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a fabriqués depuis quelque temps; il y a, voyez-vous, dans les replis du cœur humain des passions mauvaises, des vices ignobles que l'œil de Dieu peut seul apercevoir, et qui ne seront jamais mis en œuvre par les romanciers.

      —Oh! oh! monsieur le marquis, savez-vous que vous prêchez à ravir, dit Salvador, qui n'était que médiocrement prévenu en faveur du discours que de Pourrières venait de commencer.

      —Vous avez raison, le moment est mal choisi pour faire de la morale; puisque nous sommes ici pour nous amuser, amusons-nous; mais évitez surtout de me donner mon nom; tous ceux qui sont ici ne me connaissent que sous celui de Courtivon.

      Roman lança à Salvador un coup d'œil significatif.

      —En attendant qu'il nous soit permis de faire honneur au festin, dit-il en s'adressant au marquis, continuez, autant du moins que cela vous sera possible, de nous faire connaître les convives.

      —Avec plaisir. Ce petit monsieur qui se fait appeler de Préval, est un satellite qui gravite autour de l'astre que l'on nomme de Lussan; mais comme on connaît à peu près les moyens qu'il emploie pour soutenir le luxe qu'il affiche, on ne lui accorde pas la considération qu'on n'ose refuser au vicomte de Lussan. Les femmes qui se laissent séduire par la jolie figure, les gracieuses manières et les tirades sentimentales de M. de Préval, qu'elles soient duchesses, actrices ou femmes entretenues, sont la mine qu'il exploite; une vieille princesse russe fait les frais de son tilbury, une actrice ceux de son appartement, une fille entretenue lui fournit son argent de poche. M. de Préval, pour parer aux éventualités de sa position, a une seconde corde à son arc; il est, dit-on, plus qu'heureux au jeu...

      »Cet homme qui paraît âgé d'environ soixante ans, qui est doué d'une si respectable physionomie, et qui porte à sa boutonnière la croix de la Légion d'honneur, est un des aigles du barreau et un des puritains de la chambre élective. Le bienheureux saint Yves advocatus et non latro res miranda, fut canonisé, quoique avocat; c'est peut-être jusqu'ici le seul de sa robe qui ait été admis dans le royaume des cieux, et c'est pour cela sans doute que la béatitude y est si grande; car s'il y en avait un second, le père Eternel ne serait pas sûr de finir tranquillement son bail.

      »Quoi qu'il en soit, je vais vous raconter une petite anecdote très-édifiante, à l'endroit de cet avocat député qui pourrait bien, tôt ou tard, prendre place à côté de saint Yves, son digne patron, et lui enlever une partie de sa clientèle céleste.

      »Voici ce que c'est. Pour me rendre plus intelligible j'adopterai, si vous voulez bien me le permettre, la forme du dialogue. Remarquez, je vous prie, que la scène se passe dans le cabinet de l'avocat en question, cabinet meublé avec tout le luxe possible. L'avocat est assis devant un bureau à cylindre; il est enveloppé dans une magnifique robe de chambre à ramages, et ses pieds sont fourrés dans des babouches orientales de maroquin rouge; une dame déjà sur le retour, mais dont la toilette est très-élégante, vient d'entrer et lui dit:

      —Eh! bonjour, cher maître; comment se portent les cinq codes et leurs honorables commentaires?

      Puis elle s'assied.

      —Ah! belle dame, répondit l'avocat, toute ma jurisprudence est à vos genoux. D'honneur, vous êtes plus belle tous les jours.

      —Toujours galant, cher maître; mais trêve d'aimables propos aujourd'hui, c'est une affaire sérieuse qui me conduit chez vous.

      —De quoi s'agit-il? je suis tout oreilles.

      —J'ai besoin de reprendre les choses d'un peu loin; excusez-moi si vous me trouvez prolixe, c'est un peu le défaut de mon sexe.

      Vous vous rappelez, cher maître, cette époque à jamais déplorable de 1814, où une nuée de barbares vint fondre sur la France accablée; ils ramenaient dans leurs bagages ce roi fameux qui, grâce à une figure de rhétorique qui n'est pas encore bien définie, nous persuada un beau jour que nos ennemis étaient nos meilleurs amis.

      —Ah! madame, dit ici l'avocat en soupirant, quels souvenirs vous évoquez, il suffit de me rappeler les maux de ma patrie pour me voir fondre en larmes.

      —Cela se conçoit, pensa la dame, c'est un si grand patriote, j'aurais bien dû ne pas mettre sa sensibilité à une aussi rude épreuve; permettez-moi de continuer, dit-elle après avoir fait cette réflexion.

      Parmi cette foule de barbares dont je viens de vous parler, se trouvait un grand seigneur, véritable ours mal léché, mais qui rachetait ce petit désagrément par une foule de millions de roubles. Dès les premiers jours de son arrivée à Paris, il voulut s'initier aux mœurs françaises, et pour cela il eut besoin de dépouiller le vieil homme; après avoir pourvu aux nécessités de sa toilette, il songea à ces aimables riens dont les philosophes font si peu de cas, mais dont les jolies femmes sont folles; je veux parler des bijoux.

      C'est ici, cher maître, qu'à mon tour je vais mettre ma sensibilité à une bien rude épreuve, rien que le souvenir de ces malheurs me fait fondre en larmes... j'aimais tant mon mari.

      Vous vous rappelez sans doute que j'étais bijoutière au Palais-Royal; le barbare vint, il me vit et vainquit. Quelques mois plus tard j'étais à l'étranger; au moyen d'un pacte fait entre mon mari et le barbare, j'étais devenue la propriété de ce dernier. Hélas! il usa de sa propriété comme de chose à lui appartenant.

      Or on sait ce que l'usage produit en pareil cas; vous avez deviné que je devins mère.

      Le barbare avait des sentiments, il voulut récompenser dignement ma fidélité; à ses derniers moments il fit appeler un notaire, et, dans un testament en bonne forme, il légua au fruit de nos amours une somme considérable à prendre sur les millions en question.

      Peu de temps après, le bonhomme mourut! Dieu veuille avoir son âme.

      —Amen. Ah! belle dame, combien ce récit m'a ému et combien je suis sensible à vos peines.

      —Baste! il faut penser à autre chose! il s'agit maintenant de recueillir la succession laissée à mon fils par le vieux magot; mais cette succession est en Russie, et l'empereur Nicolas n'aime pas que les millions passent les frontières de ses Etats; il ne faut donc pas moins qu'un avocat de votre mérite pour lever toutes les difficultés qui vont surgir. Pouvez-vous vous charger de cette mission.

      —Quoi! aller en Russie?

      —Oui en Russie.

      —Hum! c'est bien loin... et pendant ce temps, que deviendront la patrie et mon cabinet.

      —Oh! ce n'est pas mon affaire, mais si je vous donne des honoraires équivalents a ceux que votre cabinet vous aurait procurés, ne voudrez-vous pas à ce prix me rendre service.

      —Vous savez bien, belle dame, que je ne puis rien vous refuser.

      —Eh bien! voyons, qu'exigez-vous pour vous charger de cette affaire et du voyage qu'elle nécessite.

      —Ah! madame, que me demandez-vous là? Est-ce que je tiens à l'argent! mais que deviendra la France pendant mon absence! ô mon pays!...

      La dame pensa quelle devait tenir compte, à un aussi grand patriote, du sacrifice qu'il allait faire en s'exilant pour elle.

      —Eh bien, cher maître, dit-elle, vingt-cinq mille francs, est-ce assez?

      —Que me dites-vous là? oh! France, que vas-tu devenir.

      —Mais il me semble que vingt-cinq mille francs...

      Bref, l'avocat accepta et la dame lui apportait le lendemain matin, les vingt-cinq mille francs en beaux billets de banque; après les avoir palpés, l'avocat reconduisit poliment sa cliente, en lui assurant que sous huit jours il serait parti.

      Mais un mois s'était écoulé que notre avocat n'avait pas encore songé à prendre son passe-port; la dame, informée de cette circonstance, va le trouver et lui témoigne son étonnement; mais, en homme qui n'est jamais court, il lui donne mille raisons pour justifier son retard; la dame accorde un nouveau délai

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