et de le soumettre aux États généraux, de sanctionner la suppression de tous les privilèges en matière d'impôts, d'abolir la taille, le franc-fief, les lettres de cachet, la corvée, d'établir des États provinciaux composés de deux dixièmes de membres du clergé, de trois dixièmes de membres de la noblesse et de cinq dixièmes de membres du Tiers, etc.
Le roi termina par les paroles suivantes:
LA MENACE ROYALE
Vous venez, Messieurs, d'entendre le résultat de mes dispositions et de mes vues; elles sont conformes au vif désir que j'ai d'opérer le bien public; et, si, par une fatalité loin de ma pensée, vous m'abandonniez dans une si belle entreprise, seul, je ferai le bien de mes peuples; seul, je me considérerai comme leur véritable représentant; et connaissant vos cahiers, connaissant l'accord parfait qui existe entre le voeu le plus général de la nation et mes intentions bienfaisantes, j'aurai toute la confiance que doit inspirer une si rare harmonie, et je marcherai vers le but auquel je veux atteindre avec tout le courage et la fermeté qu'il doit m'inspirer.
Réfléchissez, Messieurs, qu'aucun de vos projets, aucune de vos dispositions ne peut avoir force de loi sans mon approbation spéciale. Ainsi je suis le garant naturel de vos droits respectifs; et tous les ordres de l'État peuvent se reposer sur mon équitable impartialité.
Toute défiance de votre part serait une grande injustice. C'est moi jusqu'à présent qui fais tout le bonheur de mes peuples; et il est rare peut-être que l'unique ambition d'un souverain soit d'obtenir de ses sujets qu'ils s'entendent enfin pour accepter ses bienfaits.
Je vous ordonne, Messieurs, de vous séparer tout de suite, et de vous rendre demain matin chacun dans les chambres affectées