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s'est fait hier et a été déclaré aujourd'hui par l'entremise de M. le duc d'Orléans; le Pont-de-l'Arche est accordé. M. le Prince en a remercié ce matin la reine et lui a fait de nouvelles protestations de service et d'obéissance, assurant Sa Majesté qu'il n'aurait pas été moins ferme et moins fidèle dans son devoir, quand bien même il n'aurait pas reçu cette grâce de sa bonté. Monsieur ensuite a commandé à M. le Prince de lui donner à souper, et il a fait entendre qu'il y mènerait M. le cardinal, et, à l'heure que je tiens la plume, ils sont à table avec peu d'allégresse. C'est une réconciliation en apparence, dont beaucoup de gens sont présentement en peine, mais je vous puis assurer qu'elle[T.I pag.52] n'est point cordiale du côté du faubourg[90]; Mazarin est entamé, et sa ruine est résolue d'une telle façon, qu'il faudra des miracles pour sa conservation. Ce sera doucement, sans employer aucun moyen violent. Faites votre compte là-dessus; vous êtes fort sur le tapis et très-fort dans le cœur de toute la maison de M. le Prince; je n'oublierai aucune chose pour vous rendre toute sorte de services. Vous devez écrire à M. le Prince, sur cette occasion, une lettre pleine d'affection et d'espérance que ses soins et sa conduite remettront l'État dans le bonheur. J'offre de rendre votre lettre; si vous voulez dire davantage dans la mienne, je puis la faire voir. Ma passion pour votre service est sans réserve; ordonnez franchement. Le raccommodement fera quelques dupes.»

      La dupe dans cette affaire, ce fut le duc de Saint-Simon, tout habile qu'il se piquait d'être. Mazarin, en s'humiliant devant Condé et en achetant si cher son pardon, n'avait qu'un but: semer des défiances entre les deux Frondes, prouver aux princes de la maison de Vendôme, au coadjuteur, à madame de Chevreuse, qu'ils ne pouvaient compter sur Condé; isoler ainsi peu à peu le prince et ensuite frapper cet ennemi désarmé. Il marcha à son but par les voies souterraines, qu'il préférait, mais il y marcha sûrement et résolument. D'ailleurs Condé lui fournissait des armes par ses imprudences. Il ne faut pas oublier qu'à cette époque le prince, naturellement hautain et ambitieux, était dans toute l'ivresse de sa fortune. Vainqueur à Rocroi, à Fribourg,[T.I pag.53] à Nordlingen et à Lens, il venait encore de triompher de la Fronde parlementaire et de ramener le roi dans Paris. Bien loin de se faire pardonner sa gloire en la couvrant de modération, il affectait pour ses adversaires le plus insolent dédain. Ses airs méprisants, son ton arrogant, lui avaient fait de nombreux ennemis. Les petits-maîtres, qui l'entouraient, les Bouteville, les Chabot, les Jarzé, imitaient et exagéraient sa hauteur dédaigneuse et traitaient avec mépris les gens de robe et de plume qui avaient soutenu la première Fronde. Les parlementaires s'en irritèrent, et les grands eux-mêmes ne supportèrent pas longtemps une pareille arrogance. La vieille haine des maisons de Lorraine et de Condé se réveilla et fut soigneusement fomentée. Comme au temps de la cabale des Importants, madame de Longueville, réconciliée avec son frère le prince de Condé, eut pour ennemis madame de Chevreuse, les princes lorrains et la maison de Vendôme.

      Mazarin sut habilement profiter de ces divisions qu'il avait semées. Ses Carnets attestent qu'il se rapprocha de la maison de Vendôme et finit par s'unir étroitement avec elle. On y lit[91]: «M. de Vendôme, après m'avoir parlé de ses affaires ce matin, m'a dit que jamais les choses n'avaient été en meilleure disposition pour retirer M. de Beaufort et le donner à la reine entièrement; que le président de Bellièvre et le coadjuteur y étaient tout à fait résolus en haine de madame de Montbazon, qui voulait mettre tout en confusion pour ses intérêts particu[T.I pag.54]liers.» A partir de ce moment, les relations entre Mazarin et la vieille Fronde devinrent chaque jour plus étroites. L'abbé Ondedei, un des parents et des confidents intimes du cardinal, eut des entrevues avec le marquis de La Boulaye, qui avait été un des plus ardents Frondeurs. Madame de Chevreuse et le duc de Beaufort promirent à Mazarin de le soutenir dans sa lutte contre Condé. Beaufort montrait autant de zèle pour son nouvel allié qu'il en avait déployé antérieurement dans l'intérêt de la Fronde. «La moindre chose qu'il promet dans cette liaison d'amitié, écrivait Mazarin[92], c'est de calmer le royaume et de mettre aux pieds de la reine les parlements et les peuples, et de faire avoir autant d'amour pour moi qu'on a de haine.»

      Cependant, au milieu des succès de sa politique tortueuse, Mazarin redoutait toujours Chavigny. Il suivait avec inquiétude les menées de ce rival dangereux, qui s'était rendu en Brie et de là avait de fréquentes entrevues avec les Frondeurs, tels que Fontrailles et le président Viole. «On m'assure, écrit Mazarin sur ses Carnets[93], que M. de Chavigny a été deux heures à Paris et qu'il a vu M. le Prince.» Et un peu plus loin[94]: «Chavigny reçoit le monde avec grande parade et a vu M. le Prince.» Mazarin craignait que ce conseiller, plus habile que les petits-maîtres, n'arrêtât le prince sur la pente fatale où son orgueil l'entraînait et ne renouât les relations entre la Fronde parlementaire et le parti des[T.I pag.55] princes; enfin, comme il l'écrivait sur ses Carnets[95]: «ne fit mille choses préjudiciables au service du roi et au mien.» Malheureusement pour le prince de Condé, il cédait à des conseils moins prudents que ceux de Chavigny et séparait de plus en plus sa cause de celle des Frondeurs. Saint-Simon, écho du parti des petits-maîtres, affectait aussi de dédaigner la vieille Fronde. Il écrivait à Chavigny, le 27 novembre: «On vous conseille de fréquenter le moins que vous le pourrez le pape des Frondeurs[96] et les autres de cette nature.»

      En même temps que Condé rompait avec Beaufort et avec le coadjuteur, il poussait aux dernières extrémités Anne d'Autriche et Mazarin par de nouvelles insolences. Il se rendit coupable de l'insulte la plus grave envers une femme et une reine; il prétendit lui imposer un amant, et choisit pour ce rôle un des petits-maîtres, le marquis de Jarzé[97]. Cet outrage porta le désespoir dans l'âme d'Anne d'Autriche[98], et Mazarin se hâta de prendre les dernières mesures avec les chefs de la Fronde pour frapper un coup décisif; il gagna Retz par la promesse du chapeau de cardinal, Vendôme et Beaufort par celle de l'amirauté. Madame de Chevreuse lui répondit du faible Gaston d'Orléans.

      Si l'on en croit les Carnets de Mazarin[99], il était temps[T.I pag.56] que ce ministre en finît avec Condé. Les gentilshommes dévoués à ce prince se réunissaient en foule à Paris, et tout annonçait une lutte formidable. Mazarin prévint le coup: le 18 janvier 1650, il fit arrêter au Louvre le prince de Condé, son frère le prince de Conti et son beau-frère le duc de Longueville. Cet acte de vigueur dispersa la faction des princes; leurs partisans les plus dévoués se retirèrent dans les provinces et y renouvelèrent la guerre civile. Quant à Chavigny, gardant toujours son rôle de philosophe, il se retira dans ses terres et attendit que la délivrance des princes (1651) lui fournît une occasion de renouer ses intrigues. Le duc de Saint-Simon, qui voyait toutes ses prévisions démenties, se hâta de regagner son gouvernement de Blaye et écrivit à Mazarin pour lui offrir son épée. Le ministre ne fut pas dupe de ces démonstrations tardives, et l'on voit assez par la lettre qu'il répondit au duc de Saint-Simon, le 26 février 1650, que la fuite précipitée de ce personnage avait inspiré au ministre de justes soupçons. «Vous pouviez, lui écrivait Mazarin, changer la forme de ce départ et particulièrement dans la conjoncture présente, où il a donné matière au peuple de faire diverses spéculations et de craindre de mauvaises suites de la sortie de la cour d'une personne de votre qualité, sans avoir pris congé de Leurs Majestés.» Telle fut l'issue de l'intrigue ourdie en 1649 par Saint-Simon et Chavigny. Le premier s'était promptement rallié, comme on vient de le voir, au parti le plus fort[100]. Le second ne tarda pas à[T.I pag.57] reparaître sur la scène, où nous le retrouvons dirigeant la politique du parti des princes et considéré avec raison comme l'âme de leurs conseils.[T.I pag.58]

       Table des matières

      Retour de Chavigny à Paris en 1651; il entre dans le ministère formé en avril 1654 et est attaqué par le cardinal de Retz.—Courte durée de ce ministère.—Chavigny entame des négociations avec Mazarin (janvier 1652) par l'intermédiaire de Fabert et de l'abbé Fouquet.—Arrivée des troupes espagnoles à Paris (5 mars 1652).—Fêtes et émeutes.—Prise d'Angers par l'armée royale (7 mars).—Violences du parti des princes dans Paris.—Émeute du 25 mars.—Inquiétude de Mazarin.—L'abbé Fouquet

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