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d'asseoir solidement son autorité sur les ruines des factions. Les lettres de Mazarin sont loin de nous le montrer aussi ferme dans sa politique et aussi confiant dans l'avenir. Il semble, au contraire, avoir perdu courage; il se plaint de ses amis et de ses serviteurs les plus dévoués: de Le Tellier, de Servien, de de Lyonne. Il doute même de la reine, et se croit obligé d'adresser à Brienne une longue apologie de son ministère[44].

      Au moment où Mazarin semblait s'abandonner lui-même, le procureur général et son frère l'abbé Fouquet ne cessaient de soutenir son parti, le premier avec une prudente habileté, le second avec une ardeur et une décision qui contribuèrent puissamment à relever le courage du cardinal.

      Basile Fouquet, que nous voyons paraître ici comme un des principaux agents de Mazarin, avait été destiné à l'état ecclésiastique; mais il ne fut jamais prêtre, et le titre d'abbé, qui est resté attachée à son nom, indique simplement qu'il avait obtenu des bénéfices d'Église, dont il touchait le revenu, sans remplir aucune fonction sacerdotale. Activité, souplesse d'esprit, fécondité de ressources, intrépidité dans la lutte, zèle et ardeur[T.I pag.20] poussés jusqu'à la témérité, telles furent les qualités que déploya d'abord l'abbé Fouquet. Après la victoire, ses vices apparurent et le rendirent odieux; ambitieux, avide, insolent, s'abandonnant aux plaisirs avec une scandaleuse effronterie, il provoqua la haine publique et contribua à la chute de son frère. Mais nous ne sommes encore qu'à l'époque où il servit Mazarin avec un zèle ardent et s'en fit un protecteur qui, jusqu'à sa mort, couvrit les vices de l'abbé de sa toute-puissante amitié.

      Mazarin avait quitté la France, en mars 1651. Dès le mois d'avril, l'abbé Fouquet se rendait près de lui, chargé des promesses et des conseils de ses amis; il traversait, pour parvenir jusqu'au cardinal, les postes des frondeurs et bravait tous les périls. «J'ai su, lui écrivait Mazarin[45], le danger que vous aviez couru. Je serai toujours ravi de vous voir; mais, au nom de Dieu, ne vous exposez plus à de semblables hasards. Vous eûtes grand tort du vous séparer de la troupe; il n'importait pas d'arriver deux jours plus tôt ou plus tard, pourvu que vous le fissiez en sûreté.» Dans cette même lettre, le cardinal exprimait sa reconnaissance pour Nicolas Fouquet, qui, en sa qualité de procureur général, avait fait lever l'arrêt de saisie de ses meubles: «Je remercie de tout mon cœur le procureur général, touchant la main-levée de la saisie. Je n'en serai jamais ingrat. Je le prie de continuer; car je n'ai qui que ce soit qui me donne aucun secours, et, faute de cela, l'innocence[T.I pag.21] court grand risque d'être opprimée. Si le procureur général croyait qu'il fallût faire quelque présent à quelqu'un qui soit capable de faire quelque chose à mon avantage, j'en suis d'accord, et vous en pourrez parler à de Lyonne[46], qui donnera là-dessus des ordres.»

      L'abbé Fouquet avait trouvé le cardinal découragé; Mazarin critiquait avec amertume tout ce que l'on avait fait depuis son départ et surtout l'échange des gouvernements qui assurait à Condé de si grands avantages. En effet, ce prince venait d'obtenir pour lui le gouvernement de Guienne, qui le mettait en relation avec l'Espagne, et pour son frère, le prince de Conti, la Provence, qui était en communication par terre et par mer avec la Savoie, la Sardaigne, Naples et le duché de Milan[47]. On avait laissé à Condé, en Bourgogne et en Champagne, des places fortes d'une grande importance. Ses partisans étaient pourvus de gouvernements dans le centre du royaume: Damville[48] avait le Limousin; Montausier, l'Angoumois et la Saintonge; le duc de Rohan, l'Anjou; Henri de Gramont, comte de Toulongeon, le Béarn[49], etc. Ainsi, le prince de Condé devenait, par lui ou par ses amis, maître d'une grande partie du royaume. Chavigny, un des plus dangereux adversaires de Mazarin, rentrait au ministère. En un[T.I pag.22] mot, le cardinal voyait ses ennemis s'élever au plus haut point de la puissance, pendant qu'on le laissait dans l'oubli.

      L'abbé Fouquet, qui avait plus de zèle que de prudence, ne manqua pas de rapporter à de Lyonne les plaintes du cardinal; il paraît même qu'il les exagéra, si l'on en croit une lettre de Mazarin en date du 18 mai[50]: «Vous avez tiré de l'abbé Fouquet, écrivait le cardinal à de Lyonne, beaucoup de choses que je n'ai pas dites, et, le croyant homme d'honneur, je m'assure qu'il tombera d'accord de la vérité. Il a pourtant eu tort de vous rapporter même ce que je lui dis en particulier et justement ému comme j'étais, reconnaissant que son voyage n'avait pour but que de retirer de moi ce qui était nécessaire pour achever votre affaire, et que l'on était fort en repos du mauvais état des miennes. M. Fouquet a eu d'autant plus de tort que je le priai de ne le faire pas, et qu'il me le promit; mais n'importe. Je suis bien aise que vous ayez su tout ce que j'avais sur le cœur.» Ces derniers mots prouvent que, si l'abbé Fouquet avait été indiscret en dévoilant les pensées secrètes et intimes de Mazarin, il n'avait guère altéré la vérité. Du reste, cette impétuosité de caractère, qui lui fit commettre tant de fautes par la suite, était la source de ses qualités. Il continua de servir le cardinal avec la même ardeur, mais en la tempérant par plus de circonspection.

      [T.I pag.23]

      De concert avec le procureur général, son frère, l'abbé Fouquet ne négligea rien pour gagner des partisans à Mazarin et surtout pour rompre le faisceau redoutable que formaient le parti des princes et la vieille Fronde réunis. A la tête de celle-ci était le coadjuteur de l'archevêque de Paris, Paul de Gondi, si connu par son ambition et par ses intrigues. Il était blessé de la hauteur du prince de Condé et des petits maîtres[51], qui composaient la nouvelle Fronde. L'abbé Fouquet sut habilement envenimer les haines. Il fit agir près du coadjuteur une des héroïnes de la vieille Fronde, la duchesse de Chevreuse, qui ne pouvait pardonner au prince de Condé d'avoir rompu le mariage projeté de sa fille, Charlotte de Lorraine, avec le prince de Conti. Les ressentiments de la duchesse de Chevreuse furent adroitement aigris par l'abbé Fouquet, et cette femme hautaine et ambitieuse, implacable dans ses haines, parvint à briser le lien qui unissait les ennemis de Mazarin et qui faisait leur force. C'était là un service capital, et le cardinal, du fond de son exil, chargea l'abbé Fouquet d'en témoigner sa reconnaissance à la duchesse[52]: «Je vous prie de remercier de la bonne manière la dame qui a déclaré ce que vous me mandez à M. le coadjuteur, et de lui dire qu'en quelque lieu et fortune que je puisse être, je serai son très-humble serviteur.» Mazarin tint parole à la duchesse de Chevreuse,[T.I pag.24] qui, de son côté, se montra aussi fidèle dans ses attachements qu'ardente dans ses haines.

      Le procureur général et son frère réussirent à gagner à Mazarin quelques partisans dans le parlement de Paris. L'avocat général, Omer Talon, qui y avait une grande autorité comme magistrat et comme orateur, se rallia au parti du cardinal. «Je vous prie, écrivait Mazarin à l'abbé Fouquet[53], de remercier Talon de ma part, n'y ayant rien de si agréable que la manière dont il se conduit à mon égard.» Le concours de ce magistrat servit puissamment la politique de Nicolas Fouquet, qui, en présence d'une compagnie hostile au cardinal, était obligé à des ménagements et à des précautions infinies.

      Son frère, au contraire, marchait hardiment dans sa voie et bravait les ennemis que lui suscitait l'ardeur de son zèle pour le cardinal. Mazarin se crut obligé de lui recommander la prudence. «Au nom de Dieu, lui écrivait-il[54], ménagez-vous davantage; car je serais au désespoir, si, à cause de moi, il vous arrivait la moindre chose qui vous fut préjudiciable.» Mais la modération n'était pas dans la nature de l'abbé Fouquet. Il ne cessait de souffler la discorde entre les deux Frondes et de susciter des adversaires au prince de Condé. Plus accoutumé aux luttes des champs de bataille qu'aux attaques parlementaires, le prince finit par se lasser de cette guerre de la Grand Chambre, où l'audace du coadjuteur, soutenue de l'astuce des Fouquet et de bon nombre d'épées, balançait sa fortune. Il sortit de Paris (septembre 1651)[T.I pag.25] et alla chercher dans les provinces un champ de bataille qui convenait mieux à son génie.

      Ainsi la rupture des deux Frondes était consommée. Il s'agissait maintenant de gagner dans la bourgeoisie et l'armée les hommes les plus influents, afin de préparer le retour et la domination de Mazarin dans Paris. Ce fut encore en grande partie l'œuvre de Nicolas et de Basile Fouquet. Ils s'assurèrent, par l'influence de madame de Brégy[55], du maréchal de l'Hôpital, gouverneur de Paris[56], et s'efforcèrent d'attirer au parti du cardinal le premier président Mathieu Molé et son fils, le président de Champlâtreux[57], qui avaient longtemps soutenu la cause du prince

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